Chapitre 4: Elle

293 30 5
                                    

Voilà pourquoi, à mon arrivée, le village était en pleine effervescence. La panique y régnait déjà. Guillaume, un tout jeune voisin de vingt ans à peine, a été découvert ce matin, très tôt, bien avant mon arrivée. C'est son frère qui l'a retrouvé. Un gamin de douze ans qui venait ramasser du bois. Jamais il ne pourra se remettre de ce qu'il a vu. Jamais. Son corps a été dévoré. Il ne reste quasiment plus rien, si ce n'est une partie de son visage. Mais quel monstre a pu commettre une telle atrocité? Est-ce la même personne, la même créature qui m'a fait du mal? Quand mon père est venu me chercher ce matin, il s'est mis à pleurer de soulagement en me voyant et cela m'a choquée. Jamais auparavant, je n'avais vu ses larmes. Je l'ai déjà connu triste, apeuré aussi, mais jamais au point de s'abandonner à ses émotions. Je n'ai évidemment pas pu lui dire la vérité. Quand il m'a demandé si j'avais vu mon agresseur, je lui ai dit que je ne m'en souvenais pas, à cause du choc. Et quand il m'a demandé ce que je faisais en forêt à cette heure, lui désobéissant de ce fait, c'est ma tante qui m'a défendue, en lui expliquant qu'elle m'avait demandé d'aller cueillir des plantes, mais qu'elle avait oublié de lui en parler. L'orage dans l'esprit de mon père se calma aussitôt. Il a en sa sœur une confiance aveugle et la voir lui mentir me fit me sentir mal. Il ne méritait pas cela. 

-Ne lui demande plus jamais de sortir, Jeanne. Et toi, jeune fille, tu savais que tu n'avais pas le droit de partir de la maison sans ma permission. Que cela ne se reproduise plus. Tu m'as compris?

Pour toute réponse, je baissai la tête. C'était une réponse claire. 

Mais ce soir, le jour déclinant à nouveau, une angoisse m'étreint. Comment faire pour échapper à sa vigilance? Ma jambe se met à me faire mal. Et une idée me vient. J'attends alors mon père et quand celui ci franchit notre porte, je réfléchis un instant, anxieuse, pour savoir comment formuler ma demande.

-Papa...Ma jambe me fait mal, alors j'ai pensé que je pourrais...Enfin, tu sais, tante Jeanne a un lit supplémentaire, alors...Elle pourrait peut-être veiller sur moi, le temps que ça guérisse. 

Mon père ne répond rien, mais saisit un gros sac de toile et y dépose quelques vêtements. 

-Tu n'y vas pas toute seule, Marie. Je viens avec toi.

Nous marchons en silence jusqu'à sa maison. Ma tante nous ouvre, mais ne parait pas surprise de notre venue. 

-Apparemment, ma fille te préfère à moi, ces jours-ci, dit-il en souriant.

-Cela ne m'étonne pas, mon cher frère. Tu es invivable! répond-elle avec un doux rire. 

Ces deux-là s'aiment. Et ressentir de l'amour en des instants pareils est une douce consolation pour moi. Elle nous fait entrer et déjà, un doux fumé de viande et de patates emplit mes narines. Elle savait qu'on allait venir.


Le jour meurt tout à fait et mon père, déjà parti, ne se doute pas un moindre instant de la suite des événements.

-Marie...Cette nuit, je viens avec toi.

Ces mots à peine prononcés, une peur sans nom s'empare de moi.

-Il n'en est pas question. Tu me l'as dit toi-même l'autre jour. Je risque de te tuer. Je ne sais pas ce qu'Elwen pense ou ressent, ou si elle est simplement une bête sans âme, mais il est hors de question que je te mette en danger!

-Mais s'il t'arrive quoi que ce soit, comment pourrais-je te protéger, alors? 

-Il n'y a aucun moyen. Tu ne peux pas, ma tante.

Je la regarde douloureusement. Je retrouve ma peur en elle.

-Mais si tu...

-Tu diras à mon père que je suis sortie sans ta permission, que tout est de ma faute...

La Louve et la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant