L'auberge Brumeuse

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Ils empaquetèrent leurs derniers effets, Murzol éteignit les dernières braises de leur feu de camp et ils se remirent en selle. À l'est, le soleil avait déjà entamé sa lente ascension, s'élevant petit à petit au-dessus de la cime des arbres. Ils passèrent dans une immense clairière si calme, si paisible que Durlan aurait pu y passer des heures. Mais ils ne firent que la traverser et s'éloigner un peu plus. Devant lui, Murzol et Elecia discutaient ensemble, ou du moins Murzol essayait-t-il de la faire parler. Il tendit l'oreille pour les écouter mais n'arrivait à capter que de simples bribes de leur conversation, rien qui ne se trouvât intéressant. Dans son dos, Torestrin fumait une pipe sur sa monture, le regard perdu dans le vide.

S'il avait voulu s'enfuir, le moment aurait été idéal. Tous semblaient moins se préoccuper de lui. Elecia, qui avait l'habitude de toujours garder un œil sur lui, ne lui jeta pas même un regard. Peut-être savait-elle ? Il essayait de se convaincre du contraire en se disant qu'elle lui en aurait certainement touché deux mots et lui aurait flanqué son poing dans la figure. À chaque fois qu'il la voyait, il ne cessait d'y penser et ce depuis plusieurs jours. Aucun de ses camarades ne comprenaient son comportement pour le moins étrange mais il se sentait beaucoup trop honteux pour avouer ce qu'il avait fait.

« Peut-être que pour vous les hommes ça ne compte pas, lui avait dit un jour Selina, mais pour nous les femmes, notre intimité est importante, nous ne la montrons pas à n'importe qui. Tu devrais te sentir chanceux, Durlan de l'Aube, d'avoir pu admirer la mienne. »

Selina... Elle était mariée, et ce depuis quelques années. La dernière fois que ses yeux s'étaient posés sur elle, elle lui faisait ses adieux, rejoignant son futur époux.

« Ne m'oublie pas, Durlan prince de l'Aube, avait-elle murmuré à son oreille, parce que moi je ne t'oublierais jamais. »

Il avait plongé une dernière fois son regard dans ses beaux yeux sombres avant qu'elle ne lui tourne le dos pour de bon. Pour la première fois de toute sa vie, son cœur s'était brisé et il avait cru ne jamais pouvoir s'en remettre. Enfin, jusqu'à ce qu'il rencontre Aliyah, ou du moins qu'il la remarque pour celle qu'elle était réellement. Mais Berengar s'était assuré que la jeune femme ne revienne plus le voir. Après tout, réchauffer le lit de l'héritier du trône était bien plus avantageux que d'être dans celui d'un vulgaire fils de fermier se faisant passer pour un prince. Qu'avait-il à lui donner ? Qu'avait-il à donner à n'importe quelle femme ? Épouser un bâtard n'était avantageux pour personne, sauf sur les Terres d'Ambre.

Il se souvint alors de son premier voyage dans le royaume de la reine Sirila. Il n'était alors qu'un jeune garçon et sa mère avait décidé de rendre visite à sa vieille amie, peu de temps après le décès de son époux. La princesse Gweirith en avait assez de pleurer l'homme qu'elle aimait seule et désirait des choses plus joyeuses pour égailler ses journées, et Lakar était le lieu parfait.

Dans ses souvenirs, les bâtiments de la ville avaient des façades colorées, tantôt oranges tantôt jaunes ou encore bleues, les rues n'étaient que des pavés et étaient décorées de palmiers sous lesquels il s'était tant de fois abrité pour fuir la chaleur écrasante, et les gens avaient la peau plus foncée que ceux des Terres de l'Aube et portaient des vêtements aussi colorés qu'excentriques. Et puis il y avait le palais royal avec ses sculptures, ses galeries ouvertes sur des jardins intérieurs, ses hautes arches ornementées de tant de détails et ses colonnes et plafonds décorés de feuille d'or. Dans les jardins, les citronniers, les oliviers et les palmiers régnaient en maîtres, accompagnés de dizaines de fontaines à l'eau claire chauffée par le soleil. Tout là-bas respirait la luxure et il l'avait trouvée splendide.

« Lakar est bien plus accueillant qu'Irindor, lui avait dit Grayce, sa cousine. »

Lady Grayce était, comme son nom l'indiquait, une jeune femme gracieuse et délicate, bien loin de la personnalité de sa mère, la princesse Eleine, qui avait pour habitude de dire ce qu'elle pensait sans aucun filtre, peu importe si cela blesse la personne en face d'elle. Grayce l'avait de nombreuses fois aidé et conseillé, notamment avec Selina.

Le Bâtard de l'Aube [Wattys 2020]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant