Assise par terre, les jambes endormies, je regarde le monde défiler d'une grande ville devant moi. Ils vont tous quelque part, ils ont tous un objectif que je ne comprendrais jamais. Avec mon gobelet de café à réclamer de l'argent ils ne me comprennent pas plus que ce que moi je ne les comprends.
Ils me regardent, j'ai froid, j'ai faim, personne ne pense que j'ai fait des efforts, que je me suis battue. Personne n'a la bonté de venir me parler comme si je n'étais pas cette fille pitoyable au bord de la route mais un véritable être humain avec des organes vitaux (oui je l'avoue qui sont endommagés).
Des parents irresponsables dites-vous? Vous êtes drôles, ils ne sont plus là depuis longtemps mes parents. J'ai dû apprendre à marcher toute seule, à tracer ma route avec mes propres idées, mes propres choix et cela depuis toujours.
Toi qui me regarde du coin de l’œil en passant, toi qui fait comme si je n'existais pas , toi qui te moque de moi pendant que je pète un plomb dans un endroit public, toi qui me néglige, toi qui m'insulte, toi qui me frappe, toi qui te pense supérieur et toi grande personne vêtue de tes habits prestigieux et fort coûteux. Sache que depuis toujours tu es soigné par tes parents et protégé par le reste du monde, toi tu ne connais rien de la basse cours d'où je viens.
Chaque jour où je ne suis pas agressé est un jour de bonheur, un jour où ma journée a été utile.
Oui, tu vaux mieux que moi, oui tu es plus fort que moi, oui tu es plus beau que moi dans mes vieux draps que je traine partout où je vais, tu es plus intelligent que moi qui ne connais ni la lecture ni l'écriture. Mais mon enfant, mon adolescent, mon pote, mon vieux, peu importe ton âge et ta posture moi pendant que tu marches dans cette grande rue remplie de gens je t'admire et je rêve que ta vie devienne la mienne pendant une seule journée, être enfin un adolescente de 16 ans comme toutes les autres, pouvoir me regarder dans un miroir, connaitre le goût d'une simple pomme, apprendre à lire et à écrire, j'aimerais entendre la mer et le son des sabots des chevaux sur le sol, j'aimerais sentir la chaleur du soleil qui tape et regarder un véritable billet, pouvoir sentir la véritable nature et non pas cette cocaïne qui traine un peu partout.
Mais tu as peur de moi, parce que je suis différente, parce que je n'ai pas d'argent, parce que je ne suis pas propre. Tu me fuis pendant que moi je t'admire les jambes endormies sur cette route de pavés froids. La prochaine fois que tu me vois, ne me vois pas comme l'adolescente déjantée de la gare qui te réclame des sous mais plutôt comme quelqu'un qui est remplis de rêve qui ne seront jamais atteints. Et le soir, quand tu me croise sur un trottoir, ne pense pas que c'est ma volonté d’être vêtue comme ça, ne pense pas que j'ai envie de voir des centaines d'hommes entre mes jambes, Pense que j'y suis obligé pour ma survie, pour la suivie de ma petite sœur, pour qu'elle ne connaisse pas ce que je fais.
Je me réchauffe ce matin dans un café avec les sous que j'ai gagné cette nuit. Je respire la vapeur de mon café dans ce gobelet de carton et je continue de rêver… Pour qu'un jour nous soyons tous heureux comme je suis heureuse lorsque mes mains sont chauffées par ce café.