Harjiba, soir du quinzième jour
— C'est mademoiselle Niyasha, le bras droit du roi Afshan, murmura Wei Ku en voyant le groupe de cavaliers s'approcher au galop, un nuage de poussière jaune derrière eux.
Hayami, qui agitait un éventail décoré de canaris — l'espèce symbole de Kashiô — à l'ombre de l'aérostat, se mit debout aux côtés de son ami pour mieux discerner les arrivants.
— Le roi n'est pas là ?
— Je ne crois pas ; je ne l'aperçois pas.
— Sumjini en soit remerciée, marmonna Roen entre ses dents serrées.Le page lui jeta un coup d'œil par-dessous sa frange, hésita, puis ajouta :
— Mademoiselle Niyasha est très gentille... Je pense... qu'elle comprendra ?
— Elle ne comprendra rien du tout parce qu'on ne lui dira rien du tout, explosa Chhey, transformé depuis trois jours en baril de poudre près de détoner à la moindre étincelle. Et je vous rappelle que vous êtes là pour traduire fidèlement, pas pour prendre d'initiatives !
Wei Ku baissa le front comme s'il avait été giflé. Roen, lui aussi à bout de patience, reprit son frère d'un ton courroucé :
— Il le sait très bien, alors arrête d'en rajouter une couche. Tout le monde est déjà suffisamment sur les nerfs. Je vais appeler Son Altesse.
Chhey laissa échapper un juron, puis entreprit de sautiller sur place en inspirant à pleins poumons pour se calmer, tandis que son aîné remontait dans le dirigeable à présent amarré sur le sable. Assis un peu plus loin, Pen You les observait d'un air intéressé, voire inquisiteur.À l'intérieur de la nacelle, Roen s'accroupit auprès du prince, recroquevillé sur son matelas à côté d'une lanterne, les bras autour des genoux et la tête en berne.
— An Hai, ils sont là. D'après Wei Ku, le roi n'est pas venu avec eux ; il doit attendre dans son palais.
D'abord, An Hai ne répondit pas, concentré au maximum de ses possibilités sur la cadence de sa respiration pour éviter de songer à quoi que ce soit d'autre. Il était resté prostré dans cette position sur toute la fin du voyage, luttant de manière désespérée contre lui-même avec l'espoir que cela suffirait à empêcher son angoisse de déborder, incontrôlée.Le soldat poursuivit d'une voix apaisante :
— Il va falloir vous lever ; nous allons devoir les accompagner. Le trajet à cheval sera sans doute pénible, mais vous irez mieux quand vous serez installé avec une salle de bain.
— Ça ne peut pas être plus pénible que maintenant..., réagit finalement le prince entre deux inspirations.
Il releva le front, dévoilant à son garde du corps un visage extrêmement crispé ; des yeux cernés pleins à ras-bord de dégoût et de détresse.
— Je ne vais pas faire mon Chhey et vous répéter que nous vous avions fait part de nos doutes quant à votre décision, mais il y a un peu de ça tout de même, Altesse.
An Hai avala son écœurement, puis secoua la tête aux reproches.
— Non ; la princesse va mourir... et moi pas. Tout le monde aligne les efforts pour moi, pour s'adapter à ma situation. Je peux bien en faire aussi pour aider quelqu'un d'autre, parfois.
Roen savait qu'il n'y avait rien à répondre et que le roi, si la même situation se présentait, ferait de toute façon le même choix.Pour l'heure, An Hai s'étreignit lui-même.
— J'ai chaud... Je me sens tellement sale...
Un frisson secoua sa colonne vertébrale sous ses longs cheveux ; il referma la bouche pour s'empêcher de rendre quoi que ce soit, tandis qu'il enfonçait ses doigts gantés dans le tissu de sa robe et, à travers les deux couches de soie, écorchait la peau de son torse jusqu'au sang.
— C'est une impression ; vous ne l'êtes pas vraiment. Et c'est presque terminé. Venez, Altesse ; même s'il est chaud, de l'air vous fera du bien.
Le soldat lui tendit, au cas où, une main qu'An Hai ne saisit pas. Le prince se releva seul. Il inspirait à nouveau suffisamment profondément pour ralentir les battements angoissés de son cœur et les rouages de sa phobie, mais suffisamment peu pour ne pas avoir l'impression d'inhaler trop des particules rejetées dans la pièce par la respiration des autres. Garder l'équilibre précaire, réajusté à chaque prise d'oxygène, demandait une énergie et une maîtrise épuisantes qu'An Hai ne conserverait plus très longtemps.
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Le venin des étoiles
FantasySoudain propulsé à la tête du royaume de Linru après la mort de son oncle, An Hai doit tout combiner : la découverte d'une capitale aux coutumes différentes de celles de ses montagnes, les obligations liées à son statut, et ses « bizarreries » perso...