6 : Refus, Fuite, Cri (2019)

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Ici Gus vient d'avoir 18 ans, Edurne a 17 ans, Mawin 47 et Turnm 41. Les deux derniers appartiennent à TheeAngora

TW : violence, abus physique et psychologique

Un premier coup le frappa pile sous l'œil, le faisant reculer alors qu'il était brusquement borgne. Un deuxième poing vola contre son nez, qui émit un craquement sinistre alors qu'il se rattrapait contre le mur, sans avoir lâché un seul son. Elle n'apprécia pas le manque de réaction, et sa lèvre fut fendue par une attaque vicieuse, dont l'effet fut décuplé par la présence d'une alliance sur l'annulaire gauche de sa mère. Il réagit à peine pour se défendre, n'osant pas la regarder, élevant ses bras comme seule protection entre la femme et son visage. Quel était l'intérêt de se protéger ? Elle était bien plus forte que lui. Il tremblait, et trembla encore plus quand elle cracha une phrase :

"Pars. Je n'ai plus besoin de toi."

Le jeune homme n'arriva pas à sortir un seul mot de sa gorge serrée ; il se sentait étouffer, mais après s'être crispé en voyant la main s'approcher de nouveau, il fit un pas en arrière, avant de se retourner complètement. Le brun s'apprêtait à aller vers une autre pièce pour chercher des affaires quand une voix lui écorcha les oreilles :

"Non. J'ai dit tu pars.
- ... Mais..., fut tout ce qu'il parvint à répondre, d'une voix si basse qu'on entendait à peine un souffle."

Elle agrippa son col avec violence et il arrêta de respirer, paniquant au delà des mots, malgré son visage figé. Il ne bougeait plus, même pas pour protéger sa tête de laquelle le sang coulait déjà.

"Tu pars."

Elle ne dit rien d'autre, le lâcha et le fixa d'un regard sombre et orageux auquel ses iris gris convenaient parfaitement. Elle était terrifiante. Et il n'allait pas discuter. Il refusait. Il était trop lâche pour ça. Saisissant à grand-peine un manteau, trop fin pour la saison, de ses doigts tellement affolés qu'ils avaient du mal à tenir le tissu sombre, il baissa la tête quand elle poussa un cri, visiblement excédée par sa lenteur.

"Pars !"

Gus avait envie de s'excuser pour ne pas être blessé plus encore ; mais c'était peut-être la dernière fois qu'il la verrait. Et il devait partir. Il fuit de l'appartement sans un regard en arrière, manquant de tomber plusieurs fois dans les escaliers mais sans s'arrêter, même pas pour essuyer un peu le liquide vermeil qui couvrait maintenant sa pommette gauche et le bas de son visage. Il arriva dans la rue en mettant son manteau pour séparer son corps de l'air sec et froid. Il fallait penser méthodiquement pour mieux s'en sortir. Il fallait... Il n'y arrivait pas. Sa respiration était toujours coupée, et chaque inspiration semblait lui apporter moins d'oxygène que la dernière. Le jeune homme s'appuya contre le mur pour essayer de se concentrer, ignorant les passants qui le dévisageaient en ce début de soirée.

Que pouvait-il faire ? Il n'avait pas d'argent. Il n'avait pas de travail, il n'avait pas de de change, il n'avait pas de papiers d'identité. Une main dans les cheveux, il finit par mettre la seconde, se décoiffant encore plus qu'il ne l'était déjà. Il n'arrivait décidément pas à respirer de façon régulière. Fait chier. Fait chier ! Il ne tentait même plus de retenir sa peur, mais aucune larme ne coula. Pendant plusieurs minutes, il était comme une ombre à la lumière du lampadaire, immobile, le visage caché. Puis il releva légèrement les yeux. Il avait une idée. Il la détestait déjà. Mais avait-il vraiment le choix ? Après un temps de réflexion rapide - il ne pouvait pas s'accorder plus - il se mit en marche d'un pas un peu plus ferme, en se répétant mentalement tout ce qu'il allait devoir raconter.

*****

Une fois devant la devanture, Gus hésita. Peut-être qu'ils n'accepteraient pas. Il serait un poids énorme. Inutile, comme d'habitude. Mais il était trop sous le choc pour trouver une meilleure solution, alors il tendit le bras pour frapper à la porte. Une voix masculine se fit entendre à l'intérieur, suivie par un ton plus jeune et dynamique. Il resta à attendre, les bras croisés pour garder la chaleur, avant que le verrou ne soit ouvert. Un visage plus que familier se retrouva face à lui, et le sourire de la jeune femme devint instantanément un air inquiet alors qu'Edurne se rapprocha.

"Qu... Gus ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Je suis désolé... lâcha-t-il, inaudible.
- Euh... Je... Rentre ! Reste pas là !"

Elle eut la délicatesse de ne pas le toucher, s'étant vite rendue compte que ce n'était pas le bon moment pour une embrassade. Il la suivit pour se retrouver face à ses parents ; le plus grand, à la peau mate, l'observait en fronçant les sourcils, alors que le blond à lunettes avait l'air sincèrement surpris, la bouche entrouverte. Le jeune homme faisait de même, et enleva enfin un peu du sang sous son nez avant de prendre la parole :

"Est-ce que... Est-ce que je pourrais rester chez vous cette nuit ?
- Oui. Évidemment que tu peux rester, répondit immédiatement Turnm.
- Assieds-toi. Tu as besoin de quelque chose ? continua son mari d'un ton calme."

Il resta muet quelques instants. Ils n'avaient même pas hésité, et il sentait enfin sa trachée se délier. Restait la douleur brûlante de son visage, mais elle était secondaire. Il glissa un coup d'œil à Edurne, qui l'observait sans se séparer de son air surpris.

"... Merci. Je... N'ai besoin de rien. Merci encore."

La dernière phrase bloqua un peu en sortant, alors que sa voix se brisait. Il n'avait pas besoin de ça maintenant. Alors il renifla rapidement, et confondit son mouvement pour effacer l'humidité de ses yeux avec l'essuyage d'une main de son visage rouge. La jeune femme lui indiqua une chaise pour qu'il s'installe, alors que Mawin allait dans une autre pièce. Ses yeux oscillèrent entre le visage d'Edurne, dont il avait pris la main instinctivement, et celui de son père encore de la pièce, qui se faisait de plus en plus dur. Malgré son silence, il semblait palpitant de colère, fixant la sortie d'un air sombre. Avant que Gus ne puisse dire quoi que ce soit, Edurne se leva pour aller glisser des mots dans l'oreille de Turnm, qui poussa un soupir.

Il lui fut alors tendu un verre d'eau fraîche par l'homme aux cheveux châtains revenant de - supposément - la cuisine. Le jeune homme le remercia, les yeux rivés sur le liquide transparent, avant d'en boire un peu. Il était toujours estomaqué de voir à quelle vitesse ils l'avaient accueilli chez lui. Pourquoi ? Il ne cessait de se répéter la même chose, même une fois ses blessures nettoyées et le visage propre, même une fois installé avec Edurne dans son lit à elle. Il était trop épuisé pour être gêné par la situation, et quand-bien même son œil était devenu violet et son nez un peu plus tordu, il plongea dans un sommeil sans rêves pour la première fois depuis des mois.


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