Chapitre 7

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Le froid s'engouffre à travers mes vêtements et vient me glacer jusqu'à l'os. De nombreuses semaines sont passées et je ne suis plus ce que j'étais. En descendant du train je pensais être tombée au plus bas. Je n'avais pas encore touché le fond. Mes vêtements qui étaient autrefois trop grands pour moi, le sont encore plus. Je ressemble à un fantôme, tellement je suis amaigrie. L'autre jour j'ai croisé mon reflet dans une vitre et la vision qu'il m'en reste est terrifiante. Mes joues sont rentrées, mes lèvres gercées et d'énormes cernes mangent ce qu'il reste de mes joues. Mes chaussures, seuls vestiges de mon ancienne vie, sont usées jusqu'à la corde. Les semelles se décollent et la neige s'engouffre à l'intérieur. Je n'ai plus de chaussettes. On me les a volées. Je suis obligée d'enrouler mes pieds dans des bouts de tissus sales, pour éviter les engelures. J'ai maintenant les cheveux aussi courts que ceux d'un garçon. On ne nous les rase pas en hiver.

Cela fait déjà une heure que nous marchons dans le froid, une pelle à la main. Nous sommes sorties du camp et nous marchons dans la forêt. Je ne sais pas où nous allons. Violette pense que ce n'est pas bon signe et je ne peux pas lui affirmer le contraire. Ces dernières semaines je me suis beaucoup rapprochée de Violette, Jules et Milovan. A vrai dire, ils sont ici mes seuls soutiens. Au début, lorsque nous retrouvions les garçons lors des maigres repas qui nous étaient autorisés, nous nous racontions nos vies. J'appris vite que Milovan était un vrai larron en foire et que sa mère était épuisée de toutes ses âneries. Il nous a aussi raconté la déception et le rejet de son père lorsqu'il a appris que son fils était homosexuel. 
Ce fut ensuite le tour de Violette. Elle, c'était différent. Elle avait toujours eu une vie fantastique. Ses parents étaient riches et elle était appréciée partout où elle allait. Pourtant elle restait très simple. Elle avait beaucoup voyagé et pendant un moment ces nombreux voyages faisaient d'excellents sujets de discussion. Rapidement, on avait fait le tour.
Jules ne parlait pas trop. Il était encore durement marqué par la disparition de sa fiancée. Il nous a parlé rapidement de leur relation et je crois pouvoir dire que c'est ce genre de relation que je voudrais avoir. Un amour véritable depuis l'enfance. Je n'ose imaginer la douleur qu'il doit ressentir.
Ensuite ils ont voulu que je leur raconte ma vie de résistante. C'est ce que j'ai fait. J'ai raconté comment je faisais pour distribuer les tracts dans les différentes universités, puis comment Arnaud m'avait recrutée pour un projet à plus grande échelle. J'expliquais comment utiliser des explosifs pour faire exploser des trains allemands. Puis je racontais comment nous avions été dénoncé par le voisin de Margaret et comment cette dernière avait été abattue en pleine rue. Plus tard, les nazis nous ont tous retrouvé. La plupart sont mort en cellule et lors d'interrogatoires. Les autres ont été fusillés. Il ne reste que moi. Si je suis la seule encore en vie c'est parce que René, le frère de Margaret qui avait un faible pour moi, a passé un accord pour sauver ma vie. Je lui dois tout et je m'en veux encore plus de la mort de sa sœur. Si seulement nous avions été plus discrets personne ne serait mort.

Après tout ça, nous n'avions plus vraiment de sujets de conversation. La vie au camp était dure et nos anciens démons revenaient nous hanter. Nous avons fini par ne manger plus qu'ensemble, sans rien dire. De quoi devrions nous parler ? Des coups que recevait Milovan ? De nos travails respectifs ?

Violette et moi creusions des trous à longueur de journée. Je soupçonne les nazis de demander à des femmes de réaliser ce travail de force, parce que ça les amuse de nous voir nous épuiser. J'ai constamment les muscles des bras contractés et brûlants. Le pire, ce sont mes mains. La peau est arrachée à force de tenir le manche de la pelle ou de la pioche. D'énormes cloques saignantes recouvrent mes paumes.
J'en suis arrivée à un point, où je ne peux même pas bouger la main sans avoir des larmes qui me montent aux yeux.
Cependant, comparé à ce que fait Jules je ne peux pas me plaindre. Son travail à lui c'est de tester les nouveaux matériels de l'armée, fournis par la Wehrmacht. L'autre jour, il devait faire des centaines, des milliers d'allers retours avec un sac de 40 kilos, qui doit être plus lourd que moi d'ailleurs, sur ses épaules, pour tester la résistance des nouvelles bottes allemandes. Je crois bien que ses pieds sont dans le même état que mes mains.

En un battement de CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant