Neuvième jour (1)

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An Hai étouffa un bâillement dans sa main lorsqu'un rayon de lumière filtra entre les rideaux mal tirés. Il avait mis plusieurs heures à s'endormir, agité par les événements de la veille et inquiet à propos de ceux qui se profilaient.

Dans le lointain, les ombres s'amassaient, floues, mais sans cesse plus épaisses. À l'avant-plan, le soleil brûlant de Harjiba — comment supporter cela ?

Il se leva et se dirigea vers le miroir en pied, devant lequel il rejeta ses longs cheveux en arrière. Son reflet, en tenue de nuit, ne lui apprit rien qu'il ne savait déjà : il ne pouvait aller nulle part dans des vêtements qui ne le couvraient pas complètement.

Les gants jusqu'aux coudes seraient obligatoires, à moins qu'il n'échange la robe de Huxian Ijin pour la blouse d'une autre province aux manches plus resserrées. Encore faudrait-il que le col de celle-ci monte suffisamment haut pour cacher la base de sa gorge, s'il voulait pouvoir se passer de la couche supplémentaire d'un maillot de corps. Il frotta deux doigts mécaniques sur l'échancrure qui laissait apparents les plaques rouges et les sillons sur le haut de son torse. Si personne ne le touchait, si l'environnement semblait sain, sans doute pourrait-il prendre sur lui durant quelques jours et faire l'effort de passer de trois épaisseurs de tissu à une.

Quid des chaussures ? Il doutait que les habitants de Harjiba se promènent en hautes bottes jusqu'aux genoux doublées d'un collant comme lui. Sa peau crevassée, écorchée, requérait sur tout son corps une matière douce et lâche pour ne pas la fragiliser davantage, et suffisamment épaisse pour que le sang ne perle pas à travers au cas où l'épiderme se craquellerait. Que portaient les gens sur l'autre île ? Et si le roi de Harjiba leur proposait des tenues locales ?

An Hai s'exhorta à respirer lentement pour éviter à son anxiété de prendre le dessus. Un peu calmé, son imagination muselée, il se dirigea vers la porte de sa chambre, mais ne l'ouvrit pas.
— Roen ?
Sans délai, la voix concernée du soldat, qui dormait à présent toutes les nuits sur un matelas sur le palier comme il le lui avait promis, lui répondit.
— Oui, Altesse ?
— Va chercher Wei Ku. Qu'il enlève ses chaussures pour monter jusqu'ici.
— J'y vais.
Le prince entendit son garde du corps dévaler les marches au pas de course. Lui-même se laissa glisser au sol, le dos contre le battant.

Quelques minutes plus tard, Roen remonta au deuxième étage, suivi par le bruit d'une deuxième paire de pieds.
— Hautesse, commença la voix hésitante de Wei Ku de l'autre côté de la porte. Vous m'avez fait demander ?
— Oui, merci. Est-ce que tu peux me dire comment les gens sont habillés sur Harjiba ?
— Euh, oui, Hautesse.
Le page dut s'accroupir ou s'agenouiller ; les mots suivants arrivèrent à hauteur du roi.

— Les femmes portent des robes courtes ou longues ; les hommes des tuniques courtes ou longues, ou parfois des chemises, avec des pantalons larges. Les manches sont généralement évasées comme sur les robes de Huxian Ijin. Rien n'est en soie, par contre : sur Harjiba, les vêtements sont fabriqués en lin ou en coton de différents tissages, comme de la mousseline. Les personnes fortunées agrémentent leurs tenues de beaucoup de pierres précieuses cousues sur l'étoffe.
— Comme il fait très chaud, ils ne sont pas très... déshabillés ?
— Pas vraiment. Beaucoup de femmes jeunes choisissent des robes-tuniques courtes, donc leurs jambes sont exposées. Mais les hommes portent des pantalons larges, comme je vous le disais, et des tuniques à manches longues. Le tissu léger protège des brûlures du soleil, Hautesse.

Le prince laissa échapper un soupir de soulagement à l'écoute de ces informations. Wei Ku précisa encore :
— Les habitants de Harjiba s'habillent dans des couleurs claires parce qu'elles réfléchissent davantage la lumière, ce qui leur évite d'avoir trop chaud. Et lorsqu'ils s'approchent du désert ou sortent où il fait vraiment étouffant, ils portent au-dessus de leurs vêtements une grande robe flottante qui leur couvre même la tête, afin de favoriser la circulation d'air entre les deux couches de tissu. Ils ont adapté leur style vestimentaire au climat.
— Penses-tu que le roi Afshan nous suggérera de nous habiller comme eux ?
La description des tenues usuelles rendait cette perspective beaucoup moins déplaisante que ce qu'il avait craint, et la rendait même tentante, puisqu'elle éviterait de transpirer sous des habits, eux, non adaptés.
— Je suppose, Hautesse. Il se doutera bien que les gens de Linru ne sont pas habitués à la chaleur de Harjiba. Je n'y ai jamais été, mais ma grand-mère dit que même à Malanapur, ce n'est rien à côté. Le roi Afshan est un roi riche et il est aussi généreux : je pense qu'il vous fera beaucoup de cadeaux.
— Je les accepterai avec gratitude. Merci, Wei Ku. Peux-tu dire à Sray en redescendant qu'il faut qu'une lavandière nous accompagne durant le voyage ? Qu'elle voie avec l'équipe qui parmi elle le souhaiterait.
— D'accord, Hautesse.

Le venin des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant