Chapitre 3

5.1K 603 8
                                    

FLASHBACK

Je me sens toute bizarre ce matin. Une sorte de tristesse m'envahit au fur et à mesure que j'émerge de mon sommeil. Il se passe ou s'est passé quelque chose mais je ne sais quoi. Mon esprit est embrumé et il m'est impossible de rassembler mes pensées étant quelque peu dans les vapes.
Un bruit de vaisselle qui s'écroule par terre me tire définitivement de mon état léthargique. Ma tentative d'ouvrir les yeux me renvoie une sensation désagréable. En effet, ils sont gonflés par les larmes que je n'ai pu retenir avant de m'endormir.
D'un coup, tout me revient. Je sais pourquoi j'ai tant pleuré hier, je comprends pourquoi je me sens si triste. Et c'est tellement brusque que cela me coupe le souffle. Ça fait un mal de chien.
J'ignore pourquoi cela m'affecte tant. Après tout, je le connaissais à peine. Mais, inconsciemment, j'avais placé tellement d'espoir en lui, en nous, que la déception est d'autant plus grande. Je me sens trahie et stupide.
La souffrance grandit en moi au fur et à mesure que les minutes passent. Je me remémore ces moments passés à se parler, à se chercher. Puis, je les superpose à ceux d'hier pour les comparer, les analyser, essayer de comprendre à quel instant tout est parti en fumée. Conclusion : c'est depuis le tout début. Ça n'a jamais été vrai, en tout cas, pas pour lui. Il s'est joué de moi et ma fierté en prend un sacré coup. Je lui en veux terriblement. Et me connaissant, je ne lui pardonnerai pas de sitôt. Encore faut-il que je parvienne à lui pardonner un jour.
Je prends mon téléphone pour regarder l'heure. Enfin, c'est ce que je me dis mais au fond je sais que c'est surtout pour voir s'il a essayé de me joindre. 7 appels en absence. 3 messages.
Je suis irritée et heureuse à la fois. S'il essaie de s'excuser c'est que je compte quand même un peu non ? Je mérite qu'on me pende pour ces pensées.
Reposant le téléphone, je décide de ne les lire que plus tard. Je ne veux pas pleurer encore une fois ce matin et c'est ce qui risque d'arriver si je les lis.
Il s'est bien payé ma tête. Quoique de par l'heure des appels, je déduis qu'il n'a pas beaucoup dormi cette nuit. Comme moi. Il faut croire qu'un semblant de justice existe toujours ici-bas.
Je suis étonnée également par l'heure qu'il fait. Comment se fait-il qu'on m'ait laissée dormir aussi tard ? Je change de position et me couche sur le dos. Fixant le plafond, je me mets à l'étudier. Non que le bâtiment ou tout ce qui est inhérent à sa construction m'intéresse mais plutôt parce que je ne veux plus y penser.
Je dois me rendre à l'évidence : cela ne m'aide en rien. À contrecœur, je décide de sortir du lit.
Mansour est la première personne que je croise à la sortie de la chambre.
- Waouh, zombie au bois dormant. Tu devrais voir ta tête, me lance-t-il, hilare. Aurais-tu oublié d'enlever ta chose là avant d'aller au lit.
- Ma chose? Demandé-je, confuse.
- J'aurai aimé pouvoir dire maquillage mais ça tend plus vers la peinture. Hahaha. Les femmes, vraiment.
- Ne m'emmerde pas, tu veux, rétorqué-je énervée.
- Wow, calmos. Je rigolais lunatique.
Je décide de l'ignorer pour éviter une dispute et vais directement aux toilettes. J'y passe plus de trente minutes avant de retourner dans ma chambre m'habiller.
Ensuite, je pars saluer mes parents. Ils sont tous les deux au salon. Ma mère regarde la rediffusion d'une telenovela tandis que mon père lit un journal.
- Bonjour. Comment allez-vous ? Demandé-je sur un ton faussement jovial pour que ma mère, surtout, ne remarque pas mon mal être.
- Bonjour, répond mon père rapidement avant de se reconcentrer sur son journal.
- Bonjour Aysha. Alors, tu t'es bien reposée après la fête d'hier ? J'ai demandé à Fabi de ne pas te réveiller. Tu es rentrée tard, n'est-ce pas ?
- J'ai été surprise quand je me suis réveillée. Tu aurais dû la laisser me réveiller pour l'aider à faire le grand ménage dans ta chambre. Je me serais reposée à l'heure de la sieste.
- Toi là, on ne sait jamais ce que tu veux. Moi qui pensais bien faire. Bon va. Va l'aider si tu y tiens tant. Et puis tu me déconcentres. Je n'ai même pas pu voir la réaction d'Annabella quand elle a surpris Raul et Marilo.
Je me lève du canapé et m'en vais retrouver Fabi.
Pendant la semaine, c'est Satou, l'homonyme à maman qui s'occupe pour la plupart de l'entretien de la maison.
Depuis ses 11 ans, elle habite à la maison. Sa mère a débarqué un jour avec ses affaires, disant à ma mère qu'elle la lui confiait et « qu'elle ne lui réclamait que ses os ». Une tradition bien bizarre que voilà.
Je ne sais comment qualifier cela. Est-ce le choix de la facilité ? Un moyen de s'affranchir de ses responsabilité ? Ou est-ce que cela part d'intentions pures?
Je ne puis comprendre la facilité avec laquelle elle s'est déchargée de sa fille sous prétexte qu'elle savait que ma mère en prendrait grand soin.
Il y a des circonstances où l'éducation d'un enfant est confiée à une proche parente n'ayant pu enfanter. Altruiste? Peut-être. Mais arriver un jour sans prévenir, et « donner » son enfant comme on offrirait un vêtement, ça me dépasse.
Heureusement Amsatou, maintenant âgée de 18ans, a été une enfant facile, timide et respectueuse. Elle n'avait jamais été à l'école. Et était trop en retard pour commencer. Elle a donc été obligée de rester à la maison pendant que nous allions en cours. Maman l'avait inscrite à un centre de formation en cuisine et couture mais elle n'a pas exprimé le besoin de concrétiser ce projet après ses 3 ans d'études.
Nous l'avons initiée au français et elle se débrouille plutôt bien. Elle est comme une sœur et nous l'aidons du mieux que nous pouvons dans les tâches ménagères. Maman tient à ce que Fabi et faisions le ménage les samedis et nous nous relayons les dimanches pour la cuisine. Ainsi, Satou a le temps de se reposer et de vaquer à ses propres occupations.
En entrant dans la chambre des parents, je trouve Fabi agenouillée, en train de passer la serpillère sous le lit. Avant même que j'aie le temps de la saluer, elle s'écrit :
- Fais attention à ne pas salir cette partie. J'ai déjà bien nettoyé là-bas et je ne compte pas revenir dessus. Tu sais très bien comment la madré est pointilleuse concernant toute cette histoire de grand ménage.
- Euuuhh ?? Oui, je vais bien et toi ? Dis-je, sarcastique.
- Bien comme tu le vois. Allez, pousse de là même.
- Je viens t'aider Fabi, pas la peine de m'attaquer de la sorte.
- Tu viens pour m'aider ou pour te confier, lance-t-elle en arquant parfaitement son sourcil.
Ça lui donne grave du style quand elle fait ça.
Pas besoin de dire que ma chère petite sœur me connait très bien. Et, je ne serai pas surprise qu'elle sache déjà ce qui est arrivé hier. En plus de bien me connaitre, elle est très perspicace et mature pour son âge.
- Je suis perdue Fabi !
- Ça se voit. Allez, monte sur le lit, et s'il te plaît tâche de ne pas laisser de taches. Raconte-moi tout pendant que je continue à nettoyer.
Je m'exécute et, une fois installée sur le lit, je lui raconte ma mésaventure d'hier. Ce n'est qu'une fois avoir terminé que je me rends compte qu'elle s'était aussi assise sur la commode en face.
- Tu es trop impulsive.
- Pardon ?
- Tu as bien compris ce que je viens de te dire. N'est-ce pas toi qui dis toujours qu'il faut donner une chance aux gens de s'expliquer ? Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?
- Fatou Bintou Sy, as-tu entendu ce que je viens de te dire ? Il n'y avait rien à expliquer. C'était clair et limpide.
- Non, ça ne l'est pas. Peut-être que ce n'est pas ce que ça a l'air d'être. Il a avoué t'avoir menti. Ok, c'est mal. Mais, il t'a aussi dit pourquoi il l'a fait et c'est assez compréhensible. Et puis on dit qu'une faute avouée est...
Je la coupe, énervée:
- Cela ne change rien au fait qu'il a une petite amie. En d'autres termes, il est pris. Et de toute façon, ses aveux n'ont aucune valeur puisque qu'il ne les a fait que pris la main dans le sac.
- Il t'a dit qu'il font une pause non ? Peut-être qu'il a l'intention de la quitter.
- J'en doute. Ça m'a l'air d'une relation sérieuse. Puis je ne veux pas être à l'origine de la souffrance d'une autre femme.
- Tu ne le seras pas. Franchement quand on en arrive à faire des pauses dans une relation c'est qu'elle ne marche plus.
- Mais, toi, tu es de quel côté ? Je te rappelle que tu es ma sœur.
- Je suis du côté de la logique et de la vérité, dit-elle sévèrement.
Elle se remet au travail tout en continuant à me parler.
- Je pense vraiment que tu devrais lui laisser une chance de s'expliquer. Je suis sûre qu'il n'est pas le monstre que tu décris. Il t'a certes menti mais il n'est pas le premier à le faire et ce n'est pas la fin du monde. Qu'il soit avec toi ou pas, je crois qu'il finira par quitter cette fille. Tu ne feras souffrir personne à part toi. Ne le nie pas, je t'ai entendu pleurer hier.
- Même pas vrai...
- Appelle-le ou envoie-lui un message et écoute ce qu'il a à te dire. Tu n'y perdras rien. Si ce qu'il te dit ne te convainc pas, tu pourras mettre un terme à toute cette histoire. Tu seras alors sûre de ne rien regretter par la suite. Il n'y rien de pire que passer sa vie à se demander «Et si ».
- Je ne sais pas.
Elle a réussi à semer le doute dans ma tête.
- Ok. Demande conseil à tes amies vu que plusieurs avis valent mieux qu'un. Tu verras qu'elles seront du même avis que moi.
- Ouais, on verra.
- En tout cas, tout ce que nous pouvons faire, c'est te donner quelques conseils. La décision finale te revient. Pèse le pour et le contre et, surtout, suis ton cœur. Il ne t'induira pas en erreur. Ismaïla m'inspire confiance et tu sais que j'ai rarement tort dans ce genre de situations.
Genre le gars tu l'as vu 2 secondes et il t'inspire confiance. Ma sœur c'est trop une apprentie de Satan.
Néanmoins, après ma discussion avec Fabi je convoque Laetitia et Nafi à la maison pour une réunion de crise.
C'est dans une position fœtale qu'elles me trouvent.
- Wow. Fallait nous prévenir que c'était la journée horreur, on se serait déguisé aussi, dit Laetitia.
- Tu t'es pris une cuite ou quoi ? Ajoute Nafi.
- Vous êtes trop méchantes.
- Non mais est-ce-que tu t'es vue dans une glace ? Tu es horrible ma chérie. Qu'est ce qui t'es arrivé ?
- Attends c'est à cause d'Ismaïla ?
D'une voix serrée, je leur raconte ma soirée.
- Celle-là, on ne l'a pas vu venir, dit Nafi quand je termine.
- Les hommes. Y en a pas un pour racheter l'autre. Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez eux ? Pourquoi ils mentent comme ça ?
- Ça doit être une anomalie du chromosome Y.
- Je crois qu'on devrait mener une campagne pour tous les faire castrer. C'est ça la solution.
- Laetitia, toujours à exagérer, soupiré-je.
- Hey au moins je t'ai fait sourire. Blague à part, je crois que tu devrais au moins écouter ce qu'il a à dire. Ne serait-ce que pour être sure du choix que tu es en train de faire. Mettre un point final à tout cela s'il y a lieu sans plus te poser de questions.
- S'il a pris la peine de t'emmener à sa famille, il doit y avoir de la sincérité en lui. On est d'accord, il a vraiment merdé. Il aurait dû être honnête avec toi depuis le début. Mais on fait tous des erreurs.
- Ce que j'en tire moi, c'est que les présentations à la famille ne sont en rien une garantie, dis-je.
- Même s'il était toujours amoureux de sa copine, cela n'empêche pas qu'il puisse tomber amoureux de toi aussi. Je pense que c'est ce qui s'est passé. Vu sous cet angle je peux comprendre pourquoi il t'a menti. N'empêche que je vais lui casser la belle bouche la prochaine fois que je le vois.
- Sois un peu sérieuse Lae, réprimande Nafi. Aysha tu devrais l'écouter ce Ismaïla. Après tu n'es pas obligée de lui pardonner.
- Faut pas lui faciliter les choses non plus hein, renchérit Lae. Moi je le vois bien à genoux. Non mieux avec une sérénade « Aysha, Aysha écoute moi ! Aysha, Aysha t'eeeen va pas ! ». Hahaha ! Je savais que ces paroles avaient été écrites pour toi.
Avec Nafi elles se mettent à me chanter les paroles de Khaled, Aicha. Ce qui m'arrache le premier rire de la journée.
Les filles rentrent juste avant le crépuscule. C'était comme si la soirée d'hier n'avait jamais eu lieu. Laetitia et Nafi m'ont fait tordre de rire avec leurs pitreries. À un moment, Nafi a entrepris de nous montrer la nouvelle danse à la mode. J'en ai tellement ris que j'ai glissé par terre, souffle coupé, incapable de respirer.
Nafi danse affreusement mal. Elle s'est tordue dans tous les sens sans direction précieuse, sans mouvement défini. On aurait dit un asticot sur patins à roulettes.
Que ferais-je sans elles ?
Après les avoir raccompagnées, je suis plus sereine. J'ai décidé de m'entretenir avec Ismaïla. Mais pas tout de suite... Il me faut du temps pour digérer tout ça.

FlammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant