Les frontières de Feoyether

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Durlan somnolait sur sa monture, épuisé à force de voyager. Il puisait dans ses dernières forces pour rester un tant soit peu éveillé afin de ne pas vider les étriers, mais ses paupières ne cessaient de papillonner. Songeant qu'une petite sieste ne lui ferait pas de mal, il cessa toute résistance et ferma les yeux. Il vit alors de nombreuses silhouettes se profilant devant lui et entendait quelques voix, mais une se démarquait des autres.

« T'es stupide, Durlan de l'Aube. »

Il se revoyait ce soir-là, sous l'emprise complète de l'alcool. Il regrettait ce qu'il avait fait mais une infime part en lui ne pouvait s'empêcher de sauter de joie. Et puis il revoyait le poing de la jeune femme s'abattre sur lui. Le lendemain en se réveillant, il découvrit qu'il n'avait pas seulement un lourd mal de crâne mais également un bel hématome sur la joue qui ne partit qu'au bout de quelques jours.

Il la revit ensuite lors de ce fameux soir dans le lac. Mais cette fois-ci, elle se tourna vers lui, lui tendant une main.

« Viens, fit-elle en lui souriant. Aurais-tu peur ? »

Il se laissa hypnotiser par ses beaux yeux clairs et s'avança dans l'eau pour la rejoindre. Plus il approchait, plus belle encore elle était. Elle pressa son corps nu contre lui et passa une main dans ses cheveux.

« Et ainsi, as-tu autant peur de moi ? Demanda-t-elle en approchant son visage.

–Non, souffla-t-il.

–Alors tu n'es qu'un idiot. »

Elle s'empara de sa dague et lui trancha la gorge, son sang colorant l'eau du lac illuminée par la lune.

Il sursauta et il se retrouva à terre l'instant d'après, son cheval cabrant, surpris. Son dos heurta le sol dur et sa tête cogna contre quelque chose. Alors que Murzol se moquait ouvertement de lui, il se frottait la tête en râlant.

« Je n'ai jamais autant ri que depuis que je suis avec toi, riait l'orque, tu nous auras tout fait ! »

Elecia passa à côté de lui et lui jeta un regard dédaigneux et grogna en le voyant à terre, comme s'il n'était qu'un enfant auquel on lui avait assigné la garde.

« Je pense qu'on devrait faire une petite pause, lança Torestrin.

–Le bâtard saura s'en remettre sur le chemin, cracha la jeune femme sans même se retourner. Faîtes-le remonter sur son cheval ou on le laisse aux loups, en espérant qu'une fois mort il se montrera plus supportable. »

C'était ainsi depuis cette soirée à l'auberge Brumeuse, soit elle l'ignorait, soit elle lui déversait toute sa haine, il se sentait d'autant plus coupable. Quel idiot je fais.

« Ne serait-ce que pour les chevaux ! »

Elle arrêta subitement sa monture et ne bougea pas durant quelques instants. Les trois hommes se regardèrent, aucun d'eux ne comprenant ce qu'elle faisait, ni ne voulant lui dire quoi que ce soit de peur de s'attirer ses foudres.

« On les fait boire et on repart à pied, déclara-t-elle finalement, ils pourront se reposer puisque nous ne serons plus sur leur dos et nous continuerons à avancer. »

Elle descendit alors et se dirigea vers le bruit qui leur indiquait un cours d'eau et disparut entre les arbres sans leur avoir lancé le moindre regard. Ils l'imitèrent rapidement, sans un mot, et la rejoignirent du plus vite qu'ils le pouvaient. Ils prirent tout juste le temps de faire boire leurs montures avant de reprendre leur route, Elecia toujours à l'avant et aussi silencieuse que d'ordinaire.

« On ne devrait pas tarder à arriver à Feoyether, fit Torestrin dans son dos.

–Bah, râla Murzol, j'espère qu'on traversera ce royaume de malheur rapidement, j'ai toujours détesté les demi-elfes, ils se prennent pour les plus puissants depuis la disparition des elfes. Et puis ils n'aiment pas d'autre peuple que le leur, je doute qu'on soit les bienvenus si nous en croisons.

Le Bâtard de l'Aube [Wattys 2020]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant