Chapitre 10

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Après deux jours de vomissements quasi constants, je ne tiens plus debout. Aujourd'hui j'ai dû demander à tata Virginie de me conduire à l'hôpital. Mon rendez-vous chez le gynécologue est prévu pour demain mais je ne peux plus attendre. Je suis inquiète. Il y a forcément un problème.
Dès qu'on arrive aux urgences, on me prend en charge pendant que tata attend. Apparemment je souffre de vomissements incoercibles, complication de la grossesse. On me pose une perfusion pour débuter ma réhydratation, et m'administrer un anti émétique. Puis, j'ai droit à ma toute première échographie. Je verse même une petite larme en voyant mon bébé pour la première fois. Entendre son cœur battre, c'est indescriptible. Dommage qu'Ismaïla ne soit pas là pour le vivre avec moi.
Je suis enceinte de presque quatre mois. J'ai carrément raté un trimestre de ma grossesse. Je ne comprends toujours pas comment ça a pu arriver.
Le bébé est beaucoup trop petit pour son âge. Ça je n'avais pas besoin qu'on me le dise puisque mon ventre est à peine arrondi. Oui, mon ventre plat ne l'était plus vraiment depuis un moment. Je n'y avais juste pas accordé d'importance.
Mais je vais me reprendre en main. Manger du matin au soir s'il le faut. Je vais lui redonner des forces à ce bout de chou.
Quelques heures plus tard, on me conduit au service de gynéco-obstétrique où je vais être retenue en observation pour la nuit.
Tata Virginie fronce les sourcils en me trouvant dans ma chambre ne comprenant pas pourquoi je suis ici. Je ne veux pas lui dire parce que j'estime qu'Ismaïla doit être le premier au courant. Seulement je n'ai pas le choix.
- Comment tu te sens ma chérie ? Ça va mieux ? Je me suis inquiété. Tu aurais dû me laisser t'emmener depuis. Je n'aime pas ça. Que vais-je dire à tes parents ?
- Je me sens beaucoup mieux. En fait, je meurs de faim.
- C'est vrai ? Je vais te trouver quelque chose.
- J'ai peur de manger et de vomir encore.
- Ils t'ont pas donné quelque chose contre ça ?
- Si.
- Bah c'est réglé alors. Je reviens tout de suite.
- Je pourrai avoir un burger s'il te plaît.
- Bien sûr.
Elle revient une vingtaine de minutes plus tard et me trouve en train de caresser mon ventre. Sans aucun commentaire, elle déballe son paquet.
Ça fait des jours que je n'ai pas mangé alors je me jette presque sur le burger. La seule chose que j'aime dans ce pays c'est le McDo. Oui. J'ai des standards très bas mais je m'en fous. J'aime ça c'est tout. Elle m'a pris tout un menu et même un dessert. Je n'en laisse pas une miette.
Tout se passe bien pendant quelques minutes puis je cours à nouveau dans les toilettes, rendant tout le contenu de mon estomac.
- Je pense qu'on en a fait un peu trop, commente tata. Écoute je vais retourner à la maison et te faire un truc léger. Une petite soupe peut-être. Et je reviens avec Ismaïla.
- Non.
Elle m'interroge du regard.
- Je ne veux pas qu'il le découvre comme ça. Je veux lui faire une surprise.
Pourquoi je repousse ainsi ? J'ai tellement l'habitude de me prendre des râteaux que j'appréhende beaucoup sa réaction.
- Je comprends. Félicitations à propos.
- Merci tata.
- Ça va changer votre vie à jamais.
- J'ai peur. D'autant plus que le bébé est un peu faible. Je me suis tellement négligée ces derniers temps. Résultat mon petit cœur en fait les frais. Est-ce que tu peux croire que je suis à presque quatre mois de grossesse là ?
- Quatre ? Ah ouais. On va se rattraper t'inquiètes pas.
Elle me prend dans ses bras avant de s'en aller. Pendant son absence, ma perfusion est renouvelée avec une nouvelle dose d'anti émétique.
J'avais prévenu Nafi que je suis à l'hôpital alors elle est passée me voir à sa descente. Je suis obligée de lui annoncer la nouvelle. Contrairement à moi, elle laisse exploser son excitation. Apparemment « on » est enceinte. Sauf que c'est moi qui vomit alors...
Tata Virginie la retrouve à mes côtés à son retour. Normalement, je dois manger ce qu'ils me servent ici mais tata trouve le moyen de faire passer en douce sa soupe. Soupe que j'arrive à manger sans vomir. Enfin.
Curieusement, je passe une bonne nuit. Je pense que j'étais surtout épuisée.
Les vomissements se sont tassés. Au matin, j'ai pu garder mon petit déjeuner. La déshydratation étant corrigée et les résultats du bilan satisfaisants, je suis libérée vers 12h.
Le gynéco m'a prescritw quelques médicaments et donné rendez-vous pour contrôle trois jours plus tard. Je rentre avec tata Virginie qui est passée me prendre. J'ai bien peur qu'elle finisse par me remplacer en tant que patiente avec tous ces aller-retours.
À la maison, je trouve Ismaïla et son petit chien de salon en train de regarder la télé. Il ne manquerait plus qu'elle emménage avec nous Astou.
Avec un entrain hypocrite, elle me salue :
- Aysha ! On voulait passer te voir mais tata nous a dit que tu sortais aujourd'hui. Du coup, on t'a fait un bon repas pour t'accueillir comme il se doit.
Mais oui.
Je murmure un merci à peine audible et me dirige vers ma chambre. Je suis fatiguée de supporter, fatiguée de prendre sur moi. Ils veulent me manquer de respect ? Soit. Je ne suis pas obligée de rester là à regarder.
À ma grande surprise, Ismaïla me rejoint.
- Hey.
- Hey.
- Comment tu te sens ?
- Ça t'intéresse ?
- Je t'ai connue plus joyeuse.
- Faut croire que j'ai atteint les limites de ma patience.
- Je me suis fait du souci pour toi.
- Vraiment.
- Oui vraiment. Alors comment tu te sens ?
- Mieux, merci.
- C'était quoi le diagnostic ?
- Oh rien de grave t'inquiètes.
- Désolé de pas être passé te voir. Je voulais venir avec tata hier soir, elle m'a dit que tu allais revenir avec elle. Puis qu'on t'avait gardé pour observation. Enfin tu vois le tableau. Je ne sais même pas comment je me suis laissé convaincre maintenant que j'y pense.
- C'est pas grave.
- Ok. T'as besoin de quelque chose ? Je t'apporte à manger ?
- Si c'est ta copine qui l'a fait, non merci.
Il rit. Pour la première fois depuis un siècle.
- T'inquiètes je te fais des œufs.
- Toi ?
- Oui. Dang ma si khepp ? (Tu ne m'en crois pas capable?)
- Je reviens.
L'espace de quelques secondes, je retrouve mon mari. L'homme prévenant que j'ai connu. Je me détends un peu. Il y a peut-être espoir après tout.
Quelques minutes plus tard, Ismaïla revient avec une assiette d'œufs au fromage. Je goûte, perplexe.
- C'est toi qui a fait ça ?
- Un peu ça compte ? J'ai assisté tata.
Je ris.
- Comment on assiste quelqu'un pour des œufs Ismaïl ?
- Bah j'ai regardé. Et je lui ai passé le sel. Et les épices aussi.
- Hum. C'est bon en tout cas.
- Merci.
Il est tout fier de lui comme s'il y avait de quoi. Dieu. Il m'avait manqué. Ce petit moment c'est... je ne l'espérais plus. On partage la même chambre mais on est pire que des inconnus. Soir après soir, on s'endort dans un silence absolu.
Il me ramène un verre d'eau. Je prends mes médicaments et me couche.
Je me réveille après 19h. Bonjour l'insomnie ce soir. Je me lève et prends une douche. Au sortir des toilettes, je trouve Nafi dans ma chambre.
Ça me touche qu'elle soit aussi présente. Et en même temps, ça me gêne de la fatiguer autant. Elle vit carrément à l'opposé de la ville. Ce n'est pas évident pour elle de rentrer du boulot et de faire un tel détour. Une perle.
Elle ne reste pas longtemps, à peine trente minutes. Assez pour m'arracher quelques rires.
Une des journées les plus positives que j'ai eu depuis mon arrivée dans ce pays. Imaginez donc l'enfer qu'a été ce séjour.
Deux jours plus tard, je me sens en bien meilleure forme. Je pense qu'il est temps d'en parler à Ismaïla. J'ai envie de partager ce bonheur avec lui. Peut-être que c'est le déclic qu'il lui faut...
Malgré tout ce qui se passe entre nous, je tiens à une annonce particulière. Même si nous n'avons plus notre complicité d'antan. C'est un moment important. Je ne veux pas juste le lui balancer comme ça au milieu d'une conversation.
Un bébé surprise. Avec tout juste cinq mois pour nous y préparer. Je sais exactement ce qu'il faut faire.
Ismaïl est fan inconditionnel de foot. Quoi de plus approprié qu'un ballon pour lui annoncer sa future paternité. Je regarde sur internet et passe ma commande sur un site. Un ballon gravé à récupérer en magasin dans 24h. Parfait.
Le lendemain, après mon rendez-vous chez le gygy, je vais récupérer mon colis. C'est encore mieux en vrai.
Je prends quelques photos et les montre à Nafi. Elle m'assure que je vais faire sensation.
Je rentre avec le sourire, confiante. Loin de me douter que mon monde allait s'écrouler à nouveau...
En approchant de l'appartement, je vois deux silhouettes entrelacées. Mes yeux le voient. Mon cerveau refuse de l'accepter. Jamais je n'aurais cru voir mon mari embrasser une autre femme.
J'ai mal au cœur. Je ne sais même plus si j'ai un cœur d'ailleurs. Il s'est brisé en mille morceaux.
Une petite voix me demande ce que je pensais qu'ils faisaient depuis tout ce temps quand personne ne regardait. C'est que je n'y avais pas pensé en réalité. Je refusais d'aventurer mes pensées sur ce terrain.
Je reste plantée là, incapable de bouger. Jusqu'à ce qu'ils se séparent. Ismaïla a la décence de reculer lorsqu'il me voit. L'autre, je ne lui jette même pas un regard. Sans un mot, je pénètre dans la maison.
J'ai l'impression de mourir encore et encore. Comment a-t-il pu me faire ça.
Je fonce à notre chambre et jette mes affaires par terre. Je fais nerveusement les cent pas jusqu'à ce qu'Ismaïla me rejoigne.
Il se racle la gorge et me dit :
- Désolé pour euh tout à l'heure.
- Comment peux-tu me faire ça Ismaïla? Embrasser cette idiote ici ? L'embrasser tout court ? Je peux comprendre que tu n'aies aucun souvenir de moi. Mais le fait de savoir qu'on est mariés devrait t'empêcher de te comporter de la sorte. Rien que par respect pour cette alliance que tu as au doigt. Je supporte vos flirts depuis que tu es réveillé. Même si tu ne me connais plus, Ismaïla je suis ta femme et j'ai des sentiments. Je ne peux plus supporter ça. Je t'aime et toi tu ne fais que piétiner cet amour.
Je commence à pleurer sans le faire exprès.
- Sors. Laisse moi seule.
Il ouvre la bouche mais je lui hurle de s'en aller avant même qu'il n'en place une. Il s'en va et je me laisse glisser par terre me vidant de mes larmes.
Avec une grossesse déjà à risque, je ne devrais pas me mettre dans un tel état. Mais que faire quand l'amour de sa vie vous brise jour après jour.
Quand je réussis à me calmer, je m'allonge sur le lit et finit par m'endormir de lassitude.
À mon réveil, je me débarbouille et mange des céréales en guise de déjeuner. Je n'ai pas envie mais ce n'est plus juste moi, j'ai un autre être à nourrir. Ensuite je m'enferme à nouveau, incapable de supporter la vue de mon mari.
À l'heure du dîner, tata Virginie, inquiète, toque à ma porte. Je feins être endormie. Je ne peux pas l'affronter. Pas tout de suite.
Elle entrebâille la porte et m'appelle. Pour la rassurer, je décide de répondre d'une voix pâteuse.
- Aysha ?
- Mmmh ?
- Ça va ?
- Mmmh.
- Tu viens manger ? Le dîner est prêt.
- Je mangerai après.
- T'es pas malade au moins ?
- Non juste fatiguée.
- Okay alors. Je te laisse ton dîner sur la table. Tu n'auras qu'à le réchauffer à ton réveil.
- Merci.
Elle referme doucement la porte et s'en va. Je soupire profondément.
Ismaïla ne vient se coucher que vers 00h. Il essaie de faire le moins de bruit possible mais je ne dors pas. Avec la pénombre, il risque encore de se casser quelque chose. Je n'en ai pas envie mais je m'inquiète toujours pour ce con. En bonne épouse que je suis, j'allume la lampe de chevet. Il clignote des yeux.
- Désolé. Je ne voulais pas te réveiller.
Je ne réponds pas. Au lieu de ça, je me lève et sors de la penderie un sachet en papier. Je prends le contenu et le tends à Ismaïla. Il le prend en hésitant.
- Je les si déjà depuis un moment. Je suis revenue une nuit te les remettre à l'hôpital. Mais je t'ai entendu au téléphone avec Astou... Tu lui disais qu'elle te manquait, que c'était l'enfer sans elle. J'étais blessée alors j'ai rebroussé chemin.
Je ris amèrement.
- Jamais je n'aurais cru qu'elle viendrait pour de vrai. Je veux dire quel genre de personne fait ça ? Aller provoquer la femme de ton ex jusque dans un autre continent. Je pense que ça en dit long sur le type de personne qu'elle est. St si tu ne veux pas le voir...
Je m'arrête sachant que je n'avais pas à dire du mal d'elle pour faire passer mon message.
- Ce que je voulais te dire ce soir là, c'est que ce n'est pas ta mémoire qui compte. Dans un des albums, tu trouveras les souvenirs de notre histoire. Peut-être que ça aidera à te rafraîchir la mémoire. Peut-être pas. Dans tous les cas, je serai là. Si tu ne retrouves pas la mémoire, on pourra toujours remplir le second album. De nouveaux souvenirs. Je t'aime Ismaïla. Et je n'envisage pas une vie sans toi. Alors choisis moi. Choisis moi. Il y a une raison pour laquelle tu m'as épousée et non Astou. Laisse moi te rappeler ce pourquoi nous nous sommes unis. Tu ne m'as pas donné de chance depuis ton réveil. Laisse moi une chance, laisse moi entrer. Choisis moi Ismaïla.
On se regarde pendant quelques secondes. Moi attendant désespérément une approbation de sa part. Lui muet comme une tombe.
Une minute passe. Et toujours rien.
- Bon. Je crois que j'ai ma réponse.
Je rassemble le peu de fierté qu'il me reste et prend la porte.
C'est fou quand même. On est passé de je suis avec elle juste par habitude à je la choisis. Est-ce le karma ? Pourtant je n'ai pas volé Ismaïla à Astou. J'ignorais tout de son existence quand je me suis attachée à lui. Je ne devrais pas avoir à payer parce qu'il l'a quittée pour se mettre avec moi.
Non je dois avoir rêvé. Pourtant la douleur que je ressens me fait savoir que ça s'est bien produit. J'ai tellement mal que j'ai l'impression qu'on me pèle la peau à vif.
Je m'installe sur le canapé et replie mes jambes sur moi-même. Dieu du ciel. Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, comment je vais me débrouiller avec ma grossesse ?
Si je ne lui ai rien dit, c'était pour ne pas influencer son choix. Qu'il reste avec moi parce que c'est ce qu'il veut et non par obligation. Pfff. Il ne mérite même plus de savoir. Il n'a qu'à se la couler douce avec sa patate.
Ma colère monte d'un cran. J'ai beau dire mais c'est moi qu'on a abandonné pas mon bébé. Moi.
Mon téléphone sonne plusieurs fois, je l'ignore, incapable d'être sociable pour l'instant.
Je finis par m'endormir et me réveille à 2h10. Mes muscles sont un peu endoloris à cause de la position.
En regardant mon téléphone, je vois des messages dans 911 et les consulte.
Laetitia est totalement déprimée parce que la famille de son copain Ibou s'oppose à leur union. Parce que Lae est chrétienne. Franchement, je commence à en avoir plus qu'assez que les parents pensent avoir le droit de veto en ce qui concerne les ménages de leurs enfants. Ça devient épuisant à la fin. Quand ça les arrange, leurs désirs priment sur la religion. Car cela est bel et bien permis pour un homme musulman d'épouser une femme chrétienne.
Quatre ans de relation. Quatre longues années d'investissement pour se voir écrasés par des parents.
Je réponds aux messages et elle me demande pourquoi je ne suis pas couchée. Frère, je déprime autant que toi. Je l'appelle pour qu'on se console mutuellement. Lui parler ça me permet de me concentrer sur autre chose que mes propres problèmes.
Laetitia est prête à se battre mais Ibou est un peu réticent. Je lui conseille de lui laisser un peu de temps. Je la rassure comme je peux. Avec des conseils que je suis censée appliquer à ma propre personne. Mais que je ne suivrai pas.
J'envie tellement Nafi en ce moment. Elle qui est célibataire n'a pas tous ces soucis. Bon, je suis sûre qu'elle se sent seule et qu'elle aimerait se marier aussi. Donc je suppose qu'on a toutes nos propres douleurs.
Qui l'aurait cru. Moi, presque divorcée sans emploi ; Laetitia au statut indéterminé mais la seule avec un CDI ; Nafi célibataire en alternance. Pourtant on avait juré que nous serions toutes happily married, mères d'un enfant, avec un boulot stable à cet âge. Dieu, qu'est-ce que c'était beau comme rêve. Au lieu de ça, on est toutes trois dans une situation incertaine.
J'aime croire que nous sommes juste pressées. Mais le timing d'Allah est parfait. De toute façon je n'ai pas d'autre choix que d'y croire. C'est ça ou sombrer dans la folie.

FlammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant