Chapitre 7 VIII

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  Il regarda pendant que les deux hommes les plus rapprochés se consultaient du regard et entraient avec répugnance dans la pièce. Tom alors referma la porte sur eux et descendit la marche, en évitant de regarder l'établi. En passant près de moi, il chuchota : « Sortons. »

  Conscients de la curiosité générale, nous nous frayâmes un chemin, grâce aux bras vigoureux de Tom, à travers la foule qui n'avait cessé de croître, et croisâmes un médecin qui arrivait, fort affairé, trousse en main. On l'avait appelé, une demi-heure plus tôt, avec je ne sais quel espoir extravagant.

  Tom conduisit lentement jusqu'au prochain tournant, puis son pied appuya à fond, et le coupé fila dans la nuit. Bientôt j'entendis un sanglot bas et rauque et vis que les larmes débordaient sur son visage.

– Le salaud, le capon ! pleurnicha-t-il. Il n'a même pas arrêté sa voiture !

  La maison des Buchanan flotta soudain vers nous à travers les sombres arbres bruissants. Tom stoppa devant le perron et leva les yeux vers le premier étage où deux fenêtres brillaient parmi la vigne vierge.

– Daisy est rentrée, fit-il.

  Quand nous descendîmes, il me regarda et fronça légère-ment les sourcils.

– J'aurais dû te déposer à West-Egg, Nick. Il n'y a plus rien à faire ce soir

  Un changement s'était produit en lui. Il marchait avec gravité, avec décision. Tout en marchant vers le perron, sur le gravier éclairé par la lune, il régla la situation en quelques phrases brèves.

– Je vais téléphoner pour qu'un taxi vienne te prendre. En attendant, toi et Jordan, vous ferez bien d'aller à la cuisine pour vous faire donner à souper – si vous avez envie de manger.

  Il ouvrit la porte : « Entrez. »

– Non merci. Mais je te serais obligé de faire venir un taxi. J'attendrai dehors.

  Jordan posa la main sur mon bras.

– Vous ne voulez pas entrer, Nick ?

– Non, merci.

  Je me sentais un peu malade et voulais être seul. Mais Jordan s'attarda un instant.

– Il n'est que neuf heures et demie, fit-elle.

  Que le diable m'emporte si je voulais entrer. J'en avais assez pour la journée, d'eux tous, Jordan comprise. Elle dut percevoir une ombre de mes sentiments sur mon visage, car elle s'éloigna brusquement, gravit très vite le perron et disparut dans la maison. Je m'assis quelques minutes, la tête dans mes mains, restant ainsi jusqu'à ce que j'eusse entendu le valet de chambre décrocher le téléphone à l'intérieur et appeler le taxi. Alors je m'éloignai lentement de la maison par la grande allée, avec l'intention d'attendre près de la grille.

  Je n'avais pas fait vingt mètres, quand j'entendis mon nom. Gatsby sortit d'entre deux buissons et s'avança vers moi. Je devais être dans un bel état mental, car il me fut impossible de penser à autre chose qu'à la luminosité de son complet rose sous la lune.

– Que faites-vous ici ? lui demandai-je.

– Oh ! rien, j'attends, vieux frère.

  Je ne sais pourquoi, cela me fit l'effet d'une occupation méprisable. Pour tout ce que j'en savais, il allait peut-être cambrioler la maison. Je n'aurais pas été surpris de voir des figures sinistres, les figures des « gens à Wolfshiem » derrière lui, entre les buissons sombres.

Gatsby le magnifiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant