ʟ'ᴀᴜ-ᴅᴇʟᴀ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 ⌜ᵗᵒᵐᵉ ²⌟

Voyage - Partie 3

Karanes, Mur Rose, 1er Août 850

Le soleil se levait tout juste lorsque Leah sortit des salles d'eau. Chassant la fatigue qui lui engourdissait les membres, elle s'étira longuement et bailla un bon coup, avant de repartir d'un pied énergique vers le bâtiment principal.

Elle pénétra un couloir vide ; ses pas résonnèrent sur les dalles de pierre. Fredonnant légèrement un air, elle bifurqua dans un escalier, qu'elle franchit de quelques bonds. Quelques mètres plus loin, elle ouvrit une porte en bois grinçante et la franchit.

Dans une pièce simple, autour d'une table, étaient assis Cindi, Samuel, Eren et Livaï. « Excusez-moi pour le retard », lança-t-elle en s'installant à côté du jeune châtain. Le regard du blond la transperça ; l'irritation la piqua. Tu es un homme mort, pensa-t-elle, souriante, en caressant du bout des doigts un petit poignard qu'elle gardait dans sa ceinture.

Pour avoir déjà vécu toutes ces scènes, elle le savait : il était un espion, un très bon espion, qui allait, dans un peu plus d'un mois, renverser la balance et mener l'humanité à sa perte. Il n'y a qu'un seul moyen de te stopper, pensa-t-elle, ne prenant pas la peine d'écouter son supérieur donner des consignes dont elle se souvenait à la lettre.

« Emilie », l'appela-t-il alors. « Tu t'occuperas de la salle d'eau », devina-t-elle. Elle peignit un air très sérieux sur son visage et attendit. « Tu t'occuperas de la salle d'eau. » Elle hocha la tête, et ignora son cœur qui venait de se serrer.

Il y a deux mois et demi, tu étais mort. Elle revit le corps inerte et désarticulé du caporal-chef qui s'était écroulé sous ses yeux, lui ordonnant, dans son dernier râle, de fuir cet enfer. Et je t'ai désobéi, songea-t-elle. En fait, je te désobéis en continu depuis le vingt mai. Rien qu'en me tenant là, je te désobéis. Quelle insolente je fais, hein...

Tuer son alter-ego, revivre les deux derniers mois, et redoubler d'efforts pour garder exactement le même comportement étaient les trois choses les plus éreintantes qu'elle n'ait jamais faites. Pas un détail ne doit diverger de ce que j'ai vu, jusqu'à ce que je trouve l'occasion de trancher ta putain de gorge, Samuel.

Une haine sans nom l'envahit : mais elle ne parvint pas à briser le masque que la soldate tenait constamment depuis son retour en 850. Elle se recentra sur ses pensées, suivant au millimètre près le chemin qu'elle avait déjà parcouru, en ce jour, en cette heure, il y avait de cela quatre ans.

Non... En fait, il y a bien une chose qui a changé. Après être revenue, la veille de l'arrivée de Marion dans les Murs, près de l'ancien quartier général du Bataillon, elle avait retrouvé l'autre Leah avec quatre ans de moins, lui avait rapidement expliqué les faits, et l'avait assassinée proprement, d'un simple coup à la gorge, pour l'enterrer discrètement. Elle avait ensuite enfilé ses vêtements, et avait lavé le sang de ses anciens camarades massacrés qui tâchait sa peau.

Ou deux... Après cela, elle avait contacté le seul autre résistant qui avait infiltré le Bataillon : Mike Zacharias. Elle avait simplement frappé à sa porte, était entrée dans son bureau et lui avait tout déballé. Il l'avait écouté, écarquillant légèrement les yeux, avait acquiescé plusieurs fois et avait prononcé ces seules paroles : « Fais ce que tu dois faire. Je te couvre. »

Il la couvrit mieux que ce qu'elle espérait, répétant, sans le savoir mais avec une très grande précision, chacun des gestes qu'elle l'avait vu faire. Ils n'avaient plus jamais reparlé de ce qu'elle avait vécu – préserver cet équilibre fragile était bien plus important que de se lamenter sur son sort.

Elle retourna dans les salles de bain, seau et éponge à la main, toute équipée pour un grand nettoyage. Quand on ne combat pas, on nettoie, sourit-elle en s'attaquant aux vitres, un œil posé sur sa montre. Elle se souvenait de chaque détail, chaque petite erreur, lui permettant de les reproduire parfaitement.