Il a fallu tout lui expliquer, en omettant l'essentiel. La vérité inavouable. Il a fallu que tous les trois, nous nous rendions compte qu'Antoine n'était peut-être pas tout à fait mort, comme il a également fallu nous résoudre à une évidence insupportable, qui est que la bête infâme qui vit dehors n'a rien d'un animal, encore moins d'un homme.
Il a fallu demander à mon père de me laisser partir et ce fut très difficile, mais les paroles douces et rassurantes de ma tante ont réussi à le convaincre. Un véritable exploit!
Il a également fallu me rendre compte qu'Elwen n'était jamais très loin...Cette odeur de peur...Ce grondement, entendu tout à l'heure, devant Edouard...C'était moi. Mon père n'a rien voulu me dire, mais je l'ai senti apeuré, inquiet face à mon comportement. C'est sûrement aussi à cause de cela qu'il m'a laissée partir aussi facilement. A-t-il eu peur pour moi? De moi? Ou les deux à la fois?
Ce qui m'a surtout terrifiée, c'est que la bête, en face de moi, m'a souri. C'est vrai. Je ne mens pas. Pourtant, un animal ne sourit pas. Il ne peut pas le faire. C'est à cet instant que je l'ai reconnu. Antoine. L'assassin de Thomas. Mais ça, je ne l'ai dit à personne. Mon père n'a pas eu besoin de ce détail pour être convaincu...
Ma tante m'a demandé de suivre les sentiers et de ne pas marcher de nuit. Mon père voulait me donner un cheval, mais j'ai refusé son offre. Là où je vais, il n'y a pas d'écurie. Il n'aurait pas été en sécurité. Mais ça, ils ne le savent pas. Ils voulaient m'accompagner, mais une fois de plus, j'ai refusé. Mon père m'a instamment ordonné de ne pas m'approcher du lieu où nous l'avons rencontrée. La bête immonde. J'ai donc fait un détour gigantesque, passant par des parcelles de terres que je ne connaissais même pas. A la main, j'ai une petite cage contenant un pigeon voyageur. Mon père m'a fait promettre qu'une fois arrivée à destination et en sécurité, je lui enverrais un message par ce biais. Il n'est en effet pas très courant de savoir lire et écrire par ici, mais ma tante a tenu à m'apprendre cela dès ma plus tendre enfance et si elle a souvent été un professeur sévère, je lui dois une très grande partie de mon instruction.
Demain et les jours suivants, ils vont le chasser, je le sais. Mon père risque sa vie. Un sanglot vient se coincer dans ma gorge lorsque j'y pense. Mon papa. Je ne veux pas le perdre. Rester auprès d'eux n'aurait pas été un cadeau à leur faire. Ma tante et moi, nous le savons très bien. Et je les aime trop pour risquer de les blesser...Ou pire. D'autant que mon attitude devient de plus en plus étrange...Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Mon odorat s'est développé, je m'en rends bien compte. Et parfois, je me perds dans mes songes...Je ne le faisais jamais, avant. Et ce grondement...
Un immense et désagréable frisson me parcourt le corps. J'ai parfois le sentiment de me perdre. De ne plus savoir qui je suis réellement...Partager mon corps avec Elwen devient de plus en plus difficile. Et si Alaïs avait raison? Si elle ne me quittait pas vraiment? Je commence à le croire...Je ne veux pas faire de mal aux miens, je les aime tant... Comment pourrais-je vivre après cela? Et pourtant, je viens à penser qu'Elwen ne représente pas de réel danger. Elle n'a pas agressé Alaïs. Pourquoi?
Je m'assieds sur une souche et sors de mon énorme sac des tartines salées que j'engloutis aussitôt. A mesure que la journée avance, un peu de chaleur vient me réchauffer. Mais pas assez. L'automne commence à devenir mordant, alors je me dépêche. Je donne quelques miettes à mon compagnon d'infortune, qui répond au doux nom de Pigeon. Mon dieu. Mais où mon père avait-il la tête quand il l'a baptisé? Je soulève alors la cage et je le regarde en souriant. Sa présence me rassure un peu...
-Pour moi, tu t'appelleras Cracotte. Comme les miettes que je te donne et qui craquent sous la dent.
Du bout des doigts, à travers les barreaux je le caresse en souriant. Un léger passe dans mes cheveux et je ferme les yeux un instant, en reposant la cage. Les souvenirs défilent doucement...Je me surprends à sourire...Thomas...
-Mais vieeeeeens, Marie! Elle est pas froide, tu verras!
Deux enfants qui jouent dans un ruisseau. Je pleure, j'ai six ans. Je ne veux pas y aller.
Il ressort de l'eau, son pantalon retroussé pratiquement jusqu'au genoux. Il me regarde, l'air embêté.
-C'est pas gentil! J'ai peur...Et toi, tu fais rien que de m'embêter!
La petite fille que j'étais remet ses petits poings sur ses yeux, pour arrêter les larmes.
Le petit garçon qu'il était me regarde alors, l'air embarrassé et coupable.
Puis il cueille une pâquerette et me la tend, comme une demande de pardon.
Un roucoulement se fait entendre à mes pieds. Je sors alors de ma rêverie. Mes joues sont humides, mais cela ne m'étonne plus. Je pleure souvent et je ne m'en rends même plus compte. Je suis incapable de parler de lui, de penser à lui, sans avoir un sanglot coincé au fond de la gorge. C'est trop dur. Oh mon amour...Tu me manques tellement...
En soupirant, je me relève, prends mes affaires et je me remets en route. Si je veux renvoyer Cracotte dans les temps à mon père, je ne dois plus tarder. La luminosité baissant, je sais que la fin de la journée approche.
Peu à peu, un parfum vient à mes narines. Un parfum de fleur. De violette. Je hâte alors le pas malgré ma fatigue et mes pieds endoloris. Je ne me rends pas tout de suite compte que je souris. Que mon cœur s'est mis à battre un peu plus fort.
Sa petite maison apparait au détour du sentier. Je quitte ce dernier pour l'atteindre, mais je m'arrête soudain au bout de quelques pas. Elle est là, à quelques mètres du pas de sa porte. A genoux, un minuscule panier à côté d'elle, elle s'affaire à une cueillette de...de...pâquerettes. Et voilà. La boule à la gorge revient.
Mais voilà qu'elle lève les yeux vers moi. Et la boule disparait. Mais c'est là que je m'affole. Je ne l'ai pas prévenue de mon arrivée. Je ne lui ai même pas demandé si je pouvais venir quelques jours! Mais comment ai-je pu penser un seul instant me présenter comme ça? Je...
Un cheveu me caresse la joue. Elle est là. Sa mèche retombe avec le vent, laissant sur ma peau une impression de brûlure. Je ne l'ai pas vue arriver à ma rencontre.
-Je savais que tu reviendrais.
Un sourire se dessine sur son visage. Mes yeux descendent alors vers ses mains qui tiennent son petit panier, avant de remonter vers son regard.
Puis je saute dans ses bras. Les fleurs tombent alors dans l'herbe encore verte, au son d'un rire que je ne connaissais pas encore. Le sien.
J'espère que cette petite lecture vous aura plu! Je me suis promis d'être plus régulière et de poster un chapitre chaque samedi. Le prochain chapitre sera donc sur vos écrans samedi prochain. Bonne lecture et surtout, n'hésitez pas à commenter, j'aime bien vous lire! :)
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La Louve et la Sorcière
ParanormalAu Moyen Age, au plus profond de la forêt, Marie, une jeune femme, supplie de devenir une bête à la nuit tombée pour qu'aucun homme ne la touche plus jamais. Son jeune mari vient d'être assassiné et sa souffrance est indicible. Elle veut juste se pr...