VII - meeting.

257 20 10
                                    

Manchester est une ville incroyable, et je le pense sincèrement. Je m'y sens carrément chez moi. Et ici, tout à l'air beaucoup plus simple. En fait, tout est beaucoup plus simple.

Cela ne fait que deux jours que j'ai emménagé ici, avec Marcus, et je me sens déjà tellement à ma place. Il faut dire que le mancunien fait tout pour que je me sente chez moi, et ça marche plutôt bien.

Même si présentement, je ne me sens pas vraiment à l'aise. Marcus m'a traînée à un gala organisé par son club dans le but de me présenter à ses coéquipiers, mais surtout à son meilleur ami, dont je ne connais toujours pas le nom d'ailleurs.

Voilà donc vingt bonnes minutes que j'écoute monsieur parler football avec... l'un de ses coéquipiers sûrement ? Je ne me souviens pas.

Cela me laisse le temps de remarquer que son meilleur ami n'a pas l'air très ponctuel, puisqu'il n'est toujours pas là alors qu'il aurait déjà dû arriver il y a une demi-heure.

Je joue avec une mèche de cheveux lorsque Marcus m'interromps.

- Viens, Jesse est arrivé.

Jesse, c'est donc lui. Je fais une moue lorsque je me rends compte qu'il porte le même prénom que mon ex petit-ami.

Je suis Marcus sans un mot alors qu'il me force à me faufiler à travers des dizaines d'invités. Journalistes, joueurs, épouses, entraîneurs... Tout le gratin du football mancunien est présent.

- Jesse, je te présente..., commence Marcus avant que je ne lève la tête vers mes interlocuteurs.

- Ana ?!

Jesse semble surpris. Tout autant que moi.

Mon premier amour est donc le meilleur ami du garçon avec qui je fais semblant d'avoir une relation amoureuse ? Ça me donne mal au crâne.

- Vous vous connaissez ? nous demande en cœur Marcus et la... petite amie ? de Jesse.

- Non ! m'exclamais-je alors que, dans le même temps, Jesse répondait par la positive. Enfin, on a été amis quelques mois quand j'étais jeune mais c'est tout, mentais-je, suppliant Lingard du regard de me suivre dans mon mensonge.

Ce n'était vraiment, vraiment, vraiment pas le moment d'expliquer tout ça à Marcus.

- Bon, et bien, mon gars, Jena, je vous présente... Ana, hésita Marcus, ma petite amie.

- Enchantée, lança Jena avec un faux sourire. Alors comme ça, tu étais amie avec mon copain ?

- Oui, mais ça n'a pas duré longtemps. On s'est rendu compte que ça collait pas entre nous.

- Ça ne m'étonne pas, murmura-t-elle, juste assez fort pour que je l'entende.

J'aurais pu rétorquer. Mais la main de Marcus qui se resserrait sur la mienne m'a rapidement fait comprendre qu'il ne valait mieux pas que je me donne en spectacle.

- Je reviens, excusez moi, dis-je rapidement en partant vers une terrasse.

Jesse. Mon ex petit copain. Mon premier amour. Comment c'est possible ?

- Ana ? lança une voix derrière moi.

Je n'ai pas eu besoin de me retourner pour savoir de qui il s'agissait. Je reconnaîtrais sa voix entre mille. Même après tant d'années.

- Jesse, murmurais-je sans me retourner.

- J'y crois pas que ce soit vraiment toi, me dit-il en venant se poster à côté de moi alors que je ne lui ai pas jeté un seul regard.

- Comme tu vois.

- Pourquoi tu..., commença-t-il avant que je ne le coupe.

- Quand tu es sorti de l'appartement, j'ai voulu te courir après. Tu avais l'air si malheureux que j'ai failli oublier le passé. Tu marchais sous une pluie battante. J'ai voulu te rappeler mais aucun son ne sortait de ma bouche. J'ai pleuré et mes larmes se sont mêlées aux gouttes de pluie ravivant en moi des souvenirs amers. Je suis restée debout sur le trottoir, mes cheveux trempés retombaient lamentablement sur mon visage tandis que mon rimmel coulait sur mes joues et je me suis souvenue de la dernière fois que je m'étais tenue de la sorte sous la pluie. Tu m'avais trahie et moi, je me disais que j'avais tout sacrifié pour toi, ma vie, mes amis et même mes parents. Tu me disais qu'ils nous empêchaient de nous aimer, qu'ils mettaient une barrière entre toi et moi, qu'ils ne t'aimaient pas. Et moi, pauvre idiote, je t'ai écouté et nous sommes partis. Tu m'avais dit que tu avais trouvé un nouveau club un peu plus loin. J'ai tout quitté sur un coup de tête. Je t'aimais tellement. J'aimais tes yeux, j'aimais ton sourire enjôleur. J'acceptais tout de toi, ton mutisme, tes mensonges, tes colères quand je te posais des questions. Tu me disais que tout allait s'arranger, que c'était presque fait. Mais tout quoi ? Qu'est-ce qui allait s'arranger ? Je n'obtenais que de vagues réponses. Tu revenais de plus en plus irrité et quand je te posais des questions, tu me disais que c'était compliqué. Je te répondais « mais tu te rends compte de ce que je vis, de ce que tu me fais vivre. Je ne vais pas passer toutes mes journées à t'attendre ici sans rien faire. Je n'en peux plus, je n'ai pas d'amis, personne à qui parler, je ne connais personne et je n'ai nulle part où aller ». Je te cachais que je téléphonais en cachette à ma mère et à ma sœur en les rassurant. Je leur disais que tout allait bien, que, oui, le départ avait été un peu précipité mais qu'une occasion comme celle-là ne se représenterait pas deux fois, qu'il fallait la saisir. Je mentais à moi-même. Je m'inventais des histoires. Je me faisais croire qu'effectivement, on allait commencer une nouvelle vie avec de nouveaux amis et que, quand tout serait stabilisé, je ferais venir ma sœur et pourquoi pas ma mère. Elles semblaient sceptiques et me disaient de me méfier. Je leur rétorquais qu'elles voyaient le mal partout, qu'il fallait te donner une chance. Elles me répondaient que tout était quand même soudain. J'avais fini par me persuader qu'effectivement, elles ne t'aimaient pas, qu'elles mettaient des obstacles à notre amour sans failles. Je me mentais. Au bout de quelques semaines, je me suis aperçue que notre embarcation prenait l'eau. J'en avais assez de passer mes journées à t'attendre en visionnant des séries débiles à la télévision. Tu me disais de sortir, que tu ne me retenais pas, que je pouvais faire ce que je voulais. Ce que je veux ? Mais tu m'as amenée ici, soi-disant pour changer de vie. Je ne connaissais rien de tes projets, de tes amis, de tes relations. « C'est un peu plus compliqué que prévu », me disais-tu. « J'avais un plan et il est tombé à l'eau mais je vais rebondir ». Puis, tu me réconfortais et tu me prenais dans tes bras. J'étais dépendante de toi. Tu me disais « tu as raison, il ne faut pas rester seule, je vais te présenter quelqu'un ». Mais c'est avec toi que je veux passer mes journées. « Je ne peux pas, j'ai à faire ». Quelques jours plus tard, tu es revenu. Tu étais saoul. Et ton téléphone n'arrêtait pas de sonner. J'ai décroché et c'est elle qui a décroché et qui m'a tout raconté. Dans les moindres détails. Quoi, tu disais que tu m'aimais, que nous allions bâtir quelque chose et tu osais me tromper ? Mais qu'avais-tu dans la tête ? Je n'osais à peine y croire. Une petite voix intérieure me soufflait que ce ne pouvait pas être possible, qu'il devait y avoir une erreur... Je me suis recroquevillée le long du mur. Mes nerfs me lâchaient. Toute cette tension accumulée retombait. J'ai fondu en larmes. Je suis restée là prostrée quelques minutes sans penser à rien alors que toi, tu t'étais endormi sur le canapé, bien trop ivre après une énième sortie nocturne pour te rendre compte de ce qui était en train de se passer sous ton propre toit. Et puis, une petite alarme a retenti dans mon cerveau, j'ai pris mon sac et je suis descendue dans la rue. Je suis partie sous la pluie. Et quand tu es revenu à la raison, c'était déjà trop tard.

- Je...

- Non. Ne dis rien. Je suis avec Marcus maintenant, et tout ce que je veux, c'est tirer un trait sur cette histoire... Et sur toi Jesse.

Et je suis partie. Encore une fois, sans un mot, le laissant là. Seul, sous la pluie qui commençait à s'abattre sur Manchester.

________________

𝙴𝚂𝙲𝙾𝚁𝚃 / 𝒥𝑒𝓈𝓈 𝐿𝒾𝓃𝑔𝒶𝓇𝒹Where stories live. Discover now