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C'en est trop pour moi d'un coup. Une boule se forme dans ma gorge. En tout cas, j’en ai l'impression. J'étouffe. Rageusement, j'ouvre la porte les laissant au dehors. Ils imitent mon geste.
Je ne fais pas cas d'eux et vais me prendre un verre d'eau.
- Je suis désolée, Emma. Fait mon amie tristement.
Ça m'a fallu une minute pour prendre conscience de la situation:
- Désolée? Mais pourquoi?
Mon père, je l'aimais énormément et je pensais que cet amour était réciproque jusqu'à la mort de
ma mère. Je me souviens qu'il me disait que j'étais sa seconde femme et j'aimais être plus que sa
fille. Cette relation père-fille qu'on a su créer et chérir nous semblait inséparable et unique. Mais
on n’a pas pris soin.
Il n'en a pas pris soin.
- Emma, pourquoi tu ne dis rien? Demande Georges alors qu'il passe un bras autour de ma
taille.
- Je n'ai rien à dire tout simplement. Déclaré-je, la gorge nouée. Il est mort, et alors?
- Il n'est pas mort naturellement. Il s'est suicidé. Corrige Annie.
- Je n'en ai rien à foutre. Ragé-je en me dirigeant vers ma chambre.
- Je t'avais dit qu'elle était sans cœur. Soupire Annie à Georges.
Je me jette sur le lit, confuse de sentiments. J'ai envie de pleurer mais quelque chose retient mes
larmes. La rancune.
Une main me caresse les cheveux. Je me retourne et aperçois le visage inquiet de Georges. Je lui
souris difficilement.
- Elle est partie? Demandé-je.
- Je sais que ce n'est pas facile pour toi. Je te comprends. Avec la mort de Marie et le suicide
de ton père...
Je m'assoie sur le lit et lui donnant dos, je me remémore quelques moments de ma vie.
- Une fois, il m'a rejetée et je n'en ai pas tenu compte quand je suis venue le soutenir de la
perte de ma mère. Une seconde fois, il l'a fait sans me donner aucune explication. Les mots
que lui et ma tante avaient prononcés ce jour-là seront toujours gravés dans ma mémoire et
si je pardonne une fois, je ne pardonne pas deux fois.
Il ne me répond pas, voulant peut-être me laisser m'exprimer. Pourtant, je n'ai plus envie de parler.
D'ailleurs, je n'ai rien à dire. Je laisse ma conscience me ronger de l'intérieur et l'amour, lui, semble s'absenter un moment dans mon cœur. Ce n'est pas de ma faute s'il a été endurci. Ce n'est non plus
de ma faute s'il ne ressent plus rien: ni de la joie, ni des regrets, encore moins de la tristesse. Je suis
en carence de sentiments.
Une musique douce me réveille de mes réflexions banales. Je tourne la tête par-dessus mon épaule
pour apercevoir un Georges souriant qui me tend la main. Je me mets debout. Il enroule ses bras
autour de ma taille alors que j'enfouis mon nez dans le creux de son cou.
- Je sais que tu as besoin de moi. Me chuchote-t-il.
Je le serre contre moi. Dans mon silence, il sait très bien comment s'immiscer pour comprendre
mes non-dits. Là, dans ses bras, je me sens celle que j'étais avant. Celle qui avait besoin d'être
protégée. La petite fragile dont l'affection de son père la tenait loin du monde réel.
Oui, à un moment de ma vie ou du moins presque toute ma vie, mon père m'a kidnappé. Il m'a
kidnappé de son amour. Dans son souci de me garder que pour lui, il m'a privé du monde extérieur.
Il m'a privé de mon enfance. Je n'en ai jamais profité car je devais rester à ses pieds. Il ne laissait
pas les autres m'approcher si ce n'est Édouard ou Annie. Sa petite fille était sienne, pourquoi
laisserait-il à quelqu'un d'autre la lui voler?
Je devais apprendre son métier. Après les cours, j'allais le trouver dans son bureau et il me
montrait comment gérer les affaires de son entreprise. Comme si j'étais déjà une grande. Il prenait
soin de moi. Certes, comme tout autre père l'aurait fait mais un peu trop. Il pleurait de mes
maladies, il me pardonnait mes sottises et c'était en lui que je voyais le modèle d'homme qui serait
plus tard mon prince charmant.
Papa m'aimait.
Papa, je l'aimais aussi.
Mais il avait changé. Il m'avait rejeté et je ne pourrai jamais lui pardonner.
Deux mois plus tard...
Je n'arrive pas à fermer les yeux. Georges n'est toujours pas rentré et il fait déjà très tard. Mon
cœur tambourine contre mon diaphragme. Je ne cesse de transpirer. Je m'inquiète pour Georges. Je
me lève du lit et essaie de l'appeler. Son téléphone sonne plusieurs fois avant que je n'entende
quelqu'un à l'autre bout du fil. Je me fige. Est-ce une femme qui vient de me répondre? Je me
trompe sûrement. En plus, elle m'a raccroché au nez!
- Calme-toi, Emma. Je me répète tenant fermement mon téléphone entre mes mains.

Mes pauvres jambes ne tiennent plus. Je tremble. Je prends une couverture et me recroqueville sur
le canapé. Je regarde plusieurs fois l'appareil que j'ai en main espérant recevoir un signe de
Georges.
J'entends quelqu'un forcer la serrure. Est-ce lui? Je m'avance faiblement me disant que je ne suis
pas en état de défense si c'est un voleur ou je ne sais qui. La porte s'ouvre sous une grande pression
et j'ai dû me stopper devant les yeux furieux de mon mari. Il est bourré et je n'aime pas du tout le
voir dans cet état.
Pourquoi est-il comme ça d'un coup? Tout allait bien pourtant aujourd'hui. Avant de me rendre au
travail, on avait pris le petit déjeuner ensemble et il était d’un humour étonnant. J'avais vu son
sourire lorsque je l'embrassais et les caprices qu'il déployait pour me garder quelques minutes de
plus.
Mais quand je suis rentrée, il ne m'attendait pas. Pourtant, pendant ces deux mois, il était comme
redevenu le mari parfait. Il ne me laissait plus dormir seule à la maison le soir. Il n'était pas à la
maison et ce n'était pas grave, il rentre à 8h d'habitude. J'ai préparé le dîner et il n'était toujours
pas rentré. J'ai cru bon aller l'attendre dans notre chambre mais quand je me suis réveillée au beau
milieu de la nuit, Il n'était toujours pas là.
- Alors tu ne viens pas embrasser ton mari chéri? Dit-il en grimaçant alors que son corps ne
tient plus.
J'accours vers lui avant qu'il ne tombe et essaie tant bien que mal de le soutenir.
- Où étais-tu depuis tout ce temps? Demandé-je.
Il me repousse en me disant:
- Je n'ai pas besoin de ton aide. Je peux me tenir droit tout seul.
Il pue l'alcool et son indifférence face à mes inquiétudes m'énerve.
- Je ne suis pas bourré, reprend-il.
- Alors tu peux me dire où tu étais? Riposté-je. Qui était cette femme au téléphone?
Il s'avance vers moi, le corps vacillant et pose sa main droite sur ma joue. Il fait mine de réfléchir.
- Ah! Elle? Ne me dis pas que tu n'as pas reconnu sa voix? C'est notre femme.
Je le regarde, perplexe:
- J'espère qu'elle a bien compris que tu es marié.
Il rit à gorge déployée avant de plonger son regard dans le mien:
- Ah! Ma tendre Emma. Tu es si innocente. Bien sûr qu'elle le sait.

Il a certes l'air d'être saoul mais ses mots semblent provenir de son état normal. Sa main qui était
sur ma joue fait résonner un bruit étrange dans la pièce. Ça m'a pris quelques secondes avant de me
rendre compte qu'il venait de mon visage.
- Georges...
Je cherche son regard qui, déjà, est ailleurs. D'un geste brusque, il me prend la main et m'amène à
notre chambre. Il me jette sur le lit et vient me tirer par les cheveux:
- Pourquoi? Hurle-t-il. Pourquoi?
Mes lèvres tremblent. Je n'arrive pas à parler. Pourquoi j'ai toujours l'impression avoir perdu la
langue quand il s'agit de répliquer à Georges? Pourquoi je n'arrive pas à lui faire face? Mes narines
se dilatent.
Il me pousse contre le mur. Pas une seule larme ne s’est échappée de mes yeux qui recherchent
encore son regard. J'essaie de me relever. Il s'approche de moi et me prend par la mâchoire. Mes
yeux maintenant regardent ses pieds.
- Regarde-moi! Crie-t-il en me giflant.
Je lève mes yeux vers lui.
- Dis-moi ce que tu fais avec un homme comme moi.
Il abaisse le regard sur mes lèvres et attend sa réponse. Je ne dis rien. Je sais qu'il est impatient.
Pourtant, ça me laisse indifférente.
- Réponds!
- Je t'aime, Georges. Articulé-je difficilement de mes lèvres dégoulinant de sang.
Il tourne les talons. Je soupire d'agacement pensant qu'il me laisse encore seule. Il revient avec une
petite serviette mouillée. Il me fait assoir sur le lit, s'agenouille devant moi et comme s'il me
soigne, la presse contre mes lèvres.
- Ah! Ma pauvre bouche, pardonne-moi. Toi seule me dis si ton homme t'a satisfaite aussi
bien de ses caresses que de ses coups.
- Tu me satisfais des deux. Dis-je.
Nerveusement, il se débarrasse de la serviette. Il me lance contre le sol et projette son pied contre
mes côtes.
- Tu ne ressens rien c'est ça? Crie-t-il avec rage. Elle avait raison hein? Tu es insensible aux
coups?

J'hoquète de douleur et laisse échapper un petit cri. Un sourire se forme sur mes lèvres et je lui chuchote quelque chose. Il amène son oreille à ma bouche pour entendre:
- Je te promets de la tuer…

Mon bien, mon mal [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant