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Il referma son ordinateur portable d'un geste souple alors qu'il sirotait les dernières gouttes de son thé, la boisson chaude se répandant avec douceur et régal sur sa langue, son palais, pour finalement couler dans sa gorge. Son regard sombre se déposa doucement sur l'extérieur, à travers la fenêtre qui le maintenait encore au chaud. Une pluie diluvienne s'abattait sur Séoul depuis les premières heures du jour et il lui semblait que tous les esprits des têtes vivantes étaient englués dans cette dépression saisonnière qui ne laissait aucune chance. Ou peut-être était-ce sa propre dépression maladive qui continuait à le tirer au fond, il ne savait plus réellement. Il s'était lui-même enfermé dans ce genre de mentalité, dans ce genre de fil de pensée et peut-être qu'il avait tendance à projeter ses propres inquiétudes et son propre désespoir sur chaque personne qu'il voyait. Ses prunelles de chaos suivaient religieusement chaque personne qui passait devant lui dans les rues, certain bienheureux de déambuler à l'abris sur les trottoirs, d'autre ayant pensé à prendre leur parapluie, offrant une décoration unique à ce paysage gris, tandis que d'autres courraient en de grandes enjambées pour éviter la pluie. Il lui sembla même que les gens dansaient entre les gouttes, dans une valse unique, qui lui gonflait le coeur. Il pensa dans un léger soupir que, s'il devait sortir maintenant dans les rues, alors il serait celui qui resterait sous la pluie, droit comme un piquet, laissant celle-ci dégouliner sur son corps, danser sur ses longues mèches brunes. Il serait celui qui écrirait une ode à la pluie et à son désespoir.

Un sourire amer se dessina sur ses lèvres alors qu'il détachait enfin son attention de l'extérieur. Il rangea son ordinateur dans son sac avant de renfiler aisément son long manteau, son écharpe et ses gants de cuir. Ses mèches n'avaient pas bougées de leur chignon maladroit et il s'extirpa de sa place en laissant un pourboire sur la table, tournant les talons sans réellement regarder derrière lui. Il quitta le café dans lequel il avait élu domicile pour les dernières heures pour aller braver le mauvais temps à l'extérieur. Enfin, il avait l'impression que son inspiration était revenu. Il avait retrouvé cette balance de douleur et de désespoir, juste assez effacés pour qu'il ne puisse les convier en écriture et en émotions bruts sur la feuille électronique de son clavier. Depuis que sa vie était en train de chuter de façon droite et rectiligne, vers un but précis qui serait destructeur, alors il avait réussit à écrire de nouveau. Il pensa même peut-être un peu honteusement que la présence de Jimin dans sa vie l'avait empêché d'écrire correctement, l'avait distrait de sa concentration habituelle, l'avait juste plongé dans un océan de bonheur et d'émotions si nouvelles et si difficiles, qu'il n'avait jamais eu l'occasion d'appréhender auparavant, qu'il n'avait pas été en mesure de les écrire. De les réutiliser. Et soudainement, ces émotions qui avaient empiété tout son espace personnel, chacune de ses pensées et chacun de ses gestes, avaient disparu brutalement pour ne laisser place qu'au désespoir.

Un désespoir brutal, profond et violent qu'il savait comment maîtriser, qu'il savait utiliser à son avantage. Et même si cette soudaine capacité était tout aussi nouvelle que son amour découvert et si soudainement abandonné envers un certain blond, il se surprenait toujours un peu plus à être de plus en plus positif dans sa façon d'appréhender sa propre dépression. Et pourtant il savait qu'il était loin d'en être débarrassé. Il ne le serait jamais, serait toujours malade, serait toujours catégorisé comme fou, ingérable et effrayant aux premiers abords. Serait toujours confronté à ses préjugés concernant sa propre maladie, son propre être, sur ce qu'il était réellement. Serait jugé par des incompétents, des gens qui n'y connaissaient rien. Son histoire serait racontée de nombreuses fois par des personnes qui croyaient s'y connaître, puis déformée, manipulée par le bouche à oreille. Il serait toujours Jeon Jungkook, écrivain Sud Coréen, diagnostiqué bipolaire à l'enfance et n'ayant pas eu le luxe de se soigner. Jeon Jungkook, aujourd'hui adulte, encore en mesure d'apprendre, de changer et d'évoluer, pour devenir quelqu'un de nouveau, de meilleur et de plus avéré. Jeon Jungkook, déterminé à changer les choses, à ne plus faire les mêmes erreurs, à ne pas laisser couler l'amour de sa vie, cette même personne qui revenait toujours vers lui d'une façon ou d'une autre. Il était fier de dire qu'il était Jeon Jungkook, bipolaire et amoureux d'un homme qui avait besoin d'aide. Et il allait l'aider. Coûte que coûte.

ROSE COTONNEUX T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant