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S'il le faut que ta main me blesse
Ton amour saura me guérir.
-H&L

J'avance le pas traînant. La route jusqu'à ici a été longue. Il est tard mais la lune jette sa lumière sur
la rue déserte et me permet de voir où mettre les pieds. Je suis fatiguée mais je tiens le coup. Je jette un coup d'œil tout autour avant de m'approcher de la maison. Je pose la main sur la serrure, la porte n'est pas fermée à clef. J'en profite pour y pénétrer en faisant attention au moindre bruit. C'est drôle comment la vie peut nous réduire à rien: j’entre en douce dans ma propre maison!

Une bougie éclaire faiblement la pièce. Sans doute, il n’y a pas d’électricité comme c’est souvent
le cas. Tout est en désordre : quelques vêtements éparpillés çà et là ainsi que des canettes de bières, une cigarette écrasée sur la petite table- ce qui m'étonne ; il ne fume pas- une plume déposée sur un carnet de notes devant la bougie, des clés que j'ai failli heurter.  Certaines remarques piquent ma curiosité, c'est comme si les choses avaient changé durant ces quelques jours d'absence. Mais
comme si je m'en contrefiche, je me laisse tomber sur le canapé, prête pour un long voyage et sans
oser espérer que demain soit meilleur.

***

J'ouvre difficilement mes paupières lourdes de sommeil. Un rayon de soleil a fendu les rideaux de la fenêtre pour venir éclairer la pièce. J'entends la porte de la chambre claquer. Aussitôt, je me lève du canapé me rappelant soudainement le danger que je cours d'être vue dans ces conditions-là. Je vais dans la cuisine et me place derrière le frigo. J'entends des pas s'approcher alors que mon rythme cardiaque augmente. La porte gémit lorsqu'il l'ouvre. Son ombre se rapproche d'où je suis, je me colle au mur comme si ça pouvait me rendre
invisible. Maintenant, je ne vois que son dos: il est occupé à écrire quelque chose sur l'évier. J'admire ses courbes, son dos bien droit. Je me mords les lèvres regardant ses bras musclés, j'aurais aimé qu'il me serre contre lui. Comme avant... J'essaie d'effacer cette envie folle de ma tête ; ce n'est pas le but de ma présence ici. En fait, j'aurais préféré que ces bras-là m'étourdissent depuis la première fois qu'ils m'avaient touché.

D'un pas rapide, il sort de la cuisine. Je vais devoir attendre pour voir son visage, s'il a changé et si ses yeux ne brillent plus. Je soupire de soulagement lorsque je sens qu'il n'est plus là. Je m'avance vers l'évier et lis la feuille qu'il tenait tout à l'heure :

Riz au petit pois, poulet rôti

Je souris me rappelant que c’est son plat préféré. J'aperçois des dizaines d'autres feuilles portant les
mêmes paroles. Ce qui me parait mystérieux mais insignifiant à la fin. Un coup d'œil rapide sur l'endroit où je suis me rappelle l'état désastreux de la maison.

J'ai du pain sur la planche. Pensé-je désespérément.

***

Tout est enfin prêt. Ça ne m'a pas pris trop de temps pour tout remettre à sa place. La chambre m'avait pourtant donné du fil à retordre avec le lit découvert et les dizaines de caleçons et chemisettes qui puaient presque sur le sol. Je les ai rangés mais Je n’ai pas voulu toucher le lit. Il m’est devenu répugnant.

J'ai voulu respecter le menu. Il ne manquait que le poulet mais je n'avais pas d'argent. Alors j'ai fait comme toutes les femmes de chez nous: on se débrouille avec ce qu'on a. Je suis même très fière d'avoir réussi à préparer ce dîner que je voulais, malgré, romantique. J'ai placé deux chandelles au milieu de la table avec du vin blanc, les couverts si bien préparés qu'on aurait cru que ce serait pour une grande occasion.

J'entends la porte s'ouvrir. J'ai à peine le temps de lever les yeux pour faire face à ce visage ébahi aux mâchoires contractées. Il ne dit rien. Il ne bouge pas non plus. Il a laissé tomber les sachets qu'il portait. Moi, je ne puis rien faire non plus. Certes, tout à l'heure j'ai rabâché les mots que je
comptais lui dire quand il viendra:

Mon bien, mon mal [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant