Chapitre 7 VI

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– Même seule à seul avec vous, je ne pourrai vous dire que je n'ai jamais aimé Tom, avoua-t-elle d'une voix lamentable. Ce ne serait pas vrai.

– Bien sûr que non, approuva Tom.

  Elle se tourna vers son mari :

– Comme si cela avait de l'importance pour toi !

– Bien sûr que cela a de l'importance. Je m'occuperai mieux de toi à l'avenir.

– Vous ne comprenez pas, dit Gatsby, touché par la panique. Vous n'allez plus vous occuper d'elle du tout.

– Je ne vais pas ?...

  Tom ouvrit les yeux tout grands et se mit à rire. Il pouvait à présent se permettre le luxe d'avoir du sang-froid.

– Et pourquoi ça ?

– Daisy vous quitte.

– Enfantillage.

– C'est pourtant vrai, fit-elle en se forçant.

– Elle ne me quitte pas. (Tout d'un coup les paroles de Tom s'abaissèrent d'une hauteur prodigieuse au niveau de Gatsby). Elle ne me quittera certes pas pour un vulgaire escroc qui devrait voler l'anneau qu'il lui mettrait au doigt.

– Je ne tolérerai pas... ! s'écria Daisy. Sortons, je vous en prie.

– Qui êtes-vous, après tout ? interrompit Tom. Un de ces individus qui tripotent avec Meyer Wolfshiem, cela je le sais. J'ai fait une petite enquête sur vos affaires, et demain je la pous-serai plus loin.

– À votre aise, vieux frère, dit Gatsby avec fermeté.

– J'ai découvert ce qu'étaient vos « pharmacies ». (Il se tourna vers nous et ajouta très vite) : Lui et ce Wolfshiem ont acheté une quantité de pharmacies de quartier ici et à Chicago, pour vendre de l'alcool de bois par-dessous le comptoir. C'est là un de ses trucs. La première fois que je l'ai vu, je l'ai pris pour un bootlegger. Je ne me trompais pas de beaucoup.

– Et puis après ? dit Gatsby avec politesse. Il semble que votre ami Walter Chase n'était pas trop dégoûté, puisqu'il a travaillé avec nous.

– Et vous l'avez laissé le bec dans l'eau, pas vrai ? Vous lui avez laissé faire un mois de prison dans le New-Jersey. Bon Dieu de bon Dieu ! Il faut entendre Walter quand il parle de vous !

– Il est venu à nous fauché. Trop heureux d'attraper un peu de galette, vieux frère.

– Je vous défends de m'appeler « vieux frère », hurla Tom.

  Gatsby se tut. Tom reprit :

– Il aurait pu vous faire coffrer pour violation de la loi sur les jeux, mais Wolfshiem lui a fait peur et il a fermé sa gueule.

  L'expression peu familière et pourtant si reconnaissable était revenue sur le visage de Gatsby.

– Cette histoire de pharmacies, ce n'était que pour le menu fretin, continua Tom lentement. Mais vous vous occupez main-tenant d'une chose dont Walter n'a pas osé me parler.

  Je regardai Daisy, dont les yeux terrifiés fixaient un point, entre Gatsby et son mari, et Jordan, qui s'était mise à tenir en équilibre sur le bout de son menton un objet invisible mais absorbant. Puis je me retournai vers Gatsby. L'expression de son visage me frappa de stupeur. Il avait l'air – et je dis ceci avec tout le mépris possible pour les potins calomniateurs de son jardin – il avait l'air d'un « homme qui a tué ». Un instant, seuls ces mots auraient pu rendre l'expression de sa figure.

Gatsby le magnifiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant