Novembre 2065

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Une semaine est passée depuis la dernière tragédie. Je suis ainsi confiné dans la salle de contrôle, avec des réserves d'oxygène dont le volume tend à se rapprocher de mes espoirs d'être un jour secouru. Combien de temps vais-je encore tenir? D'après mes calculs, trois semaines supplémentaires seront nécessaires pour mettre un terme à ma lente et terrible agonie. Pourquoi est-ce que je ne mets pas fin directement à mes jours, de manière à abréger le supplice? Je ne peux tout simplement pas, moralement parlant, décider d'abréger mes souffrances par simple commodité alors que j'ai abrégé le bonheur de bien des êtres de par ma seule présence. Cela reviendrait à venir piétiner les tombes que j'ai moi-même creusé, et cela je refuse de le faire. Pourquoi continuer à écrire dans ce cahier, si il ne sera très probablement jamais lu un jour? Qu'est-ce que je pourrais bien donc faire d'autre? Fixer constamment avec un regard vide l'indicateur des réserves d'oxygène baisser lentement, se rapprocher du point décisif qui scellera mon destin? Regarder par les hublots et ainsi admirer le reflet de mon âme, c'est-à-dire un vide sans fin, ponctué ça et là de points lumineux, espoirs innateignables? Les seuls outils restant à ma disposition sont les seuls à ne m'avoir jamais fait défaut au cours de ma vie: l'écriture ainsi que la réflexion.

Pourquoi un peuple tel que celui des Gzors mérite-t-il de profiter de la vie? Pourquoi la vie tolère-t-elle le massacre d'une civilisation basée sur l'harmonie et le respect? Pourquoi la société humaine, bien plus imparfaite que le défunt peuple Bob, a-t-elle eu le droit de survivre plus longtemps? La seule réponse qui me vient à l'esprit est la suivante: la vie est violence. En effet, la bienveillance est considérée comme faiblesse par la vie elle-même, car un peuple bienveillant ne pourra jamais continuer à vivre si un peuple violent l'agresse: il ne fera que perdre la vie, car cette dernière ne peut tolérer être mise au service de la bienveillance. Elle est l'esclave de la violence, et s'inclinera à tout jamais devant cette dernière. Ainsi, la paix dans le monde, la sauvegarde de l'espèce humaine, tout cela ne peut être réalisé sans avoir recours à la violence car rien de durable ne peut être bâti sans cette dernière. La vie et la nature sont intrinsèquement liées, et ne dit-on pas que la loi de la nature, c'est la grosse bête qui mange la petite? Pourquoi nous faire don de la vie, si c'est pour l'enlever aux autres pour survivre. A quoi bon vivre, lorsque notre vie est ainsi vide, vide de sens, vide de considération de la vie? Ainsi, la mort ne peut être considérée que comme une délivrance, et la vie ne dure longtemps que pour pouvoir savourer ce cadeau une fois reçu.

Puissent ces dernières semaines passer le plus rapidement possible, afin que je puisse enfin recevoir le don que j'ai pu si souvent octroyer aux autres.


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