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Je pense que la compassion devrait retourner au fin fond de mon cerveau, pour ne plus en sortir. C'est Kelian, quoi !

C'est vrai qu'en apercevant son état proche de l'hystérie, les poignets entaillés à cause des cordes et le regard fou, j'ai senti poindre l'un de mes rares moments d'empathie. Je n'en fais pas preuve souvent, mais force est de constater que Kelian, malgré que ce soit... Kelian, attire ma compassion.

J'ai détaché son corps du poteau et il s'est précipité dehors en trébuchant. Les yeux écarquillés, il a levé le visage vers le ciel et respiré bien trop fort. Sa peau livide témoignait du terrible moment qu'il venait de vivre, attaché dans ce cabanon sombre. Enfermé.

Ses cheveux ébourriffés m'ont fait penser à un hérisson sorti d'hibernation, mais ce n'était pas trop le moment pour une blague douteuse, alors je me suis assise à côté de lui sans ouvrir la bouche. Sorgin nous a rejoints, visiblement un peu déçu, les sourcils froncés sous sa chevelure blanche. Il s'apprêtait à nous dire quelque chose, mais le loup noir a secoué la tête.

— Encore raté, l'a devancé Kelian. Et je refuse de subir une nouvelle chose aussi... aussi...

Il frissonne sans terminer sa phrase, tout en frottant ses poignets nerveusement. Il semble ne plus vouloir voir de cordes, de poteau et de cabanon tout noir pour toute sa vie. Et je le comprends parfaitement, claustrophobe que je suis. Je pourrais presque ressentir sa terreur à sa place, rien qu'en imaginant m'y enfermer deux minutes.

— Repose-toi, on recommencera demain. Je vais réfléchir. On est loin d'avoir tout essayé, ne t'inquiète pas... dit Sorgin en se dirigeant vers l'autre côté du Sanctuaire, la mine toutefois soucieuse.

Kelian baisse la tête et serre légèrement les poings, sans doute frustré. Ses yeux brillent doucement. Il pleure ? Bien vite cependant, la lueur disparaît et il relève le visage, observant les mouvements de l'herbe sous la brise.

— Eh... Demain, ce sera bon. Je suis sûre qu'on trouvera, lui avancé-je sans trop savoir pourquoi.

Il me jette un coup d'œil circonspect, mais ne me contredit pas. Je finis par me lever souplement, délaissant l'herbe verte légèrement humide pour m'aventurer parmi les arbres du havre qui nous héberge depuis... trop longtemps.

Plus le temps passe, plus je suis inquiète et nerveuse. Si je le pouvais, je partirais d'ici pour aller mettre une raclée à Rorgan, mais clairement, j'en suis incapable seule.
Je suis certes fière, mais pas stupide, je sais bien que j'ai besoin — je ne croyais pas dire ça un jour, mais soit — de Kelian.

Je soupire en m'asseyant au bord d'un ruisseau frais. Mes pieds plongent dans l'eau et je bascule le visage vers le ciel.

Comment faire ? Qu'est-ce qui déclencherait Kelian ? Nous avons essayé beaucoup de choses, sans succès jusqu'ici et le moral est au plus bas. Encore quelques jours sans résultat et je risque de craquer, puis m'enfuir toute seule en direction de Rorgan. Toute ma raison ne pourra plus m'en empêcher, mon instinct de protection de ma meute prendra le dessus... Me menant peut-être à une mort inévitable.

***

Le soir règne à nouveau sur notre refuge. Assis sur la petite marche devant la porte d'un cabanon, Kelian et moi ruminons en silence depuis une dizaine de minutes. Toute cette journée n'a servi à rien. Aucun résultat, nada, à la grande inquiétude de Sorgin, qui semble douter que Kelian révèle un pouvoir avant notre départ forcé — car oui, il nous faudra bien partir un jour, sinon nous ne reverrons jamais nos compagnes.

Je l'entends donner un coup, dont le bruit est étouffé par le coussin qu'il serre entre ses doigts. Je peux presque sentir sa frustration, sa colère envers lui-même. Mais même ça, ça ne le déclenche pas.

Prédation, L.2 : Le Sanctuaire [FINIE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant