La nuit a été très courte. J’ai dû rattraper mon retard sur les commandes et sur la création de certains modèles. Justin m’a tenu compagnie une bonne partie de la nuit, mais est parti se coucher au bout d’un moment. Mon travail m’aide à oublier, à penser à autre chose. À peine levé, je continue mes créations et termine avant midi tout mon retard. Une tasse de chocolat chaud à la main, je regarde mon téléphone portable, ne l’ayant pas touché depuis l’appel de Justin hier. J’ai préféré me centrer sur le travail sans être déconcentrer. Comme chaque jour, j’ai un message de Justin.
Il faut que je te dise quelque chose.
Quand il me dit ça, j’ai toujours peur pour lui. Peur qu’il se soit passé quelque chose de grave ou peur qu’il m’annonce une maladie qu’il m’a caché. Je suis peut-être parano à toujours penser au pire mais je n’arrive pas à me résonner. Le cœur battant, les mains légèrement tremblantes, je lui demande ce qu’il se passe. J’imagine tout un tas de choses, tout se bouscule dans ma tête. Sa réponse arrive rapidement.
Je ne te l’ai jamais dit par honte, ou simplement parce que je n’étais pas prêt. Mais maintenant je le suis. Je n’ai pas envie de te cacher quelque chose de mon passé et j’ai ce besoin de t’en parler. Je veux que tu saches que mon enfance n’a pas été facile. À l’école, j’étais seul. Sans ami. Comme maintenant d’ailleurs. J’étais toujours dans mon coin, à lire, à écouter de la musique, à écrire. Je m’occupais. Je ne faisais attention à personne, je n’embêtais pas mes camarades. J’essayais d’être le plus transparent possible. Mais les élèves ne sont pas toujours aussi gentils. Ils sont remplis de méchancetés et une bande d’amis n’a pas cessé de me harceler. Insultes, coups. Je ne savais pas me défendre à cette époque là. Je me laissais faire parce que j’avais peur. Ils étaient plus nombreux que moi, plus forts. Je n’avais personne avec moi. Personne pour me défendre, pour m’aider à arrêter ce cauchemar. Ça a duré tout le collège et une bonne partie du lycée. Cette histoire m’a énormément affectée. J’étais presque en dépression à cause d’eux mais j’essayais de prendre sur moi, d’aller bien, de me dire qu’il y avait pire. Et en première année de lycée, j’en ai eu marre. J’ai commencé à faire de la musculation pour pouvoir me défendre correctement face à cette bande. J’ai voulu changer de lycée mais ma mère n’a jamais voulu. Elle n’était au courant de rien et je pense qu’elle n’aurait de toute façon rien fait pour m’aider. Et en un an, j’ai réussi à avoir une silhouette plutôt avantageuse et la musculation m’a permis de prendre un peu plus confiance en moi. Après ça, l’année qui a suivi, donc ma deuxième année, cette bande d’amis a continué de me harceler, mais j’ai réussi à me défendre et étant plus fort qu’eux physiquement, ils ont fini par me laisser tranquille. Honnêtement, je ne sais pas comment j’ai pu faire pour tenir le coup autant de temps parce que ce n’était pas supportable. Mais je suis fier d’avoir réussi à m’en sortir. De n’avoir rien tenté pour en finir parce que j’ai pu te rencontrer et chaque jour, je remercie ma bonne étoile de m’avoir aidé à tenir le coup. Je n’en avais jamais parlé avant et te l’avoir dit me fait un bien fou. J’ai comme un poids en moins.
Je n’ai pas pu me retenir. Les larmes coulent le long de mes joues. Son histoire m’a touché et même si il a sûrement dû simplifier les choses, j’ai pu ressentir son malheur. Personne ne mérite de vivre ça. Les adolescents peuvent être d’une cruauté sans fin, à toujours vouloir faire du mal aux autres sans raison, juste pour rigoler entre copains, simplement pour montrer leur force face aux plus faibles. C’est ignoble d’être ainsi, d’agir de la sorte alors que des mots, des menaces, des coups peuvent détruire toute une vie. Ce n’est pas de la faute aux victimes si elles ne se défendent pas, elles ont peur, elles sont seules. Les harceleurs devraient avoir honte et je me demande même comment ils font pour se regarder encore dans un miroir sans éprouver le moindre remords, sans ressentir aucun dégoût pour soi. Justin ne méritait pas de connaître autant de malheur. C’est un homme tellement gentil, tellement attentionné et si doux. Ce n’est pas quelqu’un de méchant, il déteste même la violence.
Justin, je suis tellement désolée de ce qu’il t’est arrivé. Tu ne mérites pas ça. Tu es tellement quelqu’un de formidable que je ne comprends pas comment il est possible d’avoir été aussi détestable avec toi. Je n’ai pas de mots. C’est tellement horrible ce que certaines personnes sont capables de faire sur de pauvres innocents. Je ne laisserai plus personne te faire du mal comme elles ont pu le faire auparavant.
Si je le pouvais, j’effacerai le passé de Justin afin de lui faire oublier tout ce malheur. Je ne sais pas quoi dire d’autres faces au harcèlement. C’est tellement abject, inhumain. Ce genre de personnes doivent se sentir réellement mal dans leur peau pour attaquer leur camarade comme ça, sans raison. J’ai beau essayé de me mettre à leur place, d’essayer de comprendre par tous les moyens possibles, je n’arrive toujours pas à saisir pourquoi ils agissent comme ça et au fond, je pense que personne n’est capable de décoder leur comportement. Savoir qu’il va mieux, qu’il a réussi à s’en sortir est un réel soulagement.
Ensemble, nous serons plus fort.
Nous discutons pendant quelques temps par message. Justin travaille toujours sur son livre mais il a dû mal. Il bloque, me dit-il. Il doute sans cesse de lui alors qu’il ne devrait pas. Je lui montre en photo mes nouvelles créations. Des tenues de soirée originales mais surtout uniques. C’est un nouveau défi. Chacune de ses dix nouvelles tenues sont limitées à un seul exemplaire. Une collection faite pour les personnes qui ne veulent pas ressembler à tout le monde, qui veulent être sûre que leurs camarades n’auront pas la même tenue. Justin est ravi de mes vêtements et les clients de mon site le sont aussi.
Les heures passent à une vitesse folle. Justin me parle toujours. Il n’y a pas un jour où je ne lui envoie pas de messages. C’est presque addictif mais j’ai pris cette habitude. Il y a toujours un sujet de conversation à aborder. Le boulot, les passe-temps, nos promenades, nos sorties, les actualités, les choses inutiles mais qui peuvent nous faire rire, nos rêves.
J’ai quelque chose à te demander.
Je ne sais pas pourquoi, mais je sens mon cœur battre un peu plus rapidement que la normale, comme si je ressentais ce qu’il allait me dire alors que je n’en ai aucune idée. Je m’inquiète pour un rien.
J’aimerais te voir. On n’habite pas très loin de l’autre, c’est tout à fait possible de se rencontrer. D’autant plus que l’on se connaît depuis quelques temps maintenant. On pourrait se rejoindre à un endroit avec plein de personnes, comme dans un parc, qu’est-ce que tu en penses ?
Cette fois-ci, mes mains tremblent et deviennent moites. Je suis quelqu’un d’extrêmement timide, n’ayant pas toujours le courage de parler aux autres en face, de peur de paraître ridicule ou de ne pas savoir quoi dire. Justin est peut-être différent mais si face à face, notre relation n’est plus la même ? Et si, en réalité, Justin n’était pas celui que je croyais mais un véritable psychopathe qui kidnappe les jeunes femmes ? Peut-être qu’il n’est pas celui que je crois. Peut-être que derrière son écran, il s’amuse à me parler, à rire de moi. Je suis stupide de penser toujours au pire, de toujours penser que la vie me joue des tours, mais le monde dans lequel je vis est sinistre, bourré de personnes malsaines et il faut toujours se méfier de ce que je croise. Cependant, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer ma rencontre avec Justin. Cela fait plusieurs mois que nous discutons tous les deux, impossible pour lui de me mentir autant, je l’aurais démasqué sinon. Une petite voix me dit de suivre mes envies, de ne pas écouter mes peurs, de foncer, d’aller de l’avant, d’arrêter de douter parce que chaque personne n’est pas manipulatrice comme Tara, parce que chaque personne n’est pas monstrueuse comme cet homme pervers. Je connais Justin. C’est un homme bien, ce n’est pas un garçon méchant, ce n’est pas non plus le garçon jouant de moi que j’ai pu supposer auparavant. Je vais le rencontrer. Je vais briser cette barrière, je vais transformer cette rencontre virtuelle en réalité.
Oui, avec plaisir.
Je ne reviens pas que j’ai pu écrire ça. Comme à mon habitude, j’aimerais revenir en arrière mais ça serait impolie de ma part. Je ne vais pas faire machine arrière, même si ma petite voix me joue des tours. Dans un parc, il y a des passants et grâce au monde qu’il y aura autour de nous, je ne risque rien. Si il m’arrive quoi que ce soit, je n’aurais qu’à crier.
Demain, à 10h, je verrais Justin pour la première fois au parc de Chiché, ma ville.
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L'archer.
AdventureQue se passe-t-il quand on croise la route du serial killer le plus recherché du monde ? Serena va très vite le découvrir.