Troublante Usurpation

Chapitre 16

Deux jours plus tard, me voilà en train de faire le pied de grue au coin d'une rue avec un téléphone dans la poche.

J'ai l'impression de revenir à mes 14 ans, l'assurance et quelques années en plus. C'est avec nostalgie que je repense à ce qui était mon tout premier taff. Pete avait essayé de me dissuader pendant des jours mais je n'avais pas vraiment eu le choix. Il le fallait. Hors de question de rester dans un orphelinat en attendant qu'un gentil couple veuille bien accepter un petit con d'ado comme rejeton de substitution.

Pete disait que le milieu de la drogue c'était pas bien, qu'il aurait pu m'aider à m'en sortir. Le bien, le mal, dur de juger quand on a une vie pourrie dès le plus jeune âge. Tout dépend dans quelle merde on vit et quel est le seuil de tolérance maximum.

J'ai pas voulu espérer quoi que ça soit de sa part sachant que sa mère avait jamais pu me blairer. Comment un ado de 14 ans aurait pu en aider un autre ? Je vivais et travaillait pour le gros Clyde désormais. C'était ça ou être sdf. Le choix m'a paru évident et rapide.

Sincèrement, j'étais peut-être seul mais peinard. Je faisais mon taff quand ils avaient besoin de moi. Le reste du temps, je traînais les rues et rentrais chez moi uniquement pour dormir. Quel ado ne rêverait pas d'autant de liberté et surtout de pouvoir sécher les cours sans se faire gueuler dessus par ses parents ?

Je décidais de tout. Quand manger, dormir et même penser. La solitude ne m'a jamais fait peur. Mon père est un inconnu et depuis aussi loin que je me souvienne, ma mère nous laissait seuls, Bianca et moi, pour aller bosser. On restait chacun dans notre chambre jusqu'à l'heure du dîner.

*****

La mère de Pete a commencé à jouer son rôle de protectrice castratrice peu de temps après mon intégration dans le gang et il n'avait plus le droit de sortir après les cours. C'était plus une interdiction déguisée de me voir...

Du coup pour bien narguer la vieille, j'accompagnais Pete du College jusqu'à chez lui. Elle l'attendait planquée derrière sa fenêtre alors je la saluais avec un sourire arrogant et un « Bonjour madame Nolan, j'espère que vous allez bien aujourd'hui » assez fort pour qu'elle entende. C'était devenu notre petite routine.

Pete était gêné au début que je défie sa mère et puis au fil du temps, il se lâchait un peu en prenant quelques libertés lui aussi. Parfois, il faisait le mur et venait avec moi le soir. Les premières fois, il tremblait comme une feuille, c'était assez marrant. Jusqu'à ce qu'il comprenne que si les flics se pointaient, on avait juste à prévenir le dealer et faire style de traîner et discuter dehors pour échapper à nos géniteurs. Ils n'avaient et ne pouvaient rien contre nous.

J'étais jeune, libre et intouchable. C'était la belle époque surtout après ce que je venais de traverser. Ma sœur puis ma mère étaient parties. Plus de famille, plus de chez nous, plus rien. Juste moi.

Les mois se sont succédés dans ma petite vie d'ado et un jour, j'ai été convoqué au dernier étage de l'immeuble où je vivais. Deux grosses baraques sont venues taper à ma porte et m'ont très gentiment ordonné de les suivre. Je ne vais pas mentir mais sur le coup, je ne faisais pas le malin même si je n'ai rien laissé paraître. J'ai parlé à un mec que j'avais jamais vu et tout sourire, il m'a dit que j'avais droit à une promotion.

Ça faisait environ cinq mois que je bossais pour Clyde. Je passais de guetteur à celui de dealer. Je pouvais garder le secteur sur lequel j'opérais déjà et j'avais droit à deux guetteurs pour m'aider à ma tâche. Ce poste, je l'ai occupé de nombreuses années sans vouloir aller au-dessus. Dans l'organigramme d'un gang, tu n'es plus une sous merde qui obéit comme un toutou pour un restant d'os et tu restes loin des emmerdes liées à la hiérarchie. Le poste tranquille et sans prise de tête en somme.