Chapitre 3 II

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  Cela, c'était pour le match de golf. Elle avait perdu la semaine dernière dans les finales.

– Vous ignorez qui nous sommes, dit une des filles en jaune, mais nous vous avons rencontrée ici, il y a un mois.

– Vous vous êtes teint les cheveux depuis, fit remarquer Jordan.

  Je sursautai, mais les jeunes filles s'étaient paisiblement éloignées et le commentaire s'adressa à une lune prématurée, sortie sans doute, comme le souper, d'un des paniers du fournisseur. Le mince bras doré de Jordan posé sur le mien, nous descendîmes les marches et nous nous promenâmes dans le jardin. Un plateau de cocktails glissa vers nous dans le crépuscule et nous prîmes place à une table avec les deux filles en jaune et trois hommes, qu'on présenta tous trois sous le nom de M. M-m-m-m.

– Vous venez souvent à ces fêtes ? demanda Jordan à sa voisine.

– La dernière fois c'est quand je vous ai rencontrée, répondit la jeune fille d'une voix alerte et assurée.

  Elle se tourna vers sa voisine : « Et toi, Lucile, c'est pas comme ça pour toi ? »

  C'était comme ça pour Lucile.

– J'aime venir ici, fit Lucile. Comme je ne fais jamais que ce qui me passe par la tête, je m'amuse toujours. La dernière fois, j'ai déchiré ma robe après une chaise et il me demanda mon nom et mon adresse. Dans la semaine, je recevais un paquet de chez Croirier avec une robe de soirée, toute neuve, dedans.

– Vous l'avez gardée ? s'enquit Jordan.

– Moi ? Mais bien sûr. Je comptais la mettre ce soir, mais elle est trop large de ceinture, et il faut que je la fasse arranger. Elle est bleu gaz avec perles lavande. Deux cent soixante-quinze dollars.

– Il y a quelque chose d'étrange chez un homme qui fait une chose comme ça, fit l'autre fille avec conviction. Il ne veut pas avoir d'ennuis avec qui-que-ce-soit.

– Qui ça ? demandai-je.

– Gatsby. Quelqu'un m'a dit... Les deux filles et Jordan se penchèrent l'une vers l'autre confidentiellement.

– ... qu'il paraît qu'il a tué un homme dans le temps.

Un frisson passa sur nous tous. Les trois M. M-m-m-m. se penchèrent et prêtèrent l'oreille avec empressement.

– Je ne crois pas que ce soit tant cela, chicana Lucile avec scepticisme ; c'est plutôt qu'il faisait de l'espionnage pour les Allemands pendant la guerre.

  Un des trois messieurs hocha la tête en signe d'approbation.

– Moi je tiens cela d'un homme qui le connaît comme sa poche, qui a été élevé avec lui en Allemagne, nous assura-t-il d'un air profondément convaincu.

– Oh ! non, fit la première jeune fille, ça ne peut être ça, puisqu'il servait dans l'armée américaine pendant la guerre.

  Comme notre crédulité refluait vers elle, elle se pencha avec enthousiasme :

– Regardez-le pour voir quand il croit que personne ne l'observe. Moi, je parie qu'il a tué.

  Ses yeux se rétrécirent ; elle frissonna. Lucile frissonna. Nous nous retournâmes tous pour chercher des yeux Gatsby. C'était un véritable tribut au romanesque des suppositions inspirées par cet homme que rendaient ces gens en chuchotant à son sujet, eux qui en ce monde avaient trouvé si peu de choses dont ils crussent nécessaire de parler à voix basse.

Gatsby le magnifiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant