Chapitre 6

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Cela fait déjà quelques semaines que j'ai la direction du camp et plus le temps passe plus j'ai du mal à relativiser ma situation. J'essaie tout de même de sortir un enfant par semaine de cet enfer. Je crois que sans cela je craquerai autant nerveusement que physiquement. Le temps s'est extrêmement refroidit. La neige est à deux doigts de tomber. Les prisonniers tombent presque tous malades et la plupart meurt. Les fours crématoires tournent à plein régime. Pas un jour ne passe sans que je ne pense à ces gens entrain de mourir de froid.

Pour ce qui est de mes « collègues » l'ambiance est tendue. L'autre jour j'en ai surpris certains qui racontaient un tas d'infamies sur moi. Ils pensent que je suis trop laxiste et que je ne m'investis pas trop dans l'organisation du camp. Si seulement ils savaient à quel point je fais mon maximum pour contenir mon envie de vomir de moi-même, à quel point j'ai envie de voir tous ces foutus Nazis baignant dans leur propre sang. A la place de cela je dois leur faire des sourires de complaisance et donner le change.

Je n'en suis pas très fier mais parfois lorsque mes employés me regardent je n'ai d'autre choix de me montrer cruel. L'autre jour j'ai frappé et craché sur une pauvre vieille femme qui me suppliait de dire à sa fille qu'elle était au camp d'Auschwitz. J'aurais pu le faire. Je voulais le faire. Mais le Obergruppenführer Pohl me regardait et je n'ai eu d'autres choix que de réagir en temps que le parfait petit nazi qu'on me demande d'être.

Une fois encore, Herta cogne à ma porte. J'ai oublié de me présenter au petit déjeuner. J'étais bloqué dans mes pensées. Je n'ai pas envie de lui ouvrir et je ne vais pas lui ouvrir.

Des images de ces dernières années remontent. Lorsque j'étais en France, au début de l'année 1941, j'étais à peine âgé de 21 ans. Mon père m'y avait envoyé pour que j'accomplisse mon service militaire. Je n'avais pas un très grand rôle mais du fait du prestige de mon nom de famille, j'accompagnais les troupes à chaque mission importante. Un jour, nous avions été informés par un collaborateur français, que sa voisine organisait parfois des rendez-vous clandestins avec des résistants. J'étais jeune et pour moi c'était une aubaine, l'occasion de faire mes preuves. J'avais le cerveau mouliné par toutes les idéologies de mon père et je ne réfléchissais même pas par moi même.

Une nuit, poussé par mon ambition, je suis rentré dans le bureau de mon supérieur et je lui ai dérobé l'adresse de la résistante. J'étais sûr qu'après un coup comme celui là tout le monde me verrait comme un héros et que je ne devrais ma renommée qu'à mes propres actes et non ceux de mon père. Le lendemain je me suis rendu chez cette femme. J'avais cogné à la porte et une jeune femme blonde m'avait ouvert. Je lui demandais son prénom pour être sûr que ce soit la bonne personne. Margaret Tilni. C'était elle. Ni une ni deux je sortis mon arme et la pointais sur son front.

J'étais prêt à tirer, j'allais tirer. Je m'étais préparé depuis des jours pour cela. J'étais prêt. Et pourtant ! Quand son regard a croisé le mien, je me suis perdu. En quelques secondes je ne savais plus pourquoi j'étais là. Pourquoi je m'apprêtais à faire ça. C'était comme si en quelques secondes je me rappelais que j'avais un cerveau mais surtout un cœur. Que je ne pouvais pas tuer quelqu'un qui ne m'avait rien fait. J'ai baissé mon arme. « Fuyez tant que vous le pouvez » lui ai-je conseillé. Elle m'a remercié. Elle est partie en courant et une fois qu'elle fut en bas de l'immeuble un coup de feu retentit. Un de mes camarades m'avait suivit et lui avait tiré une balle dans le dos. Le pire dans l'histoire c'est que je me souviens m'être dit : Mince j'ai laissé passer ma chance.

Je regrette tellement cette pensée. Je regrette tout ce que j'ai fait et je sais bien que rien ne pourra l'effacer. Je revois sans cesse le regard de cette femme et je me dis que si seulement j'avais été plus discret, Kurt ne m'aurait pas suivit et elle ne serait pas morte à cause de moi.

En un battement de CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant