Réminiscence - Partie 1

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Mitras, Mur Sina, 16 mai 851

Ce fut dans la petite brise douce du matin que Mike sortit de la caserne militaire où il s'était arrêté, la veille au soir. Il était parti il y avait quatre jours de cela de Shiganshina ; la mission qu'on lui avait confiée était assez étrange pour qu'elle fût urgente, et qu'il dût s'en charger seul.

Il n'y eut que lui, son uniforme du Bataillon et son équipement tridimensionnel pour traverser la capitale, ignorer les regards désappointés des nobles qui passaient là, et s'arrêter, enfin, devant la bouche béante et bilieuse des Bas-fonds. Il n'attendit pas plus longtemps pour s'engager dans les escaliers humides qui s'offraient à lui.

L'odeur de pourriture et de pauvreté eut tôt fait d'agresser ses narines qu'il chérissait tant, mais rien n'égalait celle de mort qu'il rencontrait sur chaque champ de bataille. Il passa donc outre, et continua son chemin, toujours plus impassible.

Il était déjà venu ici, après tout, il y avait sept ans de cela. Il n'aurait jamais pu oublier les carcasses sifflantes étalées dans la rue, en pleine agonie, ni les innombrables bâtiments craquelés qui servaient de maison aux condamnés qui vivaient là. Mais son masque impassible, lui, ne tomba pas, même sous les regards noirs des passants.

Ils détestent encore l'armée, constata-t-il en se saisissant de ses manettes de commandement. Pourtant, les Brigades Spéciales ont été chargées de faire des distributions de nourriture toutes les semaines. Il planta son axe droit dans une bâtisse, puis se lança dans l'air immobile et stagnant. Je suppose que leurs conditions de vie ne sont toujours pas acceptables.

Sous ses yeux vert pâle se découvrit la ville jaunâtre, aux touches de sombre et de clair et au toit de stalactites acérées, prêtes à chuter. Dire que Livaï a vécu là près de dix ans. Dix... Ou vingt-cinq, selon le point de vue...

Il passa dans une ruelle, et esquiva sans problème un pont dont la solidité était plus que douteuse. Stéphane Bern a dû dire à Marion que c'était Antoine, songea-t-il. Est-ce qu'elle lui a dit ? Ça a dû être un choc pour elle, et d'autant plus en le voyant.

Un toit se présenta à lui ; il courut dessus un instant pour économiser du gaz, repéra le quartier où il devait se rendre et reprit sa course de plus belle. Si elle lui a révélé, il n'a pas dû être en bien meilleure place. Enfin... Maintenant que les américains ont modifié sa mémoire, ça n'importe plus vraiment pour elle, et il vaut mieux qu'elle ne soit pas au courant – elle le déteste bien assez pour que du trouble se rajoute là-dessus. Mais je me demande ce que pense Livaï.

Finalement, après quelques virages, il arriva devant une maison à demi enterrée, collée à une autre. Leur escalier commun se séparait en deux pour rejoindre chacun une porte en bois sombre. Le tout se trouvait dans une petite place carrée, jonction de plusieurs rues miteuses aux dalles recouvertes de crasse.

Il atterrit souplement au sol. Le connaissant, il doit cogiter... Mais il est assez pro pour que ça ne se voie pas. La Résistance a vraiment retrouvé un très bon élément, et Erwin aussi. De toute manière, si l'idée ne lui était pas venue, j'aurais été chargé de l'implanter moi-même dans son crâne. Il dut couper court à sa réflexion lorsqu'il atteignit enfin l'entrée et frappa trois coups secs.

« Qui est-c'qui s'pointe ? » s'éleva une voix grave. Il se racla la gorge.

« Mike Zacharias, se présenta-t-il sur un ton neutre. Chef d'escouade du Bataillon d'Exploration.

— C'est un militaire ? entendit-il murmurer.

— Ouais. Qu'est-c'que vous voulez ?

— Poser des questions à propos de Marion Griffonds. »

L'autre eut un hoquet de surprise, et entrouvrit la porte, découvrant un œil foncé et acéré, balafré d'une vieille cicatrice. « Entrez », marmonna-t-il en ouvrant plus grand. L'explorateur pénétra une pièce simplement meublée d'une table basse branlante, d'une autre, ronde, leur servant manifestement pour manger, d'un canapé usé et de quelques rangements placés au-dessus d'une cuisinière des plus rudimentaires.

« J'm'appelle Sven », grommela l'homme à la carrure solide. « Là, c'est Mert. » L'intéressé, un jeune homme mince au visage pâle, darda ses yeux marron sur lui. Ses traits fins reflétaient une inquiétude non dissimulée.

« Marion... Ça fait un bail qu'on l'a pas vue, si vous vous demandez, murmura-t-il. Elle ne vous a pas rejoints ?

— Si. Nous avons besoin d'informations sur les instants qu'elle a passés avec vous.

— Si c'est pour nous j'ter en prison, cracha le plus vieux, vous pouvez partir maint'nant !

— Ce n'est pas le travail du Bataillon, contra le guerrier. »

Ils le regardèrent avec méfiance, mais détendirent leurs épaules. « Est-ce qu'elle a entretenu une relation avec quelqu'un dans les Bas-fonds ? » Il y eut un instant de flottement dans la pièce ; puis, les sourcils du chef se froncèrent de surprise, et les joues du jeune homme virèrent à l'écarlate. Un candidat potentiel ?

« Nan, j'crois pas. Mert, ça t'dit quelqu'chose ? » Plongé dans un profond embarras, l'intéressé secoua vigoureusement la tête. « Boh, en tout cas, on a rien vu. Mais c'est c'qu'on appelle une question étrange, ça ! D'où ça vient ? » Mike laissa échapper un court soupir, et leur parla d'amnésie et de remarque étrange – en faisant, naturellement, abstraction des américains.

« Nous avons besoin de savoir si elle peut récupérer la mémoire », conclut-il. « Nous sommes désolés de vous importuner avec de telles affaires. » Sven secoua la tête. « Bon, c't'était tout ? On a pas qu'ça à foutre. »

Les sourcils de l'officier se froncèrent presque imperceptiblement. Le ton du chef de gang, pourtant bien maîtrisé, venait de trahir un empressement assez suspect pour titiller son oreille. Ils planifient quelque chose.

Il chercha discrètement un indice sur la face de Mert pour confirmer son hypothèse. Seulement, il n'y lut qu'une gêne sans nom, accentuée par ses yeux qui se promenaient de droite à gauche, sa main qui grattait nerveusement sa tunique, et ses teintes plus écarlates encore qu'avant. Marion a du succès, par ici.

Il n'attendit pas plus pour tourner les talons et poser sa main sur la poignée. « Merci pour vos réponses », se contenta-t-il de dire avant de sortir. Il descendit tranquillement les marches glissantes, jeta un rapide coup d'œil circulaire sur la place figée, et repartit survoler les toits de plus belle.

Toutefois, il se permit un petit détour, et fixa avec le plus d'attention possible les rues humides autour de lui. Bientôt, un grand homme, vêtu d'un long manteau laissant deviner une silhouette mince, au visage anguleux partiellement caché par un chapeau Homburg dont le noir contrastait avec son bandeau singulièrement clair, apparut.

Ce fut sans difficulté qu'il reconnut les grandes foulées assurées et l'aura intimidante de Kenny Ackerman. Il devrait être mort. L'individu se dirigeait vers la baraque d'où venait le combattant ; nul n'aurait douté qu'il comptait s'y rendre.

Est-ce qu'il a effectué un transfert spatio-temporel, et que c'est un lui plus jeune qui se tient là ? Après tout, l'oncle de Livaï était quelqu'un d'incroyablement rusé. Mais ses doigts, avec leurs rides et leurs cicatrices, ne faisaient preuves d'aucune jeunesse. Livaï l'avait pourtant tué...

Ses lèvres s'entrouvrirent. Du moins, c'est ce qu'il m'a dit. Il a manifestement raté son coup. Sans attendre plus longtemps, il reprit ses manettes de commandement pour continuer sa route. Est-ce que c'est raisonnable de le laisser là ? se demanda-t-il. Il collaborait avec l'ennemi, mais je ne peux pas le combattre seul. Avec ça, les choses vont se gâter...

Son regard se durcit, et il accéléra la cadence. Je dois absolument faire la lumière sur cette histoire.

Lien vers l'image : https://www.zerochan.net/2196184

ʟ'ᴀᴜ-ᴅᴇʟᴀ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 ⌜ᵗᵒᵐᵉ ²⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant