Chapitre 5

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Deux semaines plus tard, Louise pensait qu'Ugo l'avait oubliée et elle ne le regrettait pas. Après mûre réflexion, elle s'était rendu compte que sortir dans un restaurant avec un homme quasi-inconnu se révélait être un acte complètement inconsidéréet elle s'estimait heureuse d'être rentrée... entière. Il lui avait fallu plus d'une semaine pour ne plus avoir peur de le croiser,et deux jours de plus pour arrêter de sursauter lorsqu'elle voyait une silhouette semblable à celle d'Ugo.

Elle avait repris sa vie là où elle l'avait laissée, entre la danse et la préparation du bal des débutantes ; coutume non officielle, importée par les Anglais lorsqu'ils étaient venus chercher refuge aux États-Unis. Coutume non officielle et ô combien barbante dont elle n'avait aucune envie de faire partie.

Sa barre de danse était devenue sa meilleure amie et la salle sa pièce de vie. Louise voulait passer des auditions à l'opéra et elle devait s'entraîner dur pour réussir. Tous les jours, elle se rendait sous les toits, elle mettait son justaucorps et ses pointes, elle s'assurait que la porte était fermée à clef pour que personne ne puisse la voir, elle mettait en route le gramophone et elle s'entraînait durant des heures.

─Louise tu es désespérante ! Ne peux-tu pas faire autre chose que de la danse de temps en temps ?

Emma, seule détentrice de la clé mise à part Louise et le concierge, était entrée sans crier gare. Elle se tenait en plein milieu du parquet, les mains sur les hanches et les sourcils froncés.

─Alors ?

─Alors quoi ? demanda Louise.

─N'as-tu rien d'autre à faire ?

─Non ! Tu sais très bien que je dois travailler mes postures et mes écarts !

─Tous les jours ? Vraiment ?

Louise leva les yeux au ciel et alla éteindre le gramophone. Emma ne la laisserait pas tranquille jusqu'à ce qu'elle cède. Attrapant une serviette qu'elle passa autour de son cou, elle se tourna vers son amie, les bras écartés.

─Que veux-tu que je fasse d'autre ? demanda-t-elle exaspérée.

─Sortir ! Voir du monde ! Vient avec moi ce soir, je vais dans un club privé.

─Tu sais très bien que c'est impossible. Mes parents...

─Tes parents n'en sauront rien ! Ils sortent avec les miens comme tous les jeudis.

─Tu ne me laisseras pas tranquille tant que je ne t'aurai pas dit oui, n'est-ce pas ?

Les bras croisés sur la poitrine, Emma lui offrit son meilleur sourire en coin. Louise soupira... puis abdiqua.

─Très bien, dis-moi à quelle heure tu veux que je te rejoigne chez toi.

─Dans deux heures, et mets ta robe la plus sensuelle, Ugo vient très souvent dans ce club.

─Ugo ? Mais Emma !

─Je ne t'entends plus ! lui cria-t-elle en agitant sa main par dessus son épaule tout en sortant de la pièce.

Mettre sa robe la plus sensuelle, et puis quoi encore ? Elle ne se prêterait pas à ce jeu ridicule un jour de plus ! Une fois lui avait suffi, elle redeviendrait Louise Kremer, aux oubliettes Lucia la danseuse de cabaret. Et puis avec un peu de chance, Ugo ne serait peut-être pas présent ce soir-là et elle passerait une soirée agréable à faire la connaissance des amis d'Emma.

Mais si ce n'était pas le cas ? S'il venait tout de même durant la soirée ? S'il la voyait ? S'il l'abordait ? Elle devrait alors reprendre son rôle et en assumer les conséquences. Mais quelle idée lui était passée par la tête ? Pourquoi avoir monté de toutes pièces une telle histoire ? Tout ça pour une rancœur de petite fille.

Amour ProhibéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant