Chapitre 1

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L'attente est insupportable.  À mesure que les minutes s'égrènent, le désespoir m'envahit. Il y a longtemps que j'ai perdu la notion du temps. Des cris stridents me ramènent au présent. Relevant la tête, j'aperçois au bout du couloir une dame qui lance des cris à glacer le sang. Elle se laisse glisser par terre, son visage ravagé par les larmes, son foulard de travers. Médecins et infirmiers s'agitent autour d'elle, tentant de la calmer.
- C'est la volonté divine. Nous ne pouvons que nous y plier. Soyez forte madame. Arrêtez de pleurer et priez pour son âme, dit un homme en blouse blanche.
- Pourquoi ? Pourquoi ma petite fille ? Ma seule et unique fille ! Pourquoi ? Elle vient à peine d'avoir 18 ans. C'est injuste ! Pourquoi me l'as-Tu prise mon Dieu ? S'écrie-t-elle.
Mes poils se dressent sur ma peau. Je suis saisie de pitié pour cette inconnue pleurant la perte de son enfant. Des larmes envahissent à nouveau mes yeux.
Il a fallu de nombreuses interventions pour la calmer un tant soit peu. Elle est conduite à l'extérieur du bâtiment par deux infirmières qui expriment leur sympathie par des paroles réconfortantes. Le calme revient enfin.
La mort. Elle frappe sans prévenir provoquant questions, vide, souffrance. Pourtant elle ne devrait pas nous surprendre. Puisque c'est la seule certitude en ce bas monde.
Seulement nous sommes tellement occupés à vivre qu'on finit par l'oublier. Mais elle est là, aux aguets.
Mal vécue par certains qui en viennent à renier Le Tout Puissant. Néanmoins, elle constitue un rappel constant. Une occasion de se tourner vers Lui et se repentir.
La mort, partie intégrante de la vie, aboutissement de toute chose, de tout être. On sait qu'elle est là, qu'elle viendra. Elle réussit quand même à nous surprendre, toujours.
Qu'est-ce qui m'arrive. Le moment est très mal choisi pour philosopher sur la mort. Non. Pas quand mon mari est en train de  lutter pour sa vie.
Peut-être que mon subconscient essaie de me prévenir. Non... Dieu ne me ferait pas cela.
Mes nerfs déjà à vifs en sont encore plus éprouvés. La tête entre les mains, je lutte contre l'envie d'éclater en sanglots.
Joignant les doigts, je profère une prière silencieuse pour que Ismaïl sorte indemne du bloc opératoire. Ismaïl , mon Ismaïl est entre la vie et la mort.
Ce matin, alors que je paressais encore au lit, tout a basculé. Ma voix endormie s'est vite animée en entendant la voix d'une femme depuis le combiné de mon homme.
Cette voix m'a demandé si je connaissais le propriétaire du téléphone. Puis, elle a bouleversé mon existence en m'informant que ce dernier avait été victime d'un accident.
Je ne sais vraiment pas comment j'ai pu me rendre à l'hôpital en un seul morceau. Et surtout sans avoir tué personne. Sans m'en rendre compte, je me suis mise en fonctionnement automatique.
Arrivée à la réception, j'expliquais le motif de ma présence. Tout ce qu'on a pu me dire, c'est que mon mari avait fait un accident grave et qu'il se trouvait actuellement entre les mains des chirurgiens. Il ne me restait plus qu'à attendre et à prier.
Attendre et prier.
Incapable de rester assise plus longtemps, je fais des cents pas le long du couloir. Le personnel me dépasse, sans même me voir. Personne ne me prête la moindre attention. Je ne suis qu'un parent de plus, attendant une délivrance. Rien qui sort de l'ordinaire pour les membres du corps médical.
Mon monde s'est écroulé et personne ne s'en soucie.
J'aurais aimé que l'on m'apporte du réconfort, que l'on me tienne la main et m'assure que tout va bien aller. Mais rien. Je hais les hôpitaux.
Ce n'est qu'à ce moment qu'il me vint à l'idée de prévenir nos proches. J'appelle mon beau-père puis ma mère. Ils promettent d'arriver dans les plus brefs délais.
En attendant, je prends place à nouveau dans un de ces fauteuils inconfortables en me demandant ce qu'ils foutent !
D'accord une chirurgie ça prend du temps. Ils pourraient quand même me tenir informée de l'évolution. Ou au moins de dire combien de temps ça va durer encore. Un minimum de décence humaine.
Il faut absolument qu'on revoit le mode de fonctionnement des hôpitaux.
- Toi ! Qu'as-tu fais à mon fils ?
Je me tourne vers la voix et vois ma très chère belle-mère.
- Tu ne nous apporte que des malheurs. S'il lui arrive quoi que ce soit, tu le regretteras !
Comme vous pouvez le constater, elle ne me porte au fond de son cœur. Je ne sais pas ce qui lui déplaît tant en moi. Je n'ai rien fait qui mérite toutes ces hostilités de sa part.
Ma vie est un incroyable cliché.
Inutile de préciser à quel point je suis scotchée. En quoi suis-je responsable de cet accident ?
L'instant de surprise passée, la colère m'envahit.
- Je te respecte beaucoup maman, mais je suis autant affectée que toi sinon plus. Il s'agit de mon mari je te rappelle. Me faire quelque reproche que ce soit en ce moment est très déplacé.
- Insolente ! Tu oses élever la voix avec moi.
- Fatim, ça suffit ! Intervient mon beau-père. Arrête d'agresser cette pauvre enfant. Ne vois-tu pas qu'elle est déjà assez tendue comme ça ? Non, je ne veux plus rien entendre, ajoute-t-il comme elle s'apprêtait à rétorquer.
Je lui lance un regard reconnaissant tout en recevant un regard assassin de la part de ma belle-mère.
- Comment vas-tu Aysha ? Des nouvelles ?
- Ça peut aller papa. Non, on m'a demandé d'attendre. Ils sont toujours au bloc avec lui.
Les larmes contenues depuis s'échappent de mes yeux. Mon beau-père me prend dans ses bras alors que mes émotions trop longtemps étouffées prennent le dessus.
Contrairement à maman Fatim, il m'a immédiatement adoptée, me traitant comme un membre à part entière de la famille. Je suis sa poupée de porcelaine comme il dit. Délicate, distinguée et fragile mais précieuse à ses yeux.
Après une éternité et demi, un médecin s'approche enfin.
- Vous êtes la famille de Ismaïla Hanne ?
- Oui, c'est mon fils, répond papa Mamadou. Comment va-t-il ?
- Votre fils a subi un choc violent. Il a une fracture de la colonne vertébrale et a présenté une hémorragie cérébrale. Nous avons évacué l'hématome et fixé la fracture. Seulement, nous ne pourrons réellement évaluer les dégâts que lorsqu'il sera réveillé. Il est présentement au service de réanimation. Malheureusement, il ne peut pas recevoir de visites pour l'instant. Mais nous vous tiendront au courant de son évolution.
- Merci docteur.
Je ne sais pas ce que je ressens.  Il est vivant mais si mal en point qu'on ne peut pas le voir.
Je suppose que l'essentiel c'est qu'il soit en vie n'est-ce pas ?
Fermant les yeux, j'en remercie le Seigneur. Je savais qu'Il ne me laisserait pas tomber.

*****

FlammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant