Quinzième-seizième jours

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Bakarah, Harjiba, quinzième jour au soir

Devant la porte de la chambre d'An Hai, à distance respectueuse, une jeune femme voilée qui les attendait s'inclina.
— Mademoiselle Niyasha m'a demandé de vous prévenir que demain matin après le petit-déjeuner, Sa Majesté souhaitait vous emmener visiter la région à cheval. Veuillez donc s'il vous plaît vous vêtir en conséquence. Il offrira à chacun une paire de bottes adaptées à votre pointure avant le départ.
Wei Ku traduisit, et le visage du prince porta son soulagement.
— Du cheval, c'est parfait. Dites à Sa Majesté que nous le remercions beaucoup d'avance et que nous serons prêts.
La servante s'inclina, leur souhaita une nuit douce et disparut dans le couloir au son des claquements légers de ses sandales.

— Nous vêtir en conséquence, que cela veut-il dire ? vérifia tout de même An Hai auprès de Wei Ku.
— Je crois que j'ai vu des tenues d'équitation dans nos penderies, à Hayami et moi, Hautesse. Ce sont des tuniques et des pantalons blancs, et des bottes. Pour chevaucher dans le désert, comme je vous l'avais expliqué à Huxian Ijin, les gens se couvrent d'une grande robe flottante noire qui cache aussi leur tête.
An Hai acquiesça.
— Je m'en souviens. Elle n'a pas dit si Sa Majesté allait nous emmener dans le désert, mais prévoyons au cas où. Nous pourrons toujours attacher la robe à la selle entre temps.
Tout ceci rassurait et reposait grandement An Hai. Pantalon, tunique à longues manches, robe couvrante, bottes... sa zone de confort, ce qui lui convenait le mieux et ne le forcerait pas à dénoter des autres, ni à étirer son ingéniosité pour trouver une parade à ce qui lui posait problème.

— J'imagine que je ne pourrai pas vous accompagner non plus, ronchonna toutefois Chhey en se grattant la nuque.
Le prince secoua la tête d'un air navré.
— Malheureusement, je ne crois pas que le roi Afshan sera d'accord de jouer les guides touristiques pour toute une troupe de gens qui ne sont pas de son rang, quand bien même j'aimerais évidemment vous avoir avec moi.
— Tu as un rôle important ici aussi, le rembarra son frère. Ne l'oublie pas.
— Ça va ; je ne l'oublie pas.

Le jeune page rouspétait de toute façon plus pour la forme qu'autre chose, car il connaissait sa place depuis toujours. Comme tous les membres de sa famille, il était un courant de vent qui, plus encore que Sumjini, soufflait sous les ailes d'An Hai et s'assurait que le prince planait à la hauteur où il était censé voler, sans jamais s'écraser.

Après un sourire reconnaissant à Chhey et un coup d'œil rapide au ciel, découpé en rectangle par les murs du palais autour du patio, An Hai étouffa un bâillement derrière le dos de sa main gantée.
— Allons dormir, à présent, afin d'être en forme pour demain. J'ai encore la lettre pour Sray à écrire et je me sens très fatigué.
— Le voyage a été long et éprouvant, commenta Roen.
— Et puis, il y a un décalage horaire entre Harjiba et Huxian Ijin, fit remarquer Hayami à son tour. Sur Linru, nous serions déjà au lit depuis quelques heures !

La mention de l'île arracha un soupir pensif au prince.
— J'espère que tout va bien au palais... Ma missive, même avec ce faucon rapide, n'arrivera pas avant des jours, pas avant que nous ne nous soyons remis en route...
Hayami tenta de le rassurer de sa voix enjouée.
— Les Ombres ont dû mener à bien leur mission ; ce sont des professionnels très entraînés ! Il est donc probable qu'ils ne reviendront plus.
— J'espère.
Il exhala, puis se força à sourire à la ronde.
— Je ne vous retiens plus. Allez tous vous coucher, et faites de beaux rêves.
— Merci, Altesse, murmura Wei Ku.

Contrairement aux autres, Roen ne quitta pas le côté de son roi. Quand ce dernier eut passé la porte de sa chambre et se retourna pour une dernière salutation, le chef de la garde annonça d'un ton ordinaire :
— Je pensais aller chercher une partie de ma literie et dormir sur le pas, comme d'habitude.
— Je suis désolé que...
Le soldat l'interrompit.
— Vous ne demandez rien, puisque je vous le propose, An Hai, comme je vous l'ai déjà dit.
Roen se tut, puis rajouta, pour faire taire un peu de la culpabilité qui persistait dans les iris violets :
— La nuit, il semble faire moins chaud dehors qu'à l'intérieur, donc je n'y serai que plus à l'aise.
Si An Hai n'eut pas l'air pleinement convaincu, au moins ne protesta-t-il plus, se bornant à hocher légèrement la tête, les lèvres jointes.

Le venin des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant