Asgoria

Août 2061

Tous. Ou presque. Cette maladie les a presque tous décimés. Nous ne sommes plus que deux maintenant. Comment cela a-t-il pu arriver? Pourquoi les éléments se sont-ils déchaînés sur nous cette année alors que vingt années de prospérité, vingt années de joie sont passées sans le moindre souci? Je me dois cependant d'éclaircir au mieux mes propos qui doivent vous sembler brouillon, vous qui ne lirez probablement jamais ces lignes au vu de notre situation actuelle.

Depuis la disparition de Fabien, tout le groupe, excepté moi bien entendu, était pris dans le gel terrible de la peur et de l'appréhension. Tous étaient, ou presque, étaient convaincus que nous avions offensé une puissance supérieure en venant sur cette planète, qui a attendu vingt années pour être sûre que notre garde étaient définitivement baissée afin de frapper plusieurs fois, chaque coup étant une atteinte portée à notre moral et notre cohésion de groupe. Je dis bien presque tous, car seule une personne n'y croyait pas, et il s'agit de Pierrick, le seul autre survivant à l'heure actuelle. Coïncidence? Cela me paraît fort peu probable, mais passons. Il y a de cela 3 jours, tous les membres de groupe ne portant plus la flamme de la vie à l'heure actuelle, ont contracté d'étranges symptômes, à savoir une puissante fièvre, et de nombreux délires concernant la température. Tous s'accordaient à dire, au plus profond de leur sommeil tourmenté, qu'il y avait quelque chose de profondément anormal concernant le climat asgorien. Serait-ce lié au fait qu'il avoisine constamment les 25 degrés sans aucun soleil, volcan, ou que sais-je à proximité? Cela est probable, à vrai dire, pour autant que cela semble improbable, je ne me suis jamais posé la question de l'origine de cette température, qui maintenant semble encore plus extraordinaire au vu des estimations théoriques que nous aurions pu faire sans n'avoir posé le pied sur cette planète. Il semblerait presque que toute pensée à ce sujet sorte directement de mes pensées à l'instant même où elle y rentre. Mais je me perds dans mes propos, je n'ai pas à rendre compte d'une énigme paraissant insoluble mais plutôt des faits et gestes de la délégation. Tous sont morts en 3 jours, sans plus de symptômes que ceux repérés précédemment, et il revient à moi et Pierrick le travail de mise en terre et de mémoire de tous nos camarades tombés au champ d'honneur. C'est pourquoi je vais me permettre d'ériger le portrait de mes confrères scientifiques qui m'auront glorieusement épaulé lors de cette passionnante aventure. Personne d'autre, mis à part les parents de Pierrick, n'a accompli la mission qui lui était destiné, ce pourquoi je ne perdrai pas mon précieux temps à rendre hommage à ces êtres qui n'auront servi qu'à épuiser nos précieuses provisions tout en profitant de l'immense honneur qui leur était fait de pouvoir vivre une expérience unique sur une planète inconnue tout en se tournant les pouces en attendant que la mort vienne les prendre à la fin d'une longue, paisible, et extraordinaire vie. Non, ceux-là ne le méritent pas, ils devront se contenter d'avoir vécu sur cette terre sans avoir servi l'intérêt commun, et c'est amplement suffisant. 

Bertrand, notre ornithologue européen, dont la passion pour les formes de vie aviaire n'a d'égal que son goût pour la bonne chère, un bien fidèle compagnon dont la présence me manquera au quotidien, surtout aux heures de repas durant lesquelles il pouvait débattre de longues heures sur l'utilité du pigeon dans nos sociétés où encore l'immense plaisir qu'il aurait à avoir des ailes. 

Radwan, notre botaniste, le sino-arménien juif obèse roux non binaire végan du groupe, sa présence aussi était vitale pour l'esprit de groupe, car non seulement il s'occupait d'une science qui n'a jamais intéressé personne, ce qui nous délestait d'un fardeau certain, mais en plus il a pu remplir en grande majorité les quotas de l'expédition, ce qui est un exploit au vu des normes bien-pensantes absurdes de notre société.

André, notre ingénieur, le constructeur de notre très regretté bathyscaphe, de nationalité andalouse, un grand amateur de magie noire, toujours prêt à discourir sur l'utilité des sciences et de la rigueur qui va de pair, un homme de science comme on devrait en voir plus souvent.

Et pour finir Elena, la mathématicienne du groupe, qui prenait tellement de plaisir à résoudre n'importe quel problème mathématique qu'aucun de nous, elle mise à part, n'a eu à en résoudre. Une compagne fidèle qui m'aura permis d'économiser bien du temps en résolvant globalement tous les problèmes qui voyaient le jour dans mes études.

Tous les membres décédés de la délégation ont été mis en terre hier, une stèle gravée à leur nom surmontant leur dernier lieu de repos, leur existence à jamais gravée dans nos mémoires.

Je n'ai toujours pas dit mon dernier mot, je ne quitterai pas cette planète tant que tout n'aura pas été consigné dans nos carnets d'observations, et je partirai dès demain explorer ces océans que personne, mis à part l'autre incapable, n'aura daigné étudier. Pierrick semble prendre la confiance concernant ces capacités et connaissances scientifiques, il se doit de rester mon élève et moi son maître, et je vais lui prouver que je ne reculerai devant rien au nom de la science, que je suis le scientifique qu'il ne pourra qu'espérer être un jour sans jamais toutefois y arriver. Je me suis donné corps et âme dans cette étude, je ne le laisserai pour rien au monde me faire de l'ombre. 

La science triomphera.

Fin de rapport