Chapitre 2 III

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– Tu donneras à McKee une lettre d'introduction pour ton mari, pour qu'il puisse faire quelques études d'après lui.

  Ses lèvres remuèrent sans bruit un instant tandis qu'il improvisait : « George B. Wilson à la Pompe à essence », ou quelque chose de ce genre.

Catherine se pencha à me toucher et murmura dans mon oreille :

– Ni l'un ni l'autre ne peuvent souffrir la personne avec la-quelle ils sont mariés.

– Ah ! Oui ?

– C'est comme je vous le dis. Elle regarda Myrtle, puis Tom, et reprit :

– Moi je dis une chose : pourquoi continuer à vivre ensemble quand on ne peut pas se souffrir ? Si j'étais eux, je divorcerais et me marierais ensemble tout de suite.

– Alors, elle n'aime pas Wilson ?

  La réponse me fit sursauter. Elle vint énoncée par Myrtle, qui m'avait entendu, en termes aussi violents qu'obscènes.

– Vous voyez ! s'écria Catherine, triomphante. Puis elle baissa de nouveau la voix : « En réalité, c'est sa femme à lui qui les sépare. Elle est catholique et les catholiques n'admettent pas le divorce. »

  Daisy n'était pas catholique. Le « fini » du mensonge me choqua.

Quand ils se marieront, continua Catherine, ils iront vivre dans l'Ouest jusqu'à ce que l'affaire soit oubliée.

– Il serait plus discret d'aller en Europe.

– Oh ! ça vous plaît, l'Europe ? s'exclama-t-elle inopinément. Moi j'arrive de Monte-Carlo.

– Vraiment ?

– Pas plus tard que l'année dernière. J'y étais allée avec une amie.

– Vous y êtes restées longtemps ?

– Non, Monte-Carlo et retour, c'est tout. Nous y sommes allées par Marseille. On avait plus de douze cents dollars en partant, mais on nous les a filoutés en deux jours dans les salons particuliers. On a eu un mal de chien pour rentrer, ça je peux le dire. Bon Dieu ce que j'ai pu la détester, cette ville !

Le ciel de cette fin d'après-midi s'épanouit un instant à la fenêtre comme le miel azuré de la Méditerranée – puis la voix perçante de Mrs. McKee me rappela dans la pièce.

– Moi aussi j'ai failli faire une gaffe, déclara-t-elle vigoureusement. J'ai failli épouser un petit youpin qui était après moi depuis des années. Moi je savais qu'il était mon inférieur. Tout le monde me répétait : Lucile, cet homme est de beaucoup ton inférieur ! Mais si je n'avais pas rencontré Chester, il m'aurait eue, c'est certain.

– Oui, mais écoutez, fit Myrtle Wilson en hochant la tête de bas en haut, vous, au moins, vous ne l'avez pas épousé.

– Je le sais bien.

– Tandis que moi, je l'ai épousé, continua Myrtle avec ambiguïté. Voilà toute la différence qu'il y a entre votre cas et le mien, ma chère.

– Pourquoi que tu as fait ça, Myrtle ? demanda Catherine. Personne ne te forçait. Myrtle réfléchit un moment.

– Je l'ai épousé parce que je croyais que c'était un gentleman, dit-elle enfin. Je croyais que c'était quelqu'un de distingué, mais il n'était pas digne de lécher mes souliers.

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