Mi-temps - Partie 6

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Shiganshina, 1er Août 851

La nuit était tombée sur la base. Dans une pièce aux murs de pierre froide étaient réunis Marion et ses deux gardes, Mike, et Antoine. Ce dernier regarda une montre à écran que portait l'homme. « Dans une minute trente, on me transfère », laissa-t-il tomber.

Livaï vit la chercheuse baisser le menton. C'était trivial, elle était dévastée de laisser son meilleur ami partir sans jamais le revoir... Du moins, pas sans avoir drastiquement changé. Ils avaient passé l'heure précédente ensemble, à parler de tout et de rien ; mais plus le moment fatidique approchait, plus la tristesse s'était imposée dans leur regard.

Le grand chef d'escouade se tenait prêt à faire le décompte. Les deux amis se regardèrent quelques temps, un sourire peiné aux lèvres.

« Je suppose qu'on ne se reverra plus, finit par dire la jeune femme.

— Tu me reverras, répondit l'autre en jetant un discret coup d'œil au petit homme, mais on peut dire ça comme ça. »

Elle s'avança, et ils se firent face en silence. Le caporal-chef surprit le regard méfiant d'Annie. Marion s'était distancée d'elle depuis qu'il les avait surprises, et la blonde n'en semblait pas heureuse du tout.

« Ce ne sera pas vraiment la même chose.

— Si, insista le jeune résistant. Marion, écoute...

— Il reste vingt secondes, intervint Mike.

— Je t'écoute.

— Lorsque je reviendrai dans la R2.0, débita-t-il plus rapidement, je ne garderai aucun souvenir de mon passage ici. Mais je veux que toi, tu ne regrettes rien, d'accord ? On a passé du bon temps ensemble, n'est-ce pas ? Et n'oublie pas ce que je t'ai dit.

— Dix secondes.

— Je ne l'oublierai pas. »

Il y eut un court silence.

« Cinq secondes.

— Marion, ne meurs pas.

— Je ne mourrai pas, promit-elle dans un souffle, au bord des larmes. »

L'autre sourit.

« Trois...

— Une dernière chose. »

Antoine s'approcha d'elle. « Deux... » Elle s'avança pour l'étreindre, mais il lui prit le menton. « Un... »

Là, il l'embrassa.

Une fraction de seconde plus tard, le noir se fit brièvement. Lorsqu'ils recouvrèrent la vue, Annie écarquillait les yeux d'horreur, et Marion tombait à genoux d'un air éberlué. Le caporal-chef, quant à lui, entrouvrit la bouche.

Il l'a embrassée ? Il resta tétanisé. Je l'ai embrassée ? Il secoua la tête, se frotta les deux, et les rouvrit. Des larmes coulaient sur les joues de la scientifique. Je l'ai embrassée. Cette sensation inconnue parut lui revenir comme un souvenir enfoui. Il aurait presque pu douter que les lèvres de Marion n'étaient pas posées sur les siennes.

Profondément perturbé, il ne sut comment réagir lorsqu'elle le regarda. Et merde. Je l'ai embrassée. Il ne put s'empêcher de poser les yeux sur la première chose qu'il pouvait voir. Ce fut l'ex-ennemie que ses pupilles trouvèrent. Elle avait retrouvé une expression impassible.

Putain de merde. Va te faire foutre, ancien moi. Il serra imperceptiblement les dents. Quelle bonne idée. L'embrasser devant moi-même. Quel genre de crétin j'étais ? Il se résolut finalement à faire face à la jeune femme. Un sanglot s'échappait de sa gorge. Il eut du mal à garder un air imperturbable.

Est-ce qu'elle était amoureuse de moi ? Il plissa les paupières. Non, j'ai bien remarqué les regards que le moi jeune lui lançait, mais elle ne semblait pas ressentir la même chose. Il tenta de se remémorer quelque chose, un sentiment, une pensée, mais rien ne lui vint.

Ses épaules se relâchèrent. Et maintenant ? Il réfléchit un instant. Ce n'est pas pareil, non. Elle se releva finalement, et essuya son visage. Certainement pas. La blonde parut hésiter à avancer. Fait chier. Il se prit l'arête du nez entre ses doigts. Va te faire foutre, Antoine. Il releva le menton. Mike le fixait. Tu veux ma photo ?

« On y va », lâcha-t-il en tournant les talons. On ramassa les habits que l'adolescent avait laissés après son transfert, et ils rejoignirent leur dortoir situé à l'étage. Annie et Marion entrèrent les premières ; avant que Livaï ne puisse faire de même, son collègue posa une main sur son épaule.

« Livaï. Tu as l'air étrange.

— Sans blague.

— Ton regard n'est pas le même.

— Quelle surprise.

— Tu es sûr que ça va ?

— Ma réaction est plutôt normale, jeta-t-il.

—C'est vrai. »

Il le sonda toutefois du regard. « Mais ne perds pas ton sang-froid », dit-il avant de partir. Perdre mon sang-froid. Songeur, il l'observa s'en aller. Je ne compte pas le perdre, grande perche.

ʟ'ᴀᴜ-ᴅᴇʟᴀ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 ⌜ᵗᵒᵐᵉ ²⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant