chapitre 7 II

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  L'un après l'autre, Gatsby et moi nous nous penchâmes pour prendre la menotte qu'on nous offrait à contre-cœur. Après, il se mit à considérer l'enfant avec surprise. Je ne crois pas qu'auparavant il avait cru vraiment à son existence.

– On m'a habillée avant le déjeuner, fit l'enfant, se tournant avec empressement vers Daisy.

– C'est que ta maman voulait te montrer.

  Sa figure se pencha vers l'unique pli qui sillonnait le petit cou blanc :

– Petit rêve, absolu petit rêve.

– Oui, acquiesça l'enfant avec assurance. Tante Jordan elle aussi a une robe blanche.

Que penses-tu des messieurs amis de ta maman ? Trouves-tu qu'ils soient jolis ?

– Où qu'il est, papa ?

– Elle ne ressemble pas à son père, expliqua Daisy, mais à moi. Elle a mes cheveux et ma coupe de figure.

  Daisy s'assit plus en arrière sur le divan. La gouvernante avança d'un pas et tendit là main :

– Venez, Pammy.

– Au revoir, ma chérie

  Avec un regard de regret par-dessus l'épaule, l'enfant – bien élevée – se cramponna à la main de sa gouvernante et se laissa entraîner juste au moment où Tom revenait, précédant quatre ginrickeys qui cliquetaient, pleins de glace.

  Gatsby prit son verre.

Ç'a l'air bien frais, fit-il, avec un effort visible.

  Nous bûmes par longues gorgées avides.

– J'ai lu quelque part que le soleil devient plus chaud d'année en année, fit Tom avec aisance. Il paraît que bientôt la terre va tomber dans le soleil – non, une minute – c'est exacte-ment le contraire – le soleil se refroidit d'année en année.

– Allons dehors, proposa-t-il à Gatsby. Je voudrais que vous jetiez un coup d'œil sur la propriété.

  Je sortis avec eux sous le portique. Sur le Détroit tout vert qui stagnait au soleil, une petite voile rampait lentement vers la fraîcheur du large. Gatsby la suivit un instant des yeux ; levant la main, il montra la rive opposée.

– Je suis juste en face.

– C'est exact.

  Nos yeux se levèrent au-dessus des parterres de roses, de la pelouse brûlante, des folles herbes caniculaires dont s'encombrait le bord de l'eau. Lentes, les ailes blanches du bateau glissaient contre la limite bleu frais du ciel. Devant nous s'étendait l'océan dentelé et les innombrables îles de bénédiction.

– Voilà du sport, fit Tom en hochant la tête. J'aimerais être là-bas avec lui pendant une heure ou deux.

  On déjeuna dans la salle à manger, obscurcie elle aussi à cause de la chaleur, en avalant une gaîté nerveuse avec la bière froide.

– Qu'allons-nous faire cet après-midi, s'écria Daisy, et demain, et les trente années qui vont suivre ?

– Pas de morbidité, s'il te plaît, fit Jordan. La vie recommence quand il se remet à faire frais, en automne.

– Mais il fait si chaud, insista Daisy, prête aux larmes, et tout est si confus. Allons tous en ville !

   Sa voix lutta dans la chaleur, se heurtant contre elle, modelant en formes son absurdité.

Gatsby le magnifiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant