10- Robe fleurie

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(5)

Je ne comptais plus les morts et, même si je savais que c'était une simple illusion, n'arrivais pas à me raccrocher à la réalité. J'essayais de penser aux murs turquoises de la petite pièce mais en vain, j'atterris encore une fois autre part, et cette fois ci allongé dans un lit d'hôpital.

A ma gauche se trouvait un second lit occupé par un petit garçon qui devait être âgé d'une dizaine d'années. Ses cheveux bruns étaient maculés de sueur tandis que ses yeux dont je ne voyais pas la couleur étaient rivés sur un écran qui affichait une courbe à l'allure d'une montagne russe. Je compris qu'elle représentait ses battements cardiaques et que chaque seconde était pour lui, et pour moi, un miracle. Car j'avais aussi repéré un deuxième écran branché par des fils à mon abdomen. Je peinais à respirer, je sentis alors mon cœur ralentir. Le garçon tourna vivement la tête comme pour ne pas voir la courbe redescendre. Il me lança un regard souffrant et s'installa confortablement en prenant de grandes inspirations. Ses paupières se fermèrent alors que la courbe était presque constante puis je fus contraint de faire de même, luttant pour ne pas partir. J'entendis des infirmiers arrivés à toute vitesse, affolés par la machine qui n'émettait plus aucun son et la courbe, qui était devenu une parfaite droite. Une main me secoua, voilà mon dernier contact avec la vie.

(6)

Je me réveillai sur le bord d'un pont d'auto-route, à marcher derrière une fille aux cheveux châtains coupés à la garçonne et aux yeux océans que je voyais à chaque fois qu'elle se retournait. Je la suivais sans vraiment savoir pourquoi mais j'avais l'intuition qu'il fallait que je le fasse. C'est alors que, ayant oublier ce que je vivais à chaque fois, le pont émit un craquement. Tout le monde s'affola et, dans la foule, je perdis de vue la jeune fille.

La passerelle s'effondra sous un grondement sourd et mon corps fut projeté sur la route que l'écroulement avait débarrassé de tout véhicule. Je volais en éclat, juste après avoir aperçu la fillette démembrée. Nos cadavre tombèrent l'un à côté de l'autre, sang pour sang, mort pour mort.

« Charly ? Es-tu prêt pour quelque chose de nouveau ? » me demanda la voix.

« Oui ... » répondis-je, souffrant.

(7)

Avant dernière mort, le directeur avait misé gros. J'ouvris les yeux sur un local à l'odeur répugnante peint à la bombe par-ci par-là. Le plafond n'était autre qu'un vieux morceau de taule et j'aperçus soudain le corps d'un garçon roux attaché par les bras le long d'un mur. Je me rendis alors compte que j'étais dans le même position non loin de lui, les pieds à quelques centimètres du sol de ciment. Un homme à la cagoule bordeaux se montra, une ceinture à la main, une bombe de peinture bleue dans l'autre. Il s'approcha du garçon en regardant autour de lui pour vérifier qu'il n'y ai pas de témoin et continua sa route, comme si je n'étais pas là. Me voyait-il ou me gardait-il pour plus tard ?

Soudain, il claqua le torse nu du jeune homme avec la ceinture jusqu'au sang. Le rouquin émit un cris de douleur alors que le cauchemar continuait. Ma poitrine commença à rougir, me brûler puis saigner sans que rien ne se passe. Rien à part le garçon qui continuait de se faire battre. Ayant mare de ses cris, l'homme lui pulvérisa de la peinture au visage pour le faire taire. Mes yeux se mirent alors à me brûler mais je ne pouvais bouger les mains, impuissant. L'agresseur noua ensuite sa ceinture autour du cou du roux et se mit à serrer de toutes ses forces. Je crachais du sang, cherchant en vain ma respiration. C'est alors qu'un filet de liquide rouge coula le long de mon ventre, je ressentis une douleur métallique puis tournai la tête vers le cadavre du garçon, un couteau planté dans l'estomac.

(8)

Ma respiration était courte, mais je me rattachais à l'idée que c'était ma dernière mort. J'oubliais les souffrances, et découvris une pièce qui me parut familière. En son centre se trouvait une femme rayonnante d'une trentaine d'années aux longs cheveux clairs et aux yeux cacao. A sa robe fleurie et au bandeau mauve qui tenait ses cheveux tressés, je reconnus la femme qui m'avait mis au monde. Ma mère. Une larme coula le long de ma joue tandis que je m'avançais sur la pointe des pieds comme si je ne voulais pas la déranger. Je tendis la main vers son épaule et ... traversa son corps fantôme. Je repris ma respiration et éclatais en sanglots, comment avais-je pu avoir ce sentiment de dernier espoir ? Je savais très bien que je l'avais perdu depuis longtemps ...

C'est alors que mon père arriva, taillé comme une armoire à glace, très grand aux cheveux ras et aux veines ressortantes. Son air froid ne m'avait pas manqué pour autant ...

« T'es contente ? Qu'est ce que tu vas faire avec ce sale gosse ? Hein ! C'est pour rester ici c'est ça, m'obliger à te loger ? » cria mon père.

Il lui asséna soudain un violent coup de poing et, ratant sa cible qui n'était autre que ses tempes, frappa au menton. Ma mère hurla de douleur pendant que, pour le première fois depuis chaque mort, je tournais le regard. Je sentis ma mâchoire me brûler et je savais très bien pourquoi.

« Je te jure que je ne peux pas partir ... tu ne peux pas laisser notre enfant à la rue ... » le supplia-t-elle.

Il la renversa en arrière et agrippa son cou d'une main ferme.

« Je sais mais ça ne m'empêche pas de me débarrasser de toi ...! »

Ces quelques mots me donnèrent la nausée. Je courus devant mon père pour l'empêcher de continuer ce massacre mais son poing traversa mon corps impuissant pour finir sa trajectoire dans le ventre de ma mère, et d'un certain point de vue dans le mien. Je crachais du sang à la suite de la jeune femme battue qui s'affala sur le sol.

« NON ! Maman ! » criais-je en déversant toutes les larmes de mon corps.

C'est alors que j'entendis des pleures venant d'une pièce non loin de moi. Je me levai, ayant soudainement mis de côté ce que je venais de voir et marchai en suivant le bruit qui devenait de plus en plus audible. Je découvris avec de grands yeux ébahis un jeune bébé dans son landau couleur poire. Il me fixai de ses yeux châtains d'une tel force que je crus voir mon reflet. D'un côté ça l'était, mais il quelques années auparavant. Tout à coup, je perçus un cris de douleur et une violente migraine me prit dans les tempes. Je me précipitai dans le salon et m'agenouillai devant le corps sanglant de ma mère étalé sur la moquette.

« MAMAN ! Je t'en supplie ... »

Mais il était déjà trop tard ...

Toi parmi mes DÉMONS [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant