Chapitre 10:

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Je vérifie pour au moins la cinquième fois que ma cravate soit bien attachée. Je défais et fais à nouveau le noeud. Je m'observe quelques secondes avant de grogner et de le défaire à nouveau. Au bout de la septième tentative j'estime qu'elle est parfaitement attachée.

Je m'essuie les mains sur une serviettes et vérifie si ma veste n'est pas froissée. Mes mains tremblent un peu. J'observe une nouvelle fois mon reflet. Il faut vraiment que je sois parfait.

Mon père arrive dans 20 minutes et j'ai l'impression d'être redevenu un petit enfant apeuré. Pourtant je ne suis plus l'enfant frêle que j'étais. Je le dépasse maintenant d'une tête et ma carrure est tout aussi imposante que la sienne. Il y a pourtant quelque chose de plus inquiétant chez mon père : son intransigeance.

Depuis tout petit j'ai appris à me conformer à ses règles, à lui plaire sans jamais y parvenir. Maintenant je n'en ai que faire de lui plaire. Jadis je l'idolâtrais, à présent je le vois tel qu'il est. Je dois donner le change pendant son inspection parce que sinon il reprendra en charge le camp et surveillera mes activités. Finis les sauvetages clandestins, finit ma tranquillité et celle des prisonniers, si tenté qu'ils en aient une.

Je me dois de me montrer sous le meilleur jour et cela démarre avec mon apparence. Si mon père n'a rien à me reprocher, normalement il sera parti demain. Croisons les doigts. Je regarde l'heure sur la pendule et conclus que je dois me presser d'aller l'accueillir sur le parking.

J'enfile mon manteau de cérémonie, celui qui comporte toutes mes médailles de guerres et mon képi qui montre à tous qui commande le camps. Je contrôle le cirage de mes bottes et sors de ma chambre.

J'arrive rapidement devant le grand portail. Tous les prisonniers sont en rangs d'honneur derrière les officiers SS. Lorsque mon père entre quelque part tout le monde doit en être informé. J'exècre cette manière de penser mais dois encore une fois m'y conformer. Je me place au bout de la hais d'honneur au centre, à côté du Obergruppenführer Pohl.

Mon père a un peu de retard, alors je scanne la foule d'un regard qui se veut dure. Je cherche Aline. Cela fait au moins deux semaines que je ne l'ai pas vu et cela commence légèrement à m'inquiéter. Je me suis déjà renseigné plusieurs fois, en toute discrétion bien sûre, sur les noms de ceux qui se trouvent à l'infirmerie ou ceux qui sont morts. Elle n'y était pas. Cela me rassure un peu mais cela me rassurerai plus de la voir de mes propres yeux.

Je finis par la trouver. Ce que je vois ne me rassure pas du tout. Son visage est blanc et son regard immobile. Elle fixe le vide. Ses yeux sont mornes et regardent sans voir. Elle a extrêmement maigrit. On dirait qu'un simple courant d'air pourrait la faire tomber. Mon ventre se serre et je dois me faire violence pour ne pas accourir vers elle et la tirer de cet enfer.

Je ne sais pas ce qu'il m'arrive en ce moment mais je pense de moins en moins rationnellement. L'autre jour dans mon bureau... rien que d'y penser j'en ai des frissons. Je ne comprends plus rien. Je crois que je mets les pieds dans quelque chose qui nous dépasse tous les deux et ça m'effraie un peu. Si seulement tout pouvait être plus simple ! Si je n'étais pas moi et qu'elle n'était pas elle, si nous n'étions pas ici, si nous ne devions pas être ennemis...

Un bruit de moteur attire mon attention, je relève la tête pour apercevoir une Berline noire entrer dans l'enceinte du camp. Je déglutis et lance un petit regard sur ma cravate. La voiture s'arrête et le chauffeur en descend. Il ouvre la portière et cette fois c'est mon père qui descend. Il n'a pas changé. Toujours aussi propre sur lui et surtout toujours aussi effrayant.

Il traverse la hais d'honneur sans un seul regard pour les prisonniers ou même les officiers. Quand il arrive devant moi, de son pas lourd qui résonne avec dureté dans toute la foule, je lui tends la main. Depuis tout jeune, mon père ne me considère pas comme un fils mais comme un futur dirigeant. Notre relation est si tendue que nous nous contentons habituellement d'une poignée de main cordiale et qui suinte d'hypocrisie.

En un battement de CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant