Avril 2065

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Souffrance. Mort. Destruction. Voici les maîtres mots qui règnent sur la planète que j'ai du quitter précipitamment il y a seulement deux heures de tout cela. C'est arrivé si vite, aucun de nous ne s'y attendait, et si brutalement, qu'aucun d'entre eux ne pourra s échapper. J'en suis à un point tel que je commence à éprouver de la honte de pouvoir survivre à mes hôtes, eux qui m'ont hébergé durant ces trois années, qui m'ont instruit, considéré comme l'un des leurs, pour au final me retrouver à les abandonner lâchement au seul moment où ils se sont retrouvés dans le besoin lorsque j'étais à leurs côtés. Mais laissez-moi vous résumer ce qui a bien pu arriver de si terrible, pour que je me retrouve une nouvelle fois exilé, seul, laissant la sombre et indélébile marque de la mort dans mon sillage.

Tout a commencé il y a deux jours de cela. La vie suivait son cours tranquille, tout le monde vaquait à ses occupations sans se douter de rien. Seulement, en plein milieu de l'après-midi, une immense tache noire a commencé à se former dans le ciel et à se rapprocher en vrombissant, tel un immense scarabée venu se poser sur la planète. Nul ne comprenait ce qui se passait, et nul ne connaissait  l'origine de ce qui se trouvait être un vaisseau spatial, de dimensions telles que le vaisseau Parangon passe pour un jouet de nouveau-né en comparaison, qui en est venu à se poser sur la planète, après un silence tel que je n'avais jamais imaginé une telle absence de bruit possible. On aurait dit que la planète elle-même retenait son souffle en prévision de ce qui allait arriver.

La porte du vaisseau s'ouvrit, et tous comprirent ce qui allait s'ensuivre. Ils étaient deux, l'un couleur de sang, l'autre couleur d'océan, leur immense corps se déplaçant pesamment hors du vaisseau pour se mouvoir ensuite sur la terre ferme. Bien que nul être vivant de cette partie là de la galaxie n'en avait aperçu depuis des siècles, nous comprîmes aisément que nous avions affaire à des Gzors. Non seulement leur espèce ne s'était pas éteinte, non seulement ils n'avaient pas renoncé à leur conquête de cette partie de la galaxie, mais ils revenaient poser le pied sur cette planète, et cela ne présageait absolument rien de bon. Étaient-ils revenus achever ce qu'ils avaient laissé en plan, il y a plusieurs siècles de cela ? Étaient-ils revenus afin de réduire une nouvelle fois la population locale en esclavage ? Toujours est-il qu'à mon plus grand malheur, je me trouvais à ce moment là aux premières loges, et ils ne prirent pas plus qu'une poignée de secondes pour me repérer, et le discours bref, concis et terrifiant qu'ils tinrent alors restera jusqu'à ma mort, et même peut-être après, dans ma mémoire:
"Habitants de cette miserable planète, l'heure est venue de nous prouver que vous tenez à votre existence, plus en tout cas que ces misérables loques qui vous servent d'ancêtres. Nous avons décidé, il y a plusieurs siècles de cela, de ne pas annihiler votre misérable espèce, car nous ne pouvions faire grâce de la délivrance ultime à des êtres qui ne le méritent pas. Nous avions donc dans l'optique de vous laisser vivre, après vous avoir infligé un traumatisme tel que, pour notre retour, nous puissions faire face à un véritable ennemi qui aura la force nécessaire pour offrir un combat digne des guerriers que nous sommes. Ce jour est arrivé, et celui de l'affrontement le sera une fois un cycle lumineux entier passé. Nous vous laissons vous préparer au mieux à cette guerre, de manière à pouvoir nous délecter encore plus de vos morts en sachant que vous vous serez battus au maximum de votre puissance.
De plus, j'ai bien aperçu qu'un membre d'une espèce étrangère à la vôtre est présent au milieu de nous aujourd'hui. Je veux qu il sache que nous savons de quelle planète il est issu, et que cette dernière est notre prochaine proie. Nous voulons qu'il quitte cette planète en vie afin qu'il soit le héraut de l'apocalypse pour ses semblables, et qu'il tombe en sachant que si l'humanité n'a pas résisté face à notre assaut, c'est parce qu'il n'aura pas rempli son rôle suffisamment efficacement.
Sur ceux, nous vous laissons à vos préparatifs, tout en espérant que ceux que nous allons combattre le lendemain seront de dignes adversaires, car si jamais vous réussissez l'exploit de nous décevoir une seconde fois, que ce soit en n'étant pas à la hauteur de la bataille, ou en tentant lâchement de fuir avant le début des réelles hostilités, vous pourrez alors expérimenter un sort bien pire que la mort."

Ceci étant dit, ils reprirent place à bord du mastodonte qui leur servait de vaisseau, et repartirent vers les cieux, qui contenaient la plus puissante armada que l'espace n'ait jamais connu. Tous restèrent tétanisés de longues minutes durant, baignant dans le même silence irréel ayant précédé l'arrivée de ces terribles envoyés. Une fois le sort dissipé, je me ruais dans mes appartements de manière à rassembler tous mes documents et effets personnels, afin de pouvoir, comme les Gzors l'ont prévu, quitter cette Terre dans l'idée de prévenir les miens de la menace imminente d'annihilation de notre espèce. Je partis donc le lendemain, une heure seulement avant la date butoire, le cœur lourd du chagrin qui, une fois de plus, revient s'installer au plus profond de mon être. Une fois de plus j'étais le témoin de l'extinction totale des êtres qui me sont proches et, une fois de plus, je serai le seul survivant.

À l'heure où j'écris ces lignes, je peux apercevoir de l'arrière de mon vaisseau les bombardements d'énergie dont Matricia est l'objet, et je peux même entendre les cris d'agonie de mes camarades résonner dans les tréfonds de mes pensées. Si jamais une justice avait un jour existé en ce monde, ce jour est le jour officiel de sa mise en terre. De nouveaux innocents ont été sacrifiés sur l'autel de la violence et de la destruction, et c'est bien plus que je ne puis supporter.

J'ai donc entrepris la dernière phase de mon voyage de retour, avec pour objectif d'annoncer la fin des temps aux personnes que je n'ai jamais rencontré mais dont le destin repose sur mes épaules, ployant encore un peu plus sous le poids titanesque de mes responsabilités, tel un l'Atlas cosmique, à ceci près que je ne suis pas né titan, et que jamais je n'ai tenté de faire disparaître l'Humanité, au contraire je me serai battu toute ma vie durant pour la préserver, tout cela pour me retrouver non pas avec le poids du ciel sur mes épaules, mais celui de trois planètes remplies de mort et de destruction.

AsgoriaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant