Chapitre 27

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Bonjour mes chéries, je suis là, je lis vos commentaires, je vois vos votes. Je suis très prise par le boulot ces derniers temps. Merci pour votre soutien et vos encouragements. Merci du fond du cœur. Sokhla na sene niane, nguen nianal ma. Love you ♥️♥️

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C'est avec un grand sourire que je remets une cuillère de naqq (encens) dans mon encensoir électrique. Ce soir, si tout se passe bien, c'est crac crac boom boom.
Avec Smaïl, on a passé la journée à sexter. On dirait que mon cocktail commence à faire effet. Apparemment, monsieur ne pense à rien d'autre qu'à me faire l'amour. Ça tombe bien, car moi aussi j'attends cela avec impatience.
C'est fou comment la société assimile la sexualité aux hommes. À satisfaire les envies des hommes plus précisément. Alors que les femmes ont des besoins également. Sauf que c'est un sujet tabou. Toutes les discussions tournent autour de comment combler son homme. Résultat des courses, bon nombre de femmes ne savent pas ce qu'est un orgasme. Elles ne savent même pas qu'elles y ont droit. Tout ce qui compte c'est que monsieur soit heureux. Sinon, il risque d'aller voir ailleurs. La bonne blague.
Pire, on dirait que tout ce que les hommes savent de la religion, c'est qu'ils ont droit à quatre femmes. Pour oublier opportunément qu'il est obligatoire pour l'homme de satisfaire son épouse. C'est un des plus grands droits de la femme sur son mari, plus grand encore que le fait qu'il la nourrisse.
Porter préjudice à son épouse par l'abandon du rapport sexuel justifie la dissolution du mariage; que le mari agisse délibérément ou involontairement. Qu'il soit capable de l'accomplir l'acte sexuel ou pas.
Mais non, continuons à faire les aveugles.
Heureusement que sur ce plan, j'ai toujours été satisfaite. Honnêtement, je ne me suis pas abstenue plus d'une vingtaine d'années pour ne pas connaître ce qu'est le plaisir. Point barre.
Enfin bref. Je mets une touche de Le parfum de Elie Saab puis enfile un kimono noir en crêpe de soie par dessus mon attirail. Pagne traditionnel et grosses perles de rein.
J'ai fini par trouver le courage de porter un des ensembles que m'a offert ma belle-mère. Il s'agit d'un ensemble de couleur rouge bordeau : un petit pagne tissé et son soutien-gorge seins nus. Je l'ai agrémenté de gros bine bine beige-doré. Mes cheveux sont torsadés en deux nattes. Et j'ai une petite chaîne à la cheville. Je me sens belle et sexy.
Ce soir, je suis le dîner. Et le dessert. On mangera un bout un peu plus tard, je suppose. Autant aller directement aux choses sérieuses.
Quand j'entends sonner, je me dirige vers le balcon pour vérifier qu'il s'agit bien de lui. Je souris en le voyant puis jette un dernier coup d'œil au miroir avant de sortir.
Pieds-nus, je descends lentement les escaliers. Au niveau de l'avant dernière marche, je prends appui sur la rambarde et avance le pied gauche, découvrant ainsi une partie de ma jambe.
Un demi sourire sur les lèvres, je le regarde avancer vers moi. Il paraît fatigué. Pas de soucis, j'ai de quoi le requinquer.
Lorsqu'il lève enfin les yeux vers moi, je lui souris.
- Bonsoir.
- Bonsoir, répond-il d'une voix lasse.
- Ça va ? T'as l'air lessivé.
Il pose son sac à mes pieds et me prend dans ses bras sans un mot. Cette étreinte n'a rien de sexuel. Elle relève plutôt d'un besoin viscéral.
- Tout va bien ? Murmuré-je tout bas.
Il ne répond pas. Il est arrivé quelque chose. Quoi, je ne saurais le dire. Mais par sa façon de me serrer, j'en conclus que ça doit être sérieux. Bon nombre d'hypothèses me traversent l'esprit. Aucune très concluante. Je réitère ma question sans qu'il me réponde. Alors je me baisse prend son sac dans une main, lui dans l'autre et l'entraîne vers notre chambre.
Il s'installe sur le lit, moi à ses pieds.
- Tu me fais peur. Parle moi.
- Pas maintenant. Tout ce que je veux en ce moment c'est que tu me serres dans tes bras.
Il me fait assoir sur lui et enfouit sa tête dans mon cou. Je ne dis plus rien, me contentant d'être là pour lui. Je lui caresse le dos, espérant effacer ses tracas par la même occasion.
Ça me stresse de ne pas savoir. Il allait bien ce matin, il m'a fait sourire toute la journée. Et fait contracter mon entrejambe d'anticipation. Qu'est-ce qui a bien pu se passer entre temps ?
On finit par s'allonger. Lui contre ma poitrine, moi lui caressant la tête.
- Quelle serait ta réaction si on te disait que j'ai violé une femme ?
- Pardon ?
Mon cœur tombe dans ma poitrine.
- Réponds juste.
- C'est absurde. C'est... Pourquoi tu ferais ça... Je veux dire tu n'es pas un violeur.
Il me regarde dans les yeux.
- Je ne suis pas un violeur. Je n'ai jamais touché une femme contre son gré, jamais.
- Je le sais. Qu'est-ce qui se passe Ismaïla ? Qui t'accuse de l'avoir violée ?
- Astou.
Seigneur Dieu. Cette femme.
- Elle est passée à mon bureau tout à l'heure. Pour me faire chanter. Soit je te quitte, soit je reçois une plainte pour agression sexuelle.
- Personne ne va croire que tu l'as violée. Ne t'inquiètes même pas pour ça. Tout le monde a été témoin de son harcèlement.
- Non, pas elle. Une patiente que j'ai consulté hier. Elle m'accuse de... Elle avait l'air tellement convaincante que je la croirais si je ne me savais pas innocent.
- Je suis perdue. Quelle patiente ?
- Astou a comploté avec une jeune fille. Une jeune fille que j'ai consultée hier et qui affirme que j'ai eu des attouchements envers elle. Écoute, je préfère que tu l'entendes de ma bouche. Elle dit qu'en l'examinant je lui malaxais les seins et que je l'ai... doigtée. Résultat, elle en a saigné. Bref. Un tas de conneries. Mais très très convaincant.
- Je ne comprends pas. Reprends depuis le début.
Je l'écoute m'expliquer comment Astou lui a fait écouter un enregistrement audio d'une fille qui l'accuse de viol. Elle a donné tellement de détails qu'il serait difficile de ne pas y croire.
Astou. Très sincèrement, j'essaie de me mettre à sa place, de comprendre les raisons de son comportement. Cependant, je suis dépassée.
Ok, elle est sortie avec Ismaïla pendant plus de quatre ans. Ok, elle avait des projets de mariage avec. Mais clairement, Ismaïla n'a pas été son premier amour. Elle a déjà eu le cœur brisé. Elle sait que toutes les relations ne sont pas destinées à marcher. Et quand bien même ceci a été sa première déception amoureuse, est-ce une raison pour se conduire de la sorte ?
L'amour, ce n'est pas forcé. L'amour, ça ne se force pas. De toute façon, il n'y a aucune garantie que ça aurait marché entre eux sur le long terme.
Peut-elle justifier son comportement par l'amour qu'elle lui porte ? Admettons que je lui ai volé son homme. Admettons qu'Ismaïla l'ait utilisée. Est-ce une raison pour qu'elle se comporte de la sorte ? Menacer la vie, l'équilibre, la carrière de quelqu'un juste parce qu'il ne veut pas de toi. À quoi bon ?
La vengeance à mon avis n'a jamais été une solution. Tout ce temps, toute cette énergie dépensée à échafauder des plans, c'est du temps qu'elle aurait dû consacrer à trouver son bonheur.
J'ai mal pour Ismaïla qui se trouve ainsi exposé. Je me sens coupable aussi. En aucun cas, je ne veux être la cause de la déchéance de mon mari. Il faut que j'empêche cette folle d'agir coûte que coûte.
Mon esprit carbure à 200km/h à la recherche d'une solution. Que faut-il faire. Que peut-on faire concrètement ? La confronter ? Mêler les parents ? La supplier ? Lui donner satisfaction ?
Je ne sais pas.
- Qu'est-ce qu'on va faire Ismaïla ?
- Je ne sais pas encore. Je suis fatigué là, j'ai juste envie de dormir.
- Je te fais à manger d'abord, dis-je en essayant de me lever.
- Non. Reste.
On finit par s'endormir sans s'en rendre compte.
Je me réveille à 1h02 du matin. Mon bras droit est engourdi à cause de ma position. Ismaïla est toujours niché contre ma poitrine, tout habillé.
J'essaie de me dégager afin d'éteindre la lumière. Seulement, je le réveille par inadvertance.
- Désolée, je ne voulais pas te réveiller. Rendors-toi, je vais juste éteindre la lumière.
Il enlève sa chemise et sa ceinture et les dépose au bord du lit.
Je reviens dans le lit et il me prend en cuillère. Il s'endort aussitôt mais moi, je ne peux pas. J'ai la gorge nouée. Je garde les yeux ouverts et le contemple comme pour mémoriser les traits de son visage que je connais pourtant si bien. Je ne supporterai pas qu'il lui arrive quoi que ce soit.
Je dois faire quelque chose. Je ne peux pas rester spectatrice de ce cirque sans ne rien dire. Ismaïla, violeur ? Subhanallah.
S'il faut que je casse la gueule à Astou pour qu'elle mette un terme à tout cela, je le ferai. S'il faut que je me mette à genou pour la supplier, je n'hésiterai pas.
Demain, je la contacterai afin qu'on se voit. Je sais qu'elle ne me refusera pas un rendez-vous. Depuis le temps qu'elle attend cela.
Mais, je ne dirai rien à Smaïl. Je l'informerai après coup car sinon il me l'interdira.
Je m'endors vers les coups de 3h. Deux heures plus tard, je suis réveillée par mon mari qui n'arrête pas de bouger près de moi. Je comprends qu'il ne dort pas à sa respiration et surtout à son érection. Je me tourne et lui fais face pour qu'il sache que je suis éveillée aussi.
Je n'imaginais pas nos retrouvailles ainsi. Seulement, j'ai besoin de le sentir comme lui a besoin de me sentir. Je lui fais de petits bisous sur ses lèvres. Il capture les miennes en retour et m'embrasse désespérément. Sa langue cherche la mienne tandis que sa main me triture le téton.
Sans cesser de m'embrasser, il se met au dessus de moi. Sa main descend progressivement pour me caresser l'intimité.
Une larme s'échappe de mes yeux, puis deux. Des larmes de contentement et d'appréhension. Il ne le remarque pas. Tant mieux.
Son majeur s'introduit en moi, son pouce me titille le clitoris. Je suis au bord de la jouissance. J'ai tellement envie de lui, je suis tellement en manque que cela ne saurait tarder. Dans un murmure, il me demande de jouir pour moi et pour lui.
C'est le signal que j'attendais. Je la sens monter, d'abord dans mon ventre puis dans les battements désordonnés de mon cœur. Je veux le toucher. Il m'en empêche en me tenant fermement la main et accélère les mouvements circulaires sur mon clitoris.
Haletante, je n'arrive même plus à aligner mes pensées. Je sais néanmoins que je veux le voir jouir également. Je le lui dis.
Nous changeons de position. Lui couché sur le dos, moi au dessus. Je descends vers son membre tendu. Je le prends entièrement dans ma bouche. Puis, relevant la tête, je joins mes deux mains qui bougent de haut en bas en même temps que ma bouche. Quand je le sens sur le point de venir, je prends ses testicules délicatement dans ma bouche. Je le sens se raidir et avant même que je n'ai pu me relever, il jouit sur mes mains.
Je me lève et prends les mouchoirs à mon chevet. Je le nettoie et me couche près de lui. Il me prend dans ses bras en me serrant à m'étouffer.
- J'arrive plus à respirer.
- Désolé.
On dirait qu'on l'a vaincu ce blocage... Parce qu'il m'a dévoré la bouche.
- Je t'aime, tu sais.
- Je t'aime moi aussi. C'est quoi cette chose que tu portes ? C'est super sexy. J'adore les perles en plus.
- C'est vrai, tu aimes ?
Ça me fait plaisir qu'il ait remarqué. Je me retiens néanmoins de lui dire que la chose sexy est un cadeau de sa mère. Vrai tue l'ambiance.
- Oui, ça mérite une récompense. Je crois que je vais terminer ce que j'avais commencé..
Il m'embrasse à nouveau. Cette fois, on atteint le septième ciel ensemble.
On retombe sur le lit, épuisés. À nouveau, il s'endort en premier. Sa respiration régulière me berce jusqu'à ce que je le rejoigne dans les bras de Morphee.
Les rayons de soleil qui s'infiltrent à travers nos rideaux me tirent de mon sommeil. Je garde les yeux fermés et profite de la présence de mon mari dont le corps chaud m'enveloppe encore. Les yeux encore fermés, je souris. Le bonheur est simple.
Tout me revient d'un coup. Astou, son chantage. Nos moments intimes de la veille.
Je réveille doucement Ismaïla afin qu'il prenne sa douche. Il rechigne à se lever mais s'exécute quand même. Je le remplace lorsqu'il finit. Ensuite, je descends habillée d'une robe légère.
Ismaïla vient de terminer son café et dépose la tasse dans l'évier.
- Tu me le rinces s'il te plaît ? Super en retard. Encore.
- Oui, t'inquiètes.
Il me fait une bise en me souhaitant une bonne journée. Je le retiens par la main.
- Je t'aime bébé.
- Je t'aime aussi ma princesse.
Je me mets sur la pointe des pieds et l'embrasse farouchement. Il répond à mon baiser. J'enroule mes bras autour de son cou. Il se détache légèrement.
- Mon amour, je suis vraiment en retard.
- Je sais. Ce n'était pas ça mon intention. Je voulais juste...
Je lui fais un bisou au coin des lèvres et recule.
- Vas-y. Passe une bonne journée.
- Pourquoi j'ai l'impression que tu vas faire une bêtise ?
- Moi ? Mais qu'est-ce que j'ai fait ?
- Rien. Mais tu es bizarre. Tu restes tranquille Aysha. Tu ne fais rien. Je vais gérer Astou.
- Comment ?
- Faut que j'y aille bae. Je t'appelle.
Je le regarde partir le cœur lourd. Il a raison. Je ne vais pas rester les bras croisés. Je ne peux pas. Il faut que je fasse quelque chose. Même si je sens au fond de moi que ça va mal se terminer.
Il est encore tôt mais autant m'y mettre tout de suite. Je remonte chercher mon téléphone et débloque Astou. Prenant, une grande inspiration, je lui envoie un message et lui demande de me retrouver pour déjeuner. Elle ne répond pas, faisant sûrement exprès de me laisser dans le doute.
Je passe ma matinée à me preparer néanmoins. Je me fais les ongles, pieds et mains et y applique un vernis blanc. Psychologiquement, c'est un peu comme si j'allais en guerre. Alors je me prépare en conséquence.
Je porte un tailleur vert et des sandales ouvertes noires. Je reproduis la même coiffure que pour aller dîner avec Ismaïla il y a quelques jours. Grosses créoles argentées, bagues phalanges sur presque tous les doigts, mini sac noir et maquillage léger pour compléter le look.
J'arrive à La Galette quinze minutes avant l'heure et commande un jus de ditakh en l'attendant. Si elle ne vient pas, je ne sais pas ce que je vais faire.
Absorbée par mon fil Twitter, je ne remarque pas l'homme qui s'est approché de moi qu'au dernier moment.
- Bonjour.
Je lève les yeux et réponds à son salut.
- Ce n'est plus vert jusqu'au bout des ongles, mais verte jusque dans la boisson.
C'est censé être drôle ?
- Tu es ravissante. Mademoiselle... ?
- C'est Madame, dis-je en agitant mon alliance sous son nez.
- Ah. Excusez-moi.
Il paraît gêné, me fait ce qui semble être un sourire pour s'excuser et retourne d'où il vient. Je lève les yeux aux ciel et me reconcentre sur mon téléphone.
- Voyez vous ça. Ça flirte avec le premier venu.
Astou. J'essaie d'ignorer sa remarque. Aujourd'hui, je suis venue en paix. Je prie pour garder mon sang-froid. Car cette fille a le don de me mettre hors de moi.
- Bonjour Astou. Merci d'être venue.
- Ah. Parce que la politesse tu connais ? Inutile de me lécher les bottes. Ça ne te fera gagner aucun point.
Respire Aysha, respire.
- Tu veux commander quelque chose ?
Elle fait signe au serveur en m'ignorant royalement. Bah tout se passe comme sur des roulettes.
Le serveur arrive, elle commande un jus de bissap.
- Non réflexion faite, je vais prendre un thé. C'est toujours mieux d'avoir une boisson chaude à portée. C'est pratique pour défigurer ses ennemis.
Je me mords la lèvre pour ne pas exploser. Le degré d'insolence de cette femme réveille l'urticaire que je n'ai pas.
Quand elle finit de parler au serveur, je me racle la gorge.
- Bon, je vais aller droit au but. Je pense que tu sais deja pourquoi j'ai tenu à te voir. J'aimerais que tu laisses tomber cette histoire de plainte.
Elle pouffe de rire.
- Aysha, Aysha. Je ne vois pas de quoi tu parles, affirme-t-elle avec un sourire.
- Tu sais pertinemment de quoi je parle. Ismaïla ne mérite pas que tu détruises sa réputation. C'est une bonne personne. Certes, il a commis des erreurs. Moi, j'ai décidé de lui pardonner. Normal me diras-tu, tu es sa femme. Mais justement si tu dois t'en prendre à quelqu'un, c'est moi ta cible. Toi, mieux que personne, sait à quel point il a trimé pour en arriver là. Parce que tu étais avec lui. Tu penses qu'il mérite de payer du fruit de sa sueur juste parce qu'il a choisi d'être avec moi ? C'est injuste et tu le sais. Tu veux le faire souffrir ? Et bien, soit. Mais que cela reste personnel. Son travail n'a rien à voir là dedans.
- Aysha, encore une fois, je ne vois pas de quoi tu parles.
Je fronce les sourcils.
- Tu crois que j'essaie de t'enregistrer ?
Je déverrouille mon téléphone et le lui tends. Puis vide le contenu de mon sac sur la table sans prêter attention au voisinage.
- Je ne suis pas en train de t'enregistrer, nom du ciel. Est-ce qu'on peut se parler sérieusement maintenant ?
- Ok, parlons sérieusement. Ta petite démarche est mignonne. Mais elle me fout au pôle nord. Tu diras à ton mari qu'il lui reste exactement...
Elle consulte sa montre.
- 4heures pour me donner sa réponse.
- Pourquoi tu fais tout ça Astou ?
- Pourquoi ?
Elle rit d'un rire sans joie.
- Pourquoi. Parce l'homme que j'aimais s'est réveillé un jour et a décidé de réduire en miette l'équilibre de mon existence. Qu'il m'a brisé le cœur parce qu'il avait soit disant trouvé l'amour. Et qu'est-ce qu'on avait pendant ce temps ? Qu'est-ce qu'on avait, dis-moi, pendant quatre putain d'années ? Qu'est-ce que tu as toi que je n'ai pas ? Non mais regarde toi et regarde moi. Qui échangerait un beignet à la crème pour une croûte de pain rassis ?
Croûte de pain rassis ? Elle ne vient pas de me comparer à une croûte de pain rassis, si ?
- Pendant longtemps, je suis restée dans un état second. Je me suis effacée. Je l'ai détesté. Et tous les hommes par la même occasion. Puis, il m'a donné à nouveau espoir. Pour m'anéantir à nouveau. Cette fois, je ne vais pas rester sans rien faire. C'est parce qu'ils ne goûtent jamais leur propre vin qu'ils se permettent de recommencer encore et encore. Thiaga nak ken dou ko nakh niari yone. T man ma bayi wul ken ak YAllah. Ku ma wok ma khouri leu. ( On ne dupe pas une prostituée deux fois de suite. Et je ne laisse pas à Dieu le soin de nous départager. Tu m'écorches, je te le rends au centuple)
- Tu penses qu'après ça tu vas te sentir mieux ? Tu penses que le réduire à néant va faire disparaître ta peine ? Que toutes ces pensées, ces sentiments vont s'envoler en même temps que lui s'enfonce ? Ce n'est pas comme ça que ça va se passer. Vous allez juste être deux à souffrir. Trois, si on me compte. Non que ma peine t'importe. Ce que je veux dire c'est que cette vengeance ne t'apportera pas la paix que tu recherches.
- Au moins, il connaîtra ce que c'est que d'être trahi et détruit. Et en ce qui te concerne, je m'en torche le cul de ce qui peut t'arriver. C'est de ta faute aussi. Aucune putain de solidarité féminine.
- Mais je ne savais pas qu'il avait quelqu'un dans sa vie quand je l'ai rencontré.
- Oh épargne moi tes conneries. Qu'as-tu fait quand tu l'as su ?
- Je l'ai quitté. Puis, il est revenu vers moi. Et je me suis choisie. Cet homme m'a apporté plus de joie en trois ans que toutes les personnes que je connais réunies toute ma vie durant. Je sais que tu n'as pas envie d'entendre cela mais nous sommes faits l'un pour l'autre. Tu n'as aucune garantie que ça aurait marché entre vous si je n'étais pas apparue dans cette vie. Et tu sais quoi Astou ? Tu devrais te choisir aussi. Débarrasse toi de toute cette haine, toute cette énergie négative. Arrête de perdre du temps à penser à Ismaïla, à avoir espoir ou à essayer de le détruire. Tu mérites mieux que ça. Tu vaux mieux que ça. Choisis toi. Concentre toi sur ta personne, sur ce qui te rend heureuse, ce qui te fait avancer.
Elle applaudit sarcastiquement.
- Je crois que je vais me passer des conseils de la femme qui veut le même homme que moi.
- Tu sais que j'ai raison. Des déceptions amoureuses, tout le monde en a eu dans sa vie. Tu sais quoi ? On s'en remet. C'est dur, mais on s'en remet. C'est déplaisant c'est sûr. Mais à un moment, il faut accepter que ça n'a pas marché et passer à autre chose.
Son téléphone sonne et elle l'ignore.
- C'est bon tu as fini ton speech ? Je peux m'en aller maintenant ?
- Je te le demande, je t'en supplie. Ne fais pas ça.
Son téléphone sonne à nouveau. Cette fois, elle décroche, l'air agacée.
- Allô ? ....
Elle écoute pendant un long moment.
- Ce n'est pas ça... Je... Allô ? ...
Elle regarde le téléphone énervée. J'en déduis que son interlocuteur lui a raccroché au nez.
- Vous êtes un sacré couple de salauds. Donc le plan c'était de m'occuper pendant que ton enfoiré de mari allait faire un scandale à mon bureau ?
- Quoi ?
- C'est ça. Fais semblant. Je te jure sur la vie à ma mère que vous allez me le payer. À côté, le faire radier de l'ordre des médecins va vous paraître être du gâteau.
Le ton avec lequel elle le dit me fait froid dans le dos. J'ai envie de risposter, de l'envoyer paître mais cela ne fera qu'empirer les choses.
Cette fille est malade bon sang. Sérieusement, il lui faut de l'aide. Je ne sais pas ce qu'elle est capable de faire. À ce stade, je m'attends au pire.
Elle se lève et ramasse ses affaires. Je me lève aussi et la retiens par le bras.
- Non, attends.
- Je ne veux plus t'entendre.
- Tu sais que c'est pas le genre d'Ismaïla de se donner en spectacle. Il doit y avoir une explication.
Sa voix monte d'un cran.
- Tu me prends pour une idiote ?
- Dis moi ce que tu veux que je fasse pour que tu laisses tomber cette histoire. N'importe quoi, je le ferai.
Elle hésite. Puis me regarde droit dans les yeux.
- Quitte le.
- Quoi ?
- Tu m'as bien entendue. Je suppose qu'il a fait son choix si tu es là pour me supplier. Alors je te donne la même option qu'à lui. Tu veux sauver sa réputation et son boulot ? Quitte le. Sois un martyre. Prouve à quel point tu l'aimes. Il t'a choisie n'est-ce pas ? Se retrouver au chômage, avec un nom entaché à jamais, voilà à quel point il t'aime. Et toi, jusqu'où es-tu prête à aller pour lui ? Quelle genre de femme es-tu si tu n'es pas prête à en faire de même ? À mon avis, c'est que tu ne mérites pas ce sacrifice.
Je répète : elle est malade. Qu'est-ce que ça lui rapporte qu'on se sépare ? En quoi nous faire souffrir va-t-il alléger sa peine ?
- Alors Aysha ?
Je la regarde et réalise qu'elle est vraiment sérieuse. Toute volonté d'opposition me quitte. Malgré moi, ses mots me font tiquer. Quelle genre de femme serais-je si je peux arrêter cette folie et que je ne le fais pas.
Je ne peux pas laisser Ismaïla risquer sa passion pour moi. Il adore son métier. Il adore aider les gens, sauver des vies. Lui refuser ce droit ce serait lui amputer une partie de son essence. Ce n'est pas de cinq mais treize années d'études dont on parle. Treize.
- J'ai besoin de temps pour y réfléchir.
Attends, je ne suis pas en train de sérieusement consider cette option ?
- Il te reste 3h et 27 minutes. Sinon Aysha, lo len guiss rk man la.(Sinon tenez-vous prêts). Ah et pour info, j'ai rendez-vous avec Bassirou Guèye après le boulot. Procureur de la république. Figure toi que c'est un très bon ami à moi.
Elle me tourne le dos et marche vers la sortie. Je me laisse tomber sur le siège. Les autres clients me regardent curieusement. Je n'ai pas le temps de m'attarder là dessus.
Ismaïla et moi, on en a vu de toutes les couleurs au cours de cette année. Et pourtant, nous sommes toujours debout. Nous avons surmonté la maladie, l'infidélité, la perte d'un enfant. Et c'est un chantage qui va nous séparer ? Non. Non.
Mais quel autre choix a-t-on ? Je ne peux pas laisser l'homme que j'aime être traîné dans la boue par une psychopathe au cœur brisé. Je ne peux pas.
Je règle l'addition et retourne à la maison, tourmentée.
Les trois heures qui suivent, je les passe à cogiter. Tantôt, je me dis qu'on peut surmonter cette catastrophe tout comme on a surmonté celles qui sont passées. Puis-je me permettre de prendre le risque ?
Ismaïla a décidé de se sacrifier pour moi. Qu'est-ce que cela dit sur moi si je n'en fais pas autant ?
Je suis en colère et surtout, je me sens impuissante. Cette femme, c'est le diable en personne. Le pire c'est qu'elle n'a aucun remords. Elle y prend même un plaisir malsain. Je ne sais pas comment ni pourquoi je ne me suis pas jetée sur elle.
Je veux bien être empathique et tout mais meuf get your shit together. Le mec veut pas de toi mais oublie sa race ou bien !?
Quitter l'homme que j'aime sur la base d'un chantage m'est impensable. Sauf que je l'aime justement. Et je ne veux pas qu'il souffre. En aucun cas.
Pourquoi j'ai été aussi passive face à Astou aujourd'hui, la réponse est simple : j'essaie de protéger l'homme que j'aime.
C'est beaucoup trop facile. Astou n'a qu'à aller se faire foutre. Elle n'a qu'à porter ses calomnies devant la justice. Ils verront clair dans son jeu.
Cependant, les prisons sont peuplées d'innocents. Je ne peux pas prendre ce risque. Les rumeurs sont même pires que les faits eux mêmes. Diffusent plus vite qu'une intraveineux. Plus nocifs que le venin du basilic.
Je regarde ma montre pour la énième fois et me prend la tête. Depuis mon retour à la maison, je suis assise sur le tapis au bas du lit, perdue. Ma réflexion n'a pas avancé.
Enfin, si. Au fond de moi, depuis que j'ai permis à l'idée de s'insérer dans mon esprit, je sais que je vais finir par céder.
Merde. Merde. Merde.
Je n'ai pas le temps de penser aux conséquences. Du moins, je ne veux pas. J'ai décidé de faire ce sacrifice. Alors la suite, je vais l'assumer.
Ou alors... Ismaïla et moi on peux juste prétendre se séparer pendant un moment. Le temps de trouver de quoi incriminer cette folle. Le problème avec cette solution c'est qu'elle va juste nous entraîner dans un cercle vicieux. Astou ira toujours plus loin.
Je n'écarte même pas la possibilité qu'elle en vienne à assassiner l'un de nous, ou qu'elle nous maraboute.
Je suis perdue.
Mon temps écoulé, je finis par faire la seule chose qui puisse être faite. Je prends mon téléphone et appelle Astou. Je ne perds pas mon temps en civilités. Dès qu'elle décroche, je dis ce que j'ai à dire.
- Tu as gagné. Je vais... partir.
- Voyez vous ça.
- Il me faut une preuve que tu ne vas plus jamais utiliser ce faux enregistrement. Et que tu vas lui foutre la paix.
- Tu penses vraiment que tu es en position pour me poser des conditions ?
- Oui, en fait, oui. On va voir un notaire, on signe un accord. Sinon, tu oublies.
- Ok. C'est raisonnable. Je te texte l'heure et le lieu.
Je raccroche sans ajouter un mot.
Ma poitrine semble se renfermer sur elle-même. Je n'arrive pas à croire que je viens d'accepter de quitter mon mari. À cause d'une femme.
Ou peut-être que cela va m'aider à gagner du temps et trouver une meilleure solution. Quitter Ismaïla serait de la folie. Je ne sais même plus ce qui se passe.
Je reste sur le tapis comme paralysée. Ismaïla me trouve assise là, regard dans le vide.
- Bonsoir mon bébé. Je sais je devais t'appeler. J'ai été super occupé. Mais j'ai pensé à toi toute... Aysha ? Ça va ?
Il s'assoit près de moi l'air inquiet.
- Il est arrivé quelque chose ?
Je lève les yeux vers lui.
- Dis moi ce qui passe.
J'inspire profondément.
- Ismaïla. Je n'ai jamais aimé comme je t'aime. Je n'ai jamais aimé autant que je t'aime. Et je sais que tu m'aimes aussi. Sinon, tu ne sacrifierais pas le fruit de toute cette dure labeur pour moi. Je sais à quel point tu aimes ton travail. Je sais aussi que ne plus pouvoir exercer t'atteindrait jusqu'à l'âme. Tu ne serais plus la même personne. Avec le temps, tu m'en voudrais et me tiendrais pour responsable.
- Je t'arrête tout de suite. Je sais ce que tu as en tête. Mais c'est hors de question.
- Écoute moi avec ta tête, pas avec ton cœur. Je ne peux pas te laisser faire ce sacrifice.
- Ce n'est pas un sacrifice Aysha. C'est un choix. Je choisis d'être avec toi. Parce que at the end of the day, ce n'est pas mon travail ou mes amis ni même ma famille qui comptent le plus. C'est toi.
Je sens mon cœur se gonfler d'amour, au risque d'éclater.
- Ça n'a pas de sens pour moi de continuer à être médecin si je ne t'ai pas dans ma vie. La question ne s'est même pas posée. En plus, Aysha, sérieusement tu veux me quitter parce que Astou nous fait chanter ? Soyons sérieux deux secondes. Ça ne risque pas d'arriver. Encore si j'étais coupable, c'est une option qu'on pourrait considérer. Mais je n'ai rien fait bordel. Et la police aura vite fait de démonter son tissu de mensonges.
- On a nos réalités. Vrai ou pas tu deviendras le médecin qui a été accusé de viol par sa patiente. Tu n'auras plus d'identité, ce sera ça ton nom. Tu sais comment on aime les ragots dans ce pays. Les rumeurs se diffusent plus vite que l'oxygène qu'on respire. Ton nom sera sur toutes les langues. Tu seras marqué à jamais.
- Je m'en fous Aysha. Tu es ce qu'il y a de plus important dans ma vie. Combien de fois vais-je devoir te le répéter ?
- Mais ça ne sera pas suffisant.
- Okay, le travail va me manquer. Mais je suis un homme intelligent et pleins de ressources. Je saurais rebondir sur mes pieds.
- Je suis désolée, Ismaïla. Je vais partir. On convoquera nos familles pour rendre tout ça officiel.
- Tu n'as pas le droit de décider pour nous deux. À moins que tu ne sois en train de chercher une raison de te libérer de cette union ?
- Bien sûr que non.
- Alors, c'est réglé.
- Tu ne m'écoutes pas.
- Je ne vais pas écouter tes sottises. À quel moment, tu t'es dit que nous séparer est la solution. C'est totalement insensé. Et ce n'est certainement pas une preuve d'amour, crois moi.
- Penses ce que tu veux, dis-je d'une voix lasse.
- Attends, t'es sérieuse là ?
J'essuie une larme et garde le silence.
- Tu te moques de moi, c'est ça ?
Je me mords les lèvres pour ne pas fondre en larmes. Il se rapproche et m'oblige à le regarder dans les yeux.
- Bébé, tout ça ce n'est qu'une épreuve de plus. Une à laquelle on va survivre. Ensemble. Il n'y a aucune raison de prendre une décision aussi radicale que ridicule. On ne négocie pas avec les terroristes, tu te souviens ? On ne va pas négocier avec Astou. On ne va pas laisser Astou ni quiconque d'ailleurs nous séparer. N'est-ce pas ?
- Ismaïla...
- Hey... Regarde-moi. Je t'aime, tu m'aimes, c'est tout ce qui importe. De toute façon, tu le fais pour moi, non ? Bah je n'en veux pas de ton geste altruiste. Je préfère être déchu et sans le sou plutôt que de renoncer à toi.
- Je suis désolé. Ma décision est prise.
- Non mais t'es bête ou tu fais exprès ! Je te dis qu'on va trouver une solution. Sinon tant pis, c'est toi que je veux.
- Ne rends pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà.
- Il faut deux personnes pour divorcer. Et JAMAIS je ne vais t'accorder le divorce. Ja-mais.
Il se lève et sort en claquant la porte. Je me prends la bouche, étouffant un sanglot. Il est pourtant bien placé pour comprendre ce que je fais et surtout pourquoi je le fais. Moi aussi je ne demande qu'à être avec lui. Mais à quel prix.
En même temps, je suis consciente que c'est une terrible solution. On devrait se battre, je devrais me battre. Bilahi Astou moy nattou YAllah deug. (Qu'elle peste cette femme)
- Lève-toi. On sort.
Il est rentré aussi brutalement qu'il était sorti.
- Je...
- Lève-toi, j'ai dit.
Le ton est tellement autoritaire que je lui obéis presque. Presque.
- JE T'AI DEMANDÉ DE TE LEVER.
- Ne me crie pas dessus !
- Et toi me casse pas les couilles. Tu te lèves.
Je le regarde comme s'il était fou. Lui pousse un soupir exaspéré avant de me soulever de force.
- Soit tu viens de ton plein gré, soit je t'y oblige. Ton choix.
Je le repousse en susurrant et enfile des sandales.
Il me pousse presque vers la sortie et me fourre dans la voiture furieusement. J'imagine qu'il m'emmène chez mes parents. Afin qu'eux me fassent entendre raison.

FlammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant