22 : Origine, Ancien (2020)

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Ici Gus a 22-23 ans.
Est-ce que je poste les textes dans le désordre parce que novembre est passé ? Absolument !

TW : mention d'abus

Une fois arrivé dans la salle d'attente, il eut envie de faire demi-tour immédiatement. Tout cela sonnait... Étrangement mal. Mais il préférait mourir plutôt que de repasser devant l'accueil, à peine quelques minutes après que le secrétaire lui ait gentiment indiqué le chemin. Alors il se résigna à s'asseoir, entouré d'inconnus qu'il ne regarda pas. Entendant d'une oreille des chuchotements, son premier instinct stupide fut de se demander s'ils parlaient de lui, en l'observant avec amusement. Il préférait ne pas vérifier. Le jeune homme respirait calmement, mais ses poumons semblait obstrués par l'angoisse ; l'angoisse du rendez-vous qui approchait, l'angoisse que les autres patients autour de lui le mettent à nu et imaginent pourquoi il était ici. L'angoisse, toujours.

"Entrez."

Il n'eut pas d'autre choix qu'obéir à la voix, se sentant observé par les autres personnes dans la pièce. La salle suivante était bien moins froide, plus vivante bien que manquant de rangement. Cela ne lui importait pas vraiment. Le brun se sentait incapable de raconter quoi que ce soit, une fois assis et la première question posée. Comment allez-vous ? Par habitude, et par manque malheureux de réflexion, il mentit comme il aurait respiré, disant qu'il n'y avait aucun problème. Évidemment qu'il y avait un problème. Il n'allait pas chez un psychologue pour passer du bon temps. Et il avait du mal à croire que les séances puissent être utiles... mais Edurne avait réussi à le convaincre après une énième insomnie marquée de cauchemars anciens l'ayant laissé pantelant.

Il répondit très vaguement aux questions suivantes, ce qui était déjà un effort, venant de lui. En temps normal, il aurait ignoré la demande. Il laissa glisser rapidement quel travail il occupait et comment se portaient ses relations actuellement. Le jeune homme sentit ses entrailles se serrer quand le psychologue lâcha le mot "enfance" et il n'arriva pas à dire autre chose que "difficile.". En face, il notait calmement tout ce que lui racontait son patient sur un petit calepin, le visage plein de bonnes intentions. Exactement celui qu'affichait sa mère après l'avoir frappé car une note ne convenait pas à ses attentes.

"Pourriez-vous... Élaborer ? Vous n'êtes pas obligé de faire ça maintenant, mais... Ça a l'air assez important.
- Je n'en ai pas envie. Pas... Pas maintenant, fit-il, en un rare moment d'hésitation.
- Très bien. Est-ce que vous pourriez alors... Hum. Élaborer sur comment ça affecte votre vie maintenant ?
- Ça me fait me poser beaucoup de questions, répondit le brun après une latence considérable.
- Comme ?
- Pourquoi on m'a fait... ça. J'y pense... beaucoup."

Son interlocuteur ne répliqua pas, et Gus remarqua vite qu'il avait adopté un visage presque compatissant, avec une pointe de dépit. Qu'avait-il dit de si terrible pour recevoir cela comme toute réponse ?

"Ce n'est pas sain de... Se demander ce qu'il se passe dans la tête de quelqu'un d'autre. Vous ne pouvez pas y arriver. Vous allez juste vous faire du mal.
- Ça m'est égal.
- Si vous n'arrivez pas à trouver pourquoi on vous a fait du mal... C'est simplement que l'autre personne n'est pas comme vous. Et ça devrait vous permettre de tourner la page.
- Ça devrait."

Les bras croisés, il fixait l'homme devant lui avec un visage fermé, sa carapace de glace de retour, après avoir mis fin à la conversation de façon abrupte. Il n'avait pas fallu beaucoup de temps pour que sa voix devienne froide et qu'il ignore les conseils qui lui étaient prodigués. L'homme observa son patient en poussant un léger soupir. Pourquoi était-il venu ? De toute évidence, le rendez-vous allait être inutile. Ou en tout cas, Gus essayait de s'en persuader. Il était prêt à se lever alors que la conversation reprit :

"Cette personne... Si votre enfance a été compliquée, je dois supposer que c'est un parent ? Un proche ?"

Gus se figea. Il aurait dû s'attendre à cette question. Mais il était trop tôt. Cela faisait six ans que c'était trop tôt, maintenant. Et il avait dit qu'il ne voulait pas en parler. Il était incapable d'en parler. Sa façade dure fondit comme neige au soleil et il baissa le visage, maintenant incapable de soutenir le regard de l'homme qui l'avait questionné. Il n'arrivait pas à lui répondre que c'était bien sa mère qui était à l'origine de tous ses problèmes. Il avait l'impression que la phrase était trop terrible pour être prise à sérieux, ou qu'elle n'était pas assez grave pour vraiment importer. Il devait partir d'ici. La pièce suintait une lourdeur qu'il ne pouvait pas supporter, alors que les yeux du psychologue le brûlèrent. De colère, il supposait.

"Pensez-vous que vous m'ennuyez ?
- Pardon ? parvint-il à souffler, d'une voix éteinte.
- Est-ce que vous pensez que votre présence... M'agace ?
- Oui. Évidemment. Je déteste ça. Je déteste montrer que... ça ne va pas. Je déteste me sentir faible parce que j'importune les autres et je le sais.
- Donc... Vous supposez savoir ce que je ressens ?
- Je... Non...? réfuta le brun, sans aucune confiance.
- Vous pensez que c'est réel, que vous êtes dérangeant. Vous rendez ça réel dans votre esprit. Mais ça ne l'est pas.
- Qu'en savez-vous ?
- Vous avez dit il y a quelques minutes que vous étiez en couple depuis sept ans avec quelqu'un et que ça se passait bien ? Vous avez évoqué une relation proche avec vos beaux-parents ?
- Seulement trois personnes. C'est dérisoire.
- Donc... Vous reconnaissez que ces trois personnes ne sont pas agacées par votre présence ?
- ... Non. Je... commença-t-il, sans réussir à finir ce qu'il s'apprêtait à dire ; que pouvait-il répliquer ?
- Je suis ici pour vous aider, vraiment. Et même si c'est dur à croire pour vous, que vous n'ennuyez pas ceux qui vous entourent, et que vous méritez qu'on prenne soin de vous."

Le jeune homme resta muet après cette intervention, ne sachant pas s'il se sentait plus profondément gêné ou profondément affecté. Dans tous les cas, il n'aimait pas ça. Et il ne le cacha pas. Lentement, son visage s'enfouit dans ses mains, ses coudes appuyés sur ses genoux et les yeux fermés. Si l'autre homme voulait le voir faible, il le verrait. Mais il ne pouvait pas encore savoir pourquoi. Pas maintenant. Pas ici. Il n'avait pas le droit.

"Je pense... Que nous pouvons arrêter ici. J'en ai déjà appris assez."

Malgré le ton doux du psychologue, Gus n'ajouta rien et se releva brusquement, brisant les mouvements plus ou moins contrôlés qu'il avait jusque là. Il remit son manteau avec des gestes toujours aussi saccadés, et se préparait à dire rapidement aurevoir quand il vit une main tendue vers lui, prête à serrer la sienne. En temps normal, il aurait simplement ignoré le geste. Il réprima cette envie, pour la simple et bonne raison qu'il allait probablement revoir l'homme, et articula sa dernière phrase rapidement :

"Désolé. Je ne suis pas quelqu'un de tactile. Aurevoir.
- Très bien... Bonne journée à vous."

L'homme fut remercié de ses mots par un signe de tête, avant que son patient ne disparaisse derrière la porte. Une fois dehors, il inspira profondément l'air glacial, sans se soucier des gouttelettes le trempant peu à peu. La pluie ne le dérangeait pas, et il avait d'autres choses à l'esprit. Cette première séance n'était... Pas si terrible que prévu. Ou en tout cas, pas aussi superflue qu'il ne l'aurait imaginée. Elle n'avait rien arrangé mais il était prêt à donner un peu de temps pour cela ; une guérison instantanée n'était pas possible, il le savait. Mais avec de la patience, peut-être arriverait-il à regarder en face une ceinture sans tressaillir, et à parler d'enfants sans qu'une douleur sourde se répande dans son ventre. Et malgré ses yeux creusés et son expression fatiguée, il sourit imperceptiblement en appelant Edurne pour lui raconter le rendez-vous.

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