— Voulez-vous une fourrure ? demanda la veuve-reine en tendant une cape élégante, mais épaisse, au roi.
Celui-ci secoua une main en refus.
— Non ; je vous remercie.
L'adolescente passa la tenue de son demi-frère en revue avec une expression inquiète.
— Il ne faut pas que vous attrapiez froid : nous perdrons une dizaine de degrés là où nous allons.
An Hai pressa ses lèvres l'une contre l'autre et essaya encore :
— Êtes-vous sûre que vous voulez vraiment que nous nous y rendions aujourd'hui ?
— Oui, je vous en prie, répondit la veuve-reine de sa petite voix lézardée à laquelle le prince trouvait terriblement difficile de refuser quoi que ce soit.
— Hum, alors, pouvez-vous attendre que je retourne chercher un manteau chez moi ? Je vous promets de revenir. Et je vous promets aussi de me dépêcher.
— Je vous crois et je vous attendrai dans le salon de thé rose.
An Hai s'inclina devant le sourire de Zhi Lin, puis suivit Roen hors du palais pendant que la jeune fille allait s'installer pour patienter.— Altesse, vous n'êtes pas obligé d'accéder à tous les désirs de la veuve-reine, fit remarquer le soldat tandis que le prince, sous son œil vigilant, prenait place dans la jonque.
Ils avaient à présent remplacé le batelier du Maître Intendant par un membre de leur équipe, qui n'avait pas été long à saisir le fonctionnement de l'embarcation ni à savoir se retrouver sur les multiples canaux de la Cité Royale. Sray l'avait en effet envoyé en explorer chaque recoin, fidèle à leur souci d'information.— Je me sens désolé pour elle. Elle a vécu tant de tragédies et elle est si seule, et si jeune... Comment rester indifférent ?
Il secoua la tête, ce qui fit tinter les ornements dans ses cheveux.
— Et puis, elle a raison : je venais surtout lui poser des questions.
— Ce n'est pas un crime de penser à vous, contra le soldat. Et même si cela ne me réjouit pas outre mesure, je dois être d'accord avec Chhey et la veuve-reine elle-même : il y a des choses qui se trament derrière les dos. Elle vient de vous le dire à mots couverts : ils manipulent sans cesse.
— Mais je ne peux pas partir. On ne démissionne pas de la couronne, ou cela s'appelle une trahison. Tu as entendu ce qu'ils faisaient subir aux traîtres comme ma mère l'était visiblement, ainsi que le reste de la famille Hsin. Quel autre choix qu'apprendre à naviguer ici ? Et pour ça, pour ça... Plus on en sait, plus on est armé contre son ennemi ; c'est ce que nous avons toujours dit ? Zhi Lin vit ici depuis sept ans ; elle connait comment les choses se passent.
— C'est vrai.Assis face au prince, le garde du corps ajouta, le visage toujours sombre :
— Mais pardonnez-moi de vous dire, Altesse, que je sais qu'il n'y a pas que cela qui vous pousse à lui céder pour tout. Je pense que la veuve-reine a très bien compris que pour vous manœuvrer, il fallait vous faire vous sentir coupable ou tirer sur votre corde sensible.
Homme de peu de mots, Roen n'était loquace que lorsque le sujet lui tenait extrêmement à cœur et qu'il était en outre convaincu d'avoir raison. Quand il alignait les phrases les unes à la suite des autres ainsi qu'il le faisait en ce moment même dans la jonque, An Hai savait en général se faire attentif.Bien sûr, Roen voyait juste — Roen qui le connaissait depuis qu'il avait deux ans, qui avait été témoin de chaque jour depuis. De toutes les fois où il était tombé, de toutes celles où il s'était relevé, aussi, avec ou sans son aide. Le soldat, dont l'ouïe n'était pas parasitée par le bruit de sa propre voix comme cela pouvait être le cas pour Chhey, jamais avare de mots, était également capable d'écouter, jusqu'aux sons presque imperceptibles du silence et tout ce que ce dernier avait à révéler. Bien sûr, Roen voyait juste, mais...
— Serais-je moi-même si le malheur des autres m'indifférait ? soupira An Hai, les doigts crispés autour de ses genoux.
— Non, mais ces autres se montreront indifférents à votre malheur, Altesse, j'en ai peur. C'est comme cela que le monde fonctionne.
Le prince esquissa un sourire.
— Espérons dans tous les cas que ce malheur n'arrive pas.
Roen, quant à lui, ne se dérida pas.
— Ce que je veux dire, et vous m'avez très bien compris, c'est qu'il ne sert à rien de trop vous sacrifier pour des personnes qui ne vous rendront pas la pareille.
— Je ne suis pas apothicaire, répliqua An Hai.
La réponse du soldat fusa sur le même ton :
— C'est bien dommage. Au moins n'auriez-vous alors pas été roi.
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Le venin des étoiles
FantasíaSoudain propulsé à la tête du royaume de Linru après la mort de son oncle, An Hai doit tout combiner : la découverte d'une capitale aux coutumes différentes de celles de ses montagnes, les obligations liées à son statut, et ses « bizarreries » perso...