Chapitre 8: La galette et le poignard.

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Le bain sentait bon. Mon corps était engourdi par la chaleur. Plus aucune douleur. Plus aucune peur. Plus rien. J'ai tout juste réussi à prononcer mon prénom quand elle me l'a demandé. Le sien me parle, mais je ne parviens pas à me souvenir où je l'ai déjà entendu. Je ne sais pas pourquoi. Assise sur son lit, un  grand linge autour de moi, un peu grelottante, j'attends. Elle revient avec une longue robe verte et la pose à côté de moi.

-Elle devrait t'aller. Essaye-la! me dit-elle.

Je me lève alors et enfile difficilement son habit. Il est chaud et confortable. Mais ma peau me brûle encore. Les blessures se réveillent et je grimace...C'est alors qu'elle s'approche de moi pour m'aider. Elle lève ses bras qui eux, contrairement aux miens, ne sont pas remplis de griffures. Je l'envierais presque. Son calme apparent me rassure.

Elle me prend ensuite la main et me conduit à sa minuscule cuisine remplie d'herbes séchées et me fait m'asseoir. Au loin, j'entends un oiseau qui chante. Le souffle du vent à mes oreilles...

-Elle est encore là...Je le vois...

-Mais qui es-tu?

Ma question sort comme un croassement de ma gorge. Elle sourit faiblement, mais ne me répond pas. Et alors qu'elle me tourne le dos, la tempête qui avait cessé en moi commence à rugir à nouveau. Ma respiration s'accélère alors, jusqu'à devenir saccadée. Ma tête me tourne, mes jambes s'engourdissent...la peur m'envahit. Alors je me lève brutalement et je me dirige vers la porte que j'ouvre à la volée.

-Marie, attends!

Le paysage qui s'offre à ma vue est totalement inconnu. Mon cœur qui bat déjà si fort s'emballe complètement. Je me retourne. Je la vois s'approcher de moi, une cape jetée à la va-vite sur les épaules. Une cape rouge. Je sais à présent.

-C'est toi, murmuré-je. C'est toi, la petite fille qui a disparu?

Elle me regarde, mais son visage trahit une immense incompréhension. Puis, il s'éclaire douloureusement.

-Oui, murmure-t-elle. C'est moi. 

-Que fais-tu ici? Et qu'est-ce que je fais là, moi? Pourquoi m'as-tu emmenée avec toi?

-J'étais blessée aux bras. Je perdais du sang. Alors tu m'as aidée à rentrer chez...

-Elwen t'a aidée! Je ne suis pas une louve! Je suis humaine...

Ma voix se brise à cet instant. Mais peu à peu, une évidence se dévoile...J'ai vu ses bras. Elle n'était pas blessée ce matin, pas une égratignure! Je regarde sa peau qui dépasse du tissu écarlate. Elle est blanche.  Sans une seule trace de blessure.

-Tu l'as appelée Elwen? me demande-t-elle alors gentiment avec un sourire.  Mais mon regard reste fixé sur ses membres intacts.

-Tu n'es pas blessée. Si tu avais perdu du sang, tu en aurais les marques!

Ma phrase finit dans un cri. Je recule instinctivement. Elle fixe mon visage, ses longs cheveux flottant dans la brise matinale. Elle semble réfléchir à ce qu'elle doit me répondre, puis finit par se caresser l'avant-bras.

-Non, en effet...je n'ai plus de marques...

Elle sourit en prononçant ses dernières paroles. D'un sourire triste.

-Un loup, un monstre en a après moi. Après toi, aussi, apparemment. C'est lui qui tue les gens du village. Il est gigantesque. Il a toujours été là. Je l'ai tué une première fois. Mais il est revenu, Marie. C'est lui qui m'a blessée.

-Tu es folle...Tu es...

-Non, Marie...C'est à cause de lui, toutes tes blessures! ajoute-t-elle en désignant mon corps meurtri de la main.

-Non, laisse-moi. Laisse-moi!!

Je recule encore et m'apprête à m'enfuir à toutes jambes. Mais elle me rattrape par derrière et me plaque au sol. Elle est bien plus petite que moi. Elle a l'air si frêle. Pourtant, une force inimaginable se dégage d'elle.

-Si tu acceptais de m'écouter, juste un instant, je t'en prie...

Je lutte pourtant. J'essaye de me libérer de l'étau qui se resserre autour de moi. En vain. Une mèche de ses cheveux me caresse le visage. Je hurle d'impuissance alors et m'affaisse totalement au sol.

Elle ne me lâche pourtant pas. Je sens son souffle calme derrière mon oreille. L'effort qu'elle fait ne la fatigue même pas.

-J'ai disparu il y a longtemps. Parce que je faisais peur à ma maman. Je faisais...des choses...étranges...Alors à mes cinq ans, elle m'a envoyée ici, chez ma grand-mère, pour lui apporter un panier qui contenait une galette et un petit pot de beurre. Je sus plus tard que cette nourriture avait été prévue pour moi, au cas où je me serais perdue dans la forêt...Le jour où ma grand-mère m'a accueillie ici...Elle ne m'a plus jamais laissée repartir. Elle disait que c'était pour mon bien...Que ma maman et elle s'étaient mises d'accord. Qu'il ne fallait pas que je reste au village. Que les gens allaient se rendre compte...Commencer à parler...et que je risquais la mort...Des années plus tard, avant qu'elle ne meurt, ma grand-mère m'a avoué que ma maman était morte de chagrin, à l'idée de m'avoir abandonnée, même si c'était pour mon bien. Et qu'elle m'aimait très fort...

Sur mon épaule, je sens une goutte d'eau tomber...Une larme...Sans un sanglot, elle libère l'une de ses mains et ramasse un brin d'herbe à moitié sec, juste devant moi. Au creux de sa main, le petit brin commence à reverdir. Puis un bourgeon nait à son extrémité et s'ouvre, donnant naissance à une pâquerette. Elle pose alors la fleur, qui s'enracine en une seconde dans la terre.

-Tu vois? continue-t-elle. C'est pour cela que tout le monde me croit disparue aujourd'hui. Tu n'as pas à me craindre...je ne te ferai rien...

Je devrais crier à nouveau, avoir peur, être terrifiée par ce qu'elle a fait devant mes yeux. Mais non...Je saisis alors sa main dans la mienne et je la serre fort, très fort.

-Dis-moi, pour le loup...

Je prononce ces paroles dans un chuchotement à peine audible. Je l'entends alors soupirer, mais elle ne me lâche pas. Toujours dans cette étreinte, elle me raconte que ce loup l'avait déjà attaquée quand elle était petite, alors qu'elle devait avoir douze ans...Elle se promenait pour cueillir des baies. C'est alors qu'elle le vit, la surplombant sur un rocher, les yeux rouges et les babines retroussées dans un long grognement rauque. Elle ne se souvient que d'une chose, c'est d'avoir couru très vite. Une autre fois, alors que la nuit tombait, il a voulu l'emporter avec lui, la mordant au bras. Elle ne dut sa vie sauve qu'à sa grand-mère, témoin de l'attaque, qui s'en prit à l'animal pour la sauver. C'est cette nuit-là qu'elle se rendit compte avec clarté, que ses blessures disparaissaient comme par enchantement.

-Et un jour, à l'aide d'un long poignard que je garde toujours sur moi, je lui ai transpercé le cœur, alors qu'il m'avait sauté dessus pour me saisir la gorge. Je te jure qu'il était mort. Puis, quelques années après, je l'ai revu, quand Elwen est apparue. Mais Marie, ô Marie, ses yeux! Ses yeux ont l'air tellement humain, à présent!

Elle achève cette dernière phrase avec effroi. Elle me lâche alors et je me tourne vers elle.

-Tu dois venir avec moi, tu n'es pas en sécurité ici!

-Bien sûr que si. Il craint mon couteau. Lorsque je suis dans ma maison, il ne rôde pas ici. Je n'ai rien à craindre. Pourrais-tu en dire autant du village, Marie?

Force est de constater que non. Et nous le savons toutes les deux.

La Louve et la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant