Chapitre 1

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Chapitre 1 : Marie


Nord-Est de la France, 1234.

Massif du Warndt.


Les yeux rivés sur ma proie, j'attends. Le souffle du vent agite doucement les branches des arbres. Ces derniers, tranquilles et endormis, ne se doutent pas  du drame qui va se jouer à leur pied.

Immobile, je la fixe. Ne pas bouger. Ne faire aucun bruit. La proie renifle l'air mais ne me sent pas. Ne me voit pas. Le voile de la nuit me dérobe à ses yeux et me protège ainsi. J'attends, j'avance une patte. Puis je bondis. Le lièvre tente de s'échapper, mais il est déjà trop tard. Mordu à la gorge, il a tout juste le temps de pousser un cri d'effroi ou de douleur, puis le sang coule dans ma gueule. Affamée et rassurée d'avoir réussi, je me retire au cœur de la forêt pour me nourrir enfin.

Car oui, je suis affamée. Trois nuits sans me nourrir. Trois longues nuits d'attente. Car la louve que je suis ne se souvient jamais qu'elle se nourrit aussi le jour et que cette faim nocturne n'est qu'illusoire. La louve ne sait pas qu'elle est humaine.

Une fois ma proie avalée, je m'endors enfin avec la sensation d'être protégée. Avant la prochaine nuit, avant la prochaine chasse. Au petit jour, je serai à nouveau humaine. Et la nuit prochaine, j'aurai à nouveau faim. Mon esprit animal s'en souvient. Mais il ne se souvient jamais de lui...

J'avais 17 ans lorsque mon père m'a mariée à Thomas. Un mariage d'enfant, un mariage d'amour. Dans notre petit village, je ne connaissais que ce garçon, depuis ma plus tendre enfance. Thomas était roux ; avec des tâches de rousseur qui constellaient son nez et ses joues. Il était craquant.Il était solaire. Magnifique.

Je l'ai aimé d'un amour d'enfant d'abord, puis de jeune fille. Et lui aussi. Pendant des années, nous nous sommes chamaillés, couru après. Nous partagions les mêmes jeux, partagions aussi nos goûters. Un jour, quand nous étions tout petits, le sien est tombé dans la boue. Il pleuvait. Il s'est alors mis à pleurer. J'ai ouvert mon petit sac en toile, j'ai sorti les tartines à la confiture de ma tante et je lui en ai tendu une. Puis,je l'ai pris dans mes bras potelés et je lui ai collé un bisou sur la joue. Le premier de tout une série. Le sourire qui s'est dessiné à cet instant sur son visage était le plus beau de tous. Et je l'ai aimé ce jour-là, fascinée par son visage d'enfant. Mais il n'est plus là pour moi. Pour personne.

Le soleil se lève. Le rêve s'estompe. Nue dans la mousse, je regarde autour de moi. Grelottante,je cherche du regard le sac que j'ai laissé la veille au soir. Sous un tronc.

L'ayant trouvé, je m'habille après une courte toilette expédiée à la hâte au ruisseau qui coule à quelques mètres de mon lit de fortune. J'ai un goût de sang dans la bouche. L'idée d'avoir tué me révulse, mais je n'y peux rien. Je ne contrôle rien . Pas même cette naissance animale toutes les nuits que je hais si fort, après l'avoir ardemment désirée. Je me coiffe à la hâte et relève mes longs cheveux châtains en un chignon tout simple.

Tous les matins, l'envie de pleurer me prend. Mais je ne peux pas me permettre de me laisser aller. Il me faut partir, vite, avant le réveil de mon père. Il ne doit pas s'apercevoir de mon absence, jamais !

Je travers la forêt en trébuchant,tant je cours vite. Les racines et autres trous ne me font pourtant pas tomber et c'est en quelques minutes à peine que je regagne le village, à peine essoufflée. Mon corps s'est renforcé, à force de muter comme cela. Je rejoins la maison, entre avec prudence et  en silence. J'entends un bruit. Mon père ne va pas tarder à se lever. Je regagne ma petite chambre.

-Marie, tu es réveillée ?

La voix ensommeillée et pourtant puissante de mon père me fait sursauter.

La Louve et la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant