18 : Départ, Adieu (2019)

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Ici Gus et Edurne ont 18 ans, Mawin 48 et Turnm 42.

TW : GÊNE

Il vérifia une dernière fois qu'il n'avait rien oublié dans son maigre bagage, toujours légèrement aiguillé par une pointe d'anxiété, qui n'était en rien améliorée par la situation. Il s'en allait. Enfin. Ce n'était pas qu'il avait détesté vivre ici, mais il avait détesté se sentir aussi inutile. Il avait été un poids, et même si Mawin et Turnm avaient essayé de le convaincre qu'il ne les gênait pas tant que ça, il n'arrivait pas à y croire totalement. L'heure du départ, bien que pleine d'incertitudes, était aussi une bonne nouvelle pour eux. En s'apprêtant à se diriger vers la sortie de la pièce, il se retrouva nez à nez avec Edurne, majeure depuis quelques jours seulement.

"Alors ? Tu es prêt ? demanda-t-elle d'un ton joyeux masquant la tristesse qu'elle partageait avec lui.
- Oui. Il me semble que j'ai tout.
- Super...!"

Sa voix sonnait faux. Une silence plana quelques secondes, avant qu'elle ne l'enserre brièvement. Le jeune homme apprécia le geste. Il n'était pas non plus serein à l'idée d'habiter tout seul, en conjuguant études et travail de nuit pour payer loyer et factures. Mais avait-il vraiment le choix ? Selon Edurne, oui, il pouvait rester plus longtemps. Mais il n'osait pas. Alors quand bien même il aurait aimé pouvoir vivre sous le même toit qu'elle pendant plusieurs mois, sa marche se concentra sur la sortie de la maison.

"On s'en va sans nous dire aurevoir ? résonna la voix de Turnm derrière lui, brisant le silence pesant.
- Non, je... hésita le jeune homme quelques instants, redoutant les adieux. Je comptais aller vous chercher."

Le blond leva un sourcil en entendant qu'il était encore vouvoyé par Gus, mais prêta plus d'attention à sa voix basse et peu affirmée ; même si le brun n'était d'ordinaire pas la personne la plus assurée du monde, il semblait partir bien défaitiste. Peut-être que la méfiance exagérée de Mawin avait déteint sur lui, mais il ne pouvait s'empêcher de se dire que le jeune homme avait peut-être raison d'être inquiet. Il était fragile, autant physiquement qu'émotionnellement. Turnm n'était pas dupe quant à la façade de Gus, qui gardait un visage fermé tout en donnant l'impression d'être continuellement exténué. Le cours de ses pensées fut interrompu quand son mari entra dans la pièce, pour lui aussi saluer Gus malgré ses mains pleines d'encre.

"Eh bien... Je suppose qu'on ne peut pas se dire grand-chose à part aurevoir. Et surtout, bonne chance, fit le dessinateur.
- Merci. Pour tout."

En écoutant le jeune homme, Edurne sourit légèrement. Il pouvait être vraiment trop sérieux parfois. Bon, en même temps, ici c'était adapté. Les trois hommes avaient un air quasiment solennel, alors qu'elle semblait bien moins affectée par la situation. Mais elle avait honnêtement une petite envie de pleurer. Bien que la raison de sa venue n'était pas des plus joyeuses, elle avait apprécié sa présence ici. Elle appréciait pouvoir l'embrasser quand elle le souhaitait, et avoir des discussions stupides jusqu'à l'aube. Mais elle gardait de l'espoir ; quand elle partirait de chez ses parents, elle ne serait pas seule. Avec un peu de chance, ils vivraient ensemble. Enfin... Ce n'était pas le moment d'y penser. C'était encore bien loin. Et c'était à son tour de parler.

"Bon... On s'est déjà plus ou moins dit aurevoir. De toute façon on se revoit dans pas longtemps ! En tout cas y a intérêt.
- Évidemment.
- Et évite de mourir de faim. Ça m'arrangerait.
- ... J'essaierai.
- Bien. Et... A bientôt du coup.
- À bientôt."

Elle sourit encore un peu plus quand il parla d'une voix douce qui lui était réservée. Sans réfléchir, elle l'attira vers elle et lui adressa un baiser rapide mais fougueux. Il se laissa faire, et ce n'est qu'après quelques secondes qu'ils se souvinrent qu'ils n'avaient pas vraiment annoncé quoi que ce soit concernant leur relation à Mawin et Turnm. D'abord car ça semblait trop tôt, puis car ils se disaient un peu honteusement que c'était assez visible. C'est en voyant l'air ahuri du plus âgé que le couple se rendit compte que non. Il n'avait jusque là définitivement aucune idée de ce qu'il se passait sous son nez.

"Ah. Euh... furent les seuls mots que la jeune fille réussit à expulser hors de sa bouche.
- Je le savais. Je le savais ! s'exclama Turnm, visiblement excité.
- En même temps c'est... C'est pas très difficile à voir..."

Malgré l'enthousiasme de Turnm, le dessinateur semblait toujours sous le choc. Il les observait en clignant lentement des yeux, et quand elle chercha du soutien à sa gauche, elle vit que Gus avait l'air totalement mortifié. Après l'avoir secoué légèrement pour le ramener à la réalité, il se contenta de fixer le sol en rougissant deux fois plus qu'elle. Elle était quasiment seule dans cette affaire. Reprenant un peu de courage, elle se tourna vers Mawin, encore muet.

"Papa... Ça va ? Tu tiens le choc ?"

Silence. Puis après quelques secondes insoutenables, l'homme aux yeux verts releva en la secouant, l'air perdu.

"Qu'est-ce que... Quoi?
- Je pense... Qu'il n'a pas réalisé ce qu'il vient de se passer, supposa le blond, qui avait oublié quelques instants que son mari aussi avait assisté à la scène.
- Il a fait un blocage...? Quoi ?
- Je suis désolé, souffla Gus, essayant de se faire discret à côté de la jeune fille.
- C'est.. Ugh. Pas grave. C'est ma faute aussi. Je vais lui expliquer... Tu peux aller chez toi.
- M'expliquer... Quoi ? demanda Mawin d'un air inquiet."
- Tu verras ! répondit Edurne avec un clin d'œil, plus assuré que sa voix."

Elle poussa légèrement le jeune homme dehors en le suivant de près, après un dernier regard à ses parents, puis poussa un soupir en mettant les mains sur les hanches. Les regards entremêlés, ils restèrent silencieux un instant, elle les bras croisés contre la poitrine pour ne pas avoir froid, lui se passant une main derrière la nuque. Ils n'étaient plus gênés, malgré la couleur de leurs joues, et elle fut la première à craquer en lâchant un éclat de rire clair. Gus l'imita furtivement, à sa grande surprise.

"C'était vraiment nul, dit la jeune femme entre deux gloussements.
- Ça l'était. Oui.
- J'espère qu'il survivra à l'annonce... Le connaissant...
- Bon courage. Peut-être que tout se passera sans encombre...
- J'en doute. Tu sais bien qu'il a tendance à m'imaginer encore comme une enfant parfois... On verra bien.
- Tu me tiendras au courant. J'aimerais savoir si tes parents me détestent maintenant.
- Mais non. Rohh."

Après s'être calmés, ils ne parlèrent plus, se fixant en se tenant la main, étonnamment proches l'un de l'autre. Ils n'avaient certainement pas envie de se lâcher, mais les aurevoirs avaient déjà assez duré, et ils se reverraient vite. Peut-être même le lendemain. Ils commencèrent à s'éloigner à contrecœur, et Edurne regretta de ne pas avoir un peu plus prolongé le baiser tout à l'heure. Elle tenta donc de le retenir un peu plus longtemps en élevant la voix, alors qu'il faisait un pas en arrière :

"Tu oublies pas quelque chose ?
- Quoi donc ?
- Je ne sais pas... A ton avis ? susurra-t-elle en faisant une moue exagérée.
- Bonne nuit ?"

Elle n'eut pas le temps de répondre avant que, contre toute attente, il réponde à sa demande d'une façon inattendue. Il pressa ses lèvres contre le dos de sa main avec délicatesse, avant de se relever pour partir. Elle le salua vaguement en retour, troublée - pas dans le mauvais sens du terme, évidemment - avant de retourner à la chaleur confortable de sa maison, une fois que la silhouette longiligne du jeune homme eut disparu.

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