~ Bryan
Suite à sa révélation, un silence glacial s'installe entre nous. Je me décale d'elle pour voir son air coupable. Je suis le mieux placé pour savoir à quel point la culpabilité peut nous ronger de l'intérieur. Particulièrement quand on se dit que l'incident ne se serait pas produit si nous n'avions pas été là. Je l'écoute attentivement replonger, le regard vide, dans une souffrance que je ne connais que trop bien.
- Durant ma première année de lycée, je n'étais pas la fille exemplaire que tu penses. Au contraire, j'avais de mauvaises fréquentations, j'étais insolente avec les profs, je séchais les cours... Mes parents étaient tous les deux pilotes dans de grandes compagnies aériennes alors je ne les voyais presque jamais et ils n'étaient pas vraiment là pour me réprimander. Tout était tellement plus simple quand j'étais petite : ils n'avaient pas encore eu de promotions, nous partions souvent ensemble dans le petit avion familial . Mais leur travail a changé nos habitudes ces dernières années. Donc j'ai commencé à faire des conneries pour leur prouver qu'ils me manquaient. Sauf que cette méthode n'a fait que nous éloigner davantage. Ce jour-là, nous étions ensemble pour fêter la nouvelle année avant qu'ils ne repartent le lendemain. Mais rien ne s'est passé comme prévu. Ils ont retrouvé par hasard le bulletin scolaire que j'avais caché dans mes affaires et tout est parti en vrille.
Mes pouces arrêtent la course de ses larmes sur ses joues. Elle continue son monologue avec une faible voix.
- On a eu une énorme dispute, plus violente que les autres fois. Je ne les avais jamais vu aussi énervés. Ils ne comprenaient pas mon comportement et moi, je voulais seulement qu'ils redeviennent comme avant.
- Et qu'est-ce qui s'est passé ?
- Ils sont sortis de la maison. Je ne savais pas que leurs airs contrariés en claquant la porte seraient le dernier souvenir que j'aurai d'eux. Ils...
Elle me regarde dans les yeux, la respiration entrecoupée par des hoquets.
- Mes parents ont décidé de partir avec notre petit avion sans moi, sûrement pour se changer les idées comme ils le font toujours. L'équipe a vérifié le fonctionnement de l'appareil. À première vue, il n'ont détecté aucun problème. Mais après dix minutes de vol, il y avait bel et bien une défaillance technique que personne n'avait remarqué : le carburant fuyait. Il a suffit d'une étincelle... L'avion en surchauffe a explosé puis s'est crashé à quelques kilomètres de l'aérodrome.
Ce sentiment d'impuissance en réalisant qu'on a été incapable de sauver les êtres que l'on aime m'est familier. Je la serre fort dans mes bras même si je sais que cela ne suffira pas à faire disparaître la douleur. Ce qu'elle a vécu me ramène à mes propres souvenirs : des mains recouvertes de sang, des pleurs mêlés à des cris d'horreur, l'infâme présence de la mort mais je les éloignent en secouant la tête. C'est elle l'important dans l'immédiat, je dois essayer de la consoler du mieux que je peux.
- Je suis tellement désolé, Ky. Comment tu as appris pour tes parents ?
- Max, un membre de l'équipe de l'aérodrome m'a appelé. J'ai pensé tout de suite qu'un truc clochait. Il m'a dit que je devais me rendre en urgence là-bas. Alors j'ai su que ça avait un rapport avec mes parents, qu'il leur était arrivé quelque chose de grave. J'ai pris la voiture de ma mère et en arrivant sur les lieux, plusieurs voitures de police et véhicules de secours y étaient garées. Les visages anéantis du personnel lorsqu'ils discutaient avec des policiers me faisaient craindre le pire. Je cherchais parmi cette foule mes parents pour leur dire que je m'excuse de les avoir déçu. Il fallait que je les retrouve, en voulant à tout prix chasser la sensation qui me comprimait la poitrine. À la place, j'ai croisé le regard de Patrick qui était planté en face de moi, des larmes coulant sur ses joues. En un regard, j'ai compris que je ne les reverrai jamais. Qu'ils avaient quitté ce monde sans prévenir. Ils n'en seraient pas arrivés là si je ne les avais pas poussé à bout. Ils n'auraient pas pressé le personnel pour pouvoir voler et ils auraient trouvé une anomalie dans l'appareil. Je les ai tué, Bryan...
Elle se prend la tête dans les mains.
- Arrête, tu n'as pas tué tes parents. Ce n'était qu'un accident. Tu ne pouvais pas savoir que l'avion était défectueux. On ne peut pas prévoir ni éviter ce genre de choses, tu n'as pas à te sentir coupable.
Je lui caresse les cheveux et pose doucement mes lèvres sur son front. Ses sanglots se calment peu à peu.
- Les flics m'ont expliqué les faits. J'étais en plein déni. Il était impossible pour moi d'accepter qu'ils étaient morts. Mon parrain et ma tante Lucie étaient les meilleurs amis de mon père et je venais souvent dormir chez eux quand je me disputait avec mes parents et que je ne voulais pas rester à la maison. Ils se sont occupés de moi pendant des jours où je me demandais si la vie avait toujours un sens. Puis, la police m'a recontacté plus tard pour m'annoncer que l'analyse de la boîte noire était finie. Ils ont fait une copie de l'enregistrement que j'ai gardé sur une clé USB. Mes parents voulaient me transmettre un message avant l'explosion. Je l'écoute tous les ans depuis parce que c'est comme s'ils me parlaient, tu vois ? Je l'ai mais je ne suis pas sûre que tu veuilles écouter ça.
- Si tu veux le partager avec moi alors je veux bien l'écouter.
Je lui fais un sourire d'encouragement. Kylie hoche la tête. Je la suis dans la chambre et elle insère une clef dans son ordinateur, posé sur le lit. Un bourdonnement sourd suivi d'une voix de femme sortent des haut-parleurs. Elle me prend la main comme pour que je l'aide à affronter cette épreuve.
- "Kylie, j'espère que tu m'écoutes... Je sais qu'on ne s'est pas toujours entendus mais tout ce que nous avons fait, c'était pour ton bien. Tu es notre fille. Si on ne s'en sort pas, je veux que tu nous rendes fiers comme tu le fais et surtout que tu poursuivre tes rêves. Tu mérites d'avoir un avenir meilleur. Je t'aime tellement et je veux que tu t'en souviennes.
- Nous sommes vraiment désolés de ne pas avoir passé plus de temps avec toi. J'ai confiance en Patrick et Lucie. Je suis sûr qu'ils prendront bien soin de toi. Nous serons toujours là pour veiller sur toi, ma puce. Tu resteras notre fille adorée. On t'aime énormément et rien ne pourra changer ça", ajoute son père.
Des "je t'aime" sont chuchotés avant qu'un énorme bruit ne les plonge dans le néant.
- Depuis l'accident, j'ai perdu la passion de l'aviation que je partageais avec mes parents et la peur du vide s'est emparée de moi pour ne plus me lâcher. (Elle me montre le tatouage que j'avais déjà remarqué sur sa cheville) Ce tatouage était en leur honneur. C'est une manière de ne jamais les oublier en le regardant.
- Merci de t'être confiée, c'est important pour moi. Je sais que ce n'est pas facile pour toi de me parler de tes parents.
Ses parents, son adolescence, elle n'était pas obligée de m'en parler mais elle a choisi de me montrer la partie immergée de l'iceberg que peut de personnes connaissent. Je reste quelques heures à la serrer dans mes bras, sa tête sur mon torse, sans rien dire et soudain j'ai une idée pour la refaire sourire. Je prends deux serviettes et je lui fais signe de se lever :
- Je ne supporte pas de te voir triste. Viens, je t'emmène quelque part.
- Bryan... Je n'ai pas la tête à ça...
- Aller c'est à toi de me faire confiance maintenant. Ça va te plaire.
Elle finit par accepter. Nous marchons silencieusement vers la terrasse et descendons les escaliers en bois qui mènent à la plage.
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Unpredictables - You got me !
Romance"Derrière la colère et les "je te déteste" se cache un amour que personne ne pourra briser" Bryan, patron d'une agence d'événements célèbre aux États-Unis, enchaîne les relations sans attaches, déterminé à rester irresponsable jusqu'à la fin de ses...