Chapitre 3: le monstre

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Il fait encore nuit. L'aube ne s'est pas encore levée, mais je peux distinguer, à l'horizon, un liseré lumineux.

Je me lève en tremblant, me dirige vers le mince ruisseau qui murmure et m'agenouille près de lui. Son eau froide me fait du bien. Mais j'ai si peur...Que s'est-il passé, cette nuit, pour que cela me mette dans cet état? D'où vient tout ce sang? Je le frotte tant bien que mal, mais il a séché et il a du mal à partir. Je recommence alors à sangloter. Avoir ces traces ne peut signifier qu'une chose. Elwen a chassé cette nuit. Je sais que je tue à chaque apparition d'Elwen, je le sens, mais au petit matin, je n'ai jamais eu autant de traces de sang!

Une fois ma toilette effectuée, le jour se levant enfin, je me lève pour reprendre mes vêtements. Mais une douleur atroce me frappe et me fait tomber à terre. Ma jambe. Je jette un regard et hurle d'épouvante. Ce sang, tout ce sang était le mien! Une blessure la lacère de haut en bas. Je pose ma tête une minute et ferme les yeux. Mais que s'est-il passé?

Je tente de me relever une seconde fois. La route du retour à la maison est très longue. Je boite, la plaie me fait atrocement mal. Je me retiens pour ne pas gémir et attirer les animaux qui hantent la forêt et qui auraient faim. Mais tout est tranquille. Même la nature semble vouloir s'adoucir pour m'aider. Il fait doux, le soleil commence à me réchauffer peu à peu...

Soudain, des éclats de voix. Des hurlements. Des appels. Venant du village. Je ne peux pas me montrer ainsi! Je tente alors de me cacher, mais le village est très petit. Quelqu'un va forcément tomber sur moi.

-Marie!!

Ma tante, Jeanne.

-Marie, viens avec moi! chuchote-t-elle en m'empoignant. Sans répondre, je lui obéis. je serre les dents pour ne pas hurler de douleur, alors qu'elle m'emmène à l'écart dans une maisonnette qu'elle habite depuis qu'elle est veuve, elle aussi. Ma tante est encore une belle femme, bien qu'usée par les années et les épreuves. Petite, toute mince, avec une lueur maline dans le regard. Elle n'a jamais eu d'enfants. Elle et son mari n'ont jamais pu enfanter. Elle me dit souvent que la vie ne lui en avait jamais donné l'occasion, car elle était prédestinée à s'occuper de moi. Et je la crois. N'ayant jamais eu de mère, je n'ai jamais eu à m'en plaindre. Ma seconde mère, c'est elle et je l'aime comme une fille aime sa maman.

Nous entrons chez elle et elle me couche sur son lit. Sans me regarder, elle file dans sa cuisine prendre de l'eau et revient avec des chiffons blancs. Puis, à ma grande stupeur, elle soulève ma jupe et nettoie ma plaie, pas tout à fait sèche encore. Je ne dis rien, la regardant s'appliquer sans un mot. Elle y appose un onguent, le même qu'elle m'administrait lorsque j'étais petite et que je me blessais. Elle faisait la même chose avec Thomas...A cette pensée, les larmes remontent à la surface et je pleure en silence.

Une fois le soin effectué, elle écarte mes cheveux et tout près de mon visage, me sourit.

-J'ai eu peur pour toi, ma chérie. J'ai vraiment eu très peur, cette fois-ci...

Je comprends à demi-mot et la dévisage, mais elle fuit mon regard.

-Tu le savais? dis-je dans un murmure. Ma tante, tu savais?

Elle me regarde douloureusement et secoue la tête.

-Oui, mon ange, je savais. Quelques nuits après la mort de Thomas...J'étais en forêt pour cueillir des herbes à la nuit tombée...Je t'ai vue te transformer...et depuis, chaque nuit, je t'ai veillée. Sans dire un mot. Sans dévoiler ton secret. Si les autres savaient, mon enfant, ce serait épouvantable!

Elle a raison. Je serais, au mieux, bannie. Au pire, mise à mort. Son coeur, ainsi que celui de mon père, n'y résisteraient pas. Et puis après? Ils seraient traités comme des démons, des parias...Je préfère mille fois ma vie clandestine à leur souffrance.

-Je suis désolée, je suis tellement désolée...

-Arrête de pleurer, Marie! Mais dis-moi...Tu l'as demandé, n'est-ce pas? Tu as demandé cette malédiction?

Je n'ai pas besoin de répondre. Mon regard en dit long.

-Je comprends, répond-elle en souriant tristement. Tu n'as pas besoin de m'expliquer. Mais comment cela s'est-il passé? Je ne pensais pas cela possible...

Alors je lui explique tout. Mon escapade nocturne. Mon voeu. Pour toute réponse, elle me prend dans ses bras et me berce en silence.

-Sais-tu ce qui m'est arrivé? Cette nuit?

-Oui, je sais...Enfin, pas vraiment. Je t'ai vue devenir louve, chasser, puis un hurlement monstrueux t'a attirée plus loin dans la forêt. Tu étais si rapide que je n'ai pu te suivre...Tout ce que je peux te dire, c'est que je t'ai retrouvée blessée, mais je ne pensais pas que c'était aussi grave...finit-elle, une boule dans la gorge.

Alors, je me risque à demander...

-Comment est-elle?

Ma tante sourit.

-Elle est magnifique, ma chérie. Elle est forte. Grise, avec des pattes blanches. Immense...

Cette pensée, étrangement, me réconforte. Mais une autre apparaît alors dans mon esprit.

-Je ne comprends pas, ma tante. Pourquoi ne m'as-tu pas secourue?

Elle me regarde alors, puis levant les mains...

-Parce que j'ai eu peur que tu me tues.

De grands coups résonnent à la porte.

La voix de mon père.

-Jeanne! Jeanne! Marie n'est plus là, Marie!!

Je regarde ma tante, paniquée.

-Qu'allons-nous lui dire?

-Que tu as été attaquée toi aussi, mais que tu ne te souviens de rien. Que tu as pu revenir au village, répond-elle précipitamment en sortant de la pièce.

-Attaquée, moi aussi?? Comment ça?

Ma tante se retourne, me regarde et répond simplement:

-Un homme a été retrouvé mort ce matin en forêt. Complètement dévoré.

La Louve et la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant