Huitième jour (3)

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— Je n'y crois pas. Je n'y crois vraiment pas. Qu'ai-je fait à Kui Hwan pour qu'elle m'inflige à présent de telles épreuves ?
— Vous n'y êtes pour rien, modéra Iao Shin, dont le sourire forcé ressemblait à une grimace. Qui aurait pu prévoir que Keechaya Geeyani débarquerait ici sur un coup de tête ?
— Voilà un autre malheur sur cette liste qui n'en finit plus de s'allonger : la mort de son père, qui a placé cette pouliche incontrôlable sur le trône d'Awanongwan. Évidemment, on dit que le fils fait, au mieux, tapisserie.
Le Régent fulminait.
— Et ce vieux rebelle d'Uwan Geeyani a dû vouloir s'assurer qu'il me causerait autant de cheveux blancs que possible après son décès en désignant un successeur encore pire que lui. Sa femme était folle, après tout : le fruit de cette union ne pouvait être que pourri.

Il darda sur le Chancelier un regard furibond, tout en poursuivant :
— Encore une fois, nous n'avons, d'ici, pas assez de contrôle sur la succession des gouverneurs. Dès qu'une autre dynastie que les Ijin est concernée, c'est le chaos. Il aurait fallu pouvoir mettre un veto !
Xong Nong tapa du poing sur la table pour appuyer ses paroles véhémentes ; son bol de thé en porcelaine noire trembla sur le bois, et des gouttes se répandirent autour.

— Nous n'avons pas pris nos dispositions assez tôt pour enrayer le déraillement de la nouvelle génération. Si Keechaya Geeyani et Hsin Ijin sont du même avis... Le prince de Malanapur suivra à coup sûr la petite idiote. Il y a aussi un risque que le régent de Nekah ne se dresse pas contre les provinces qui l'entourent, ni contre le peuple des montagnes qui aime son roi et pourrait désavouer un gouverneur qui serait contre celui-ci. Heureusement, pas de souci à nous faire du côté d'Imyoon et de Kashiô. Pour Lhadrak, je ne sais pas...
— C'est un Ijin, mais il est en paix avec Awanongwan... dit Iao Shin, en épongeant le thé sur le bureau avec une serviette brodée.
Cette fois, le Régent soupira, sa colère tout entière transformée en découragement.
— Quoi qu'il en soit, même dans le meilleur des cas — si nous gardons Lhadrak de notre côté —, nous allons droit vers une scission ouest-est de l'île.

— Hum. Il y a un autre problème encore plus pressant, fit remarquer le Chancelier en fourrant un kaki séché dans sa bouche. Nous avons bloqué les télégrammes du roi. Même en les envoyant en urgence maintenant, ils n'arriveront pas au moment où ils auraient dû. Or, Hsin Ijin nous a dit qu'il avait mentionné ses messages à la princesse.
Tout en continuant à la fois à mastiquer, réfléchir et parler, il haussa les épaules, plus raides que d'ordinaire.
— Elle va se rendre compte en voyant le tampon de réception qu'il y a un souci. Non seulement le télégraphe est extrêmement fiable... Mais si elle en parle à d'autres gouverneurs... Ijin Vijay, au hasard... Cela ne pourra pas passer pour une coïncidence, pour un couac exceptionnel. Avec son manque de retenue, elle va penser que Hsin Ijin l'a menée en bateau pour une raison obscure. Elle débarquera à nouveau ici avec son armée et peut-être celle de Malanapur. Hsin Ijin lui jurera sur sa déesse qu'il a bel et bien envoyé ses missives le jour où il lui a dit... Et ils sentiront rapidement le coup fourré.

Ce fut le coup de grâce pour le Régent qui, accablé, laissa tomber son front sur le sous-main devant lui.
— Qu'allons-nous faire pour sauver Linru ? murmura-t-il d'un ton douloureux.
Le Chancelier se mordit la lèvre, tandis que Xong Nong soupirait :
— Soi-disant, nous allions avoir des résultats rapides... Que disent les ambassadeurs à Nekah ? Et les deux serviteurs infiltrés ?
— Les ambassadeurs à Nekah n'ont plus écrit depuis qu'ils ont annoncé être arrivés. Mais la province est lointaine, peu facile d'accès et de communication, et il leur faut peut-être du temps pour enquêter. Quant aux vers dans le fruit, ils progressent vers le trognon, je pense. Wei Ku Zan Jing m'a donné hier une information que je vais faire vérifier ce soir pour m'assurer qu'il me raconte la vérité.
Xong Nong releva la tête avec effort.
— Et le mariage ?
— La veuve-reine est pour, bien sûr. D'après ma nièce, elle s'imagine que ce sera le paradis. Quant à Hsin Ijin, il vous l'a signifié il y a un quart d'heure : il réfléchit. Mais nous pouvons trouver sans trop de difficultés, je pense, une façon de l'y forcer.

Le venin des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant