Chapitre 11.

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- Ce n’est rien, me sourit cet homme afin de me rassurer.

Il commence à partir. Je sais que je ne dois pas le laisser filer. C’est maintenant qu’il faut engager la conversation. Si je ne fais rien, je ne pourrais plus le faire. À trop être derrière lui, il va se poser des questions. Il faut être subtile.
- Attendez, dis-je en panique.
- Oui ? Fronce-t-il les yeux en se retournant.
- Alors voilà, commencé-je, je n’ai pas pour habitude d’être ainsi mais je suis arrivée depuis peu ici, je ne connais pas vraiment cet endroit ni personne d’ailleurs et vu que vous devez avoir plus ou moins le même âge que moi, je me dis que vous pouvez me faire visiter la ville.

Il me regarde surpris. Il a l’air d’être en train de me détailler, de rester sur ses gardes. Je ne dois pas être la première à venir lui parler, il se méfie forcément. Il ne doit pas douter de moi. Je dois rebondir rapidement avant qu’il s’enfuie. Il ne pense à rien. C’est le vide dans sa tête. Impossible de savoir ce qu’il est en train de se dire.
- Non en fait, je dois aller faire des courses au centre ville, lui avoué-je, et je n’ai pas le courage d’y aller seule.
- Pourquoi ? Vous êtes fatiguée à ce point ?
- Non. Je ne me sens pas en sécurité en ce moment. En réalité, je me suis fait agressée il n’y a pas si longtemps que ça et depuis, j’ai peur de faire quelque chose seule. Peur que ça recommence.

Je lui ai à moitié menti. J’ai été agressé à cause de Justin mais je n’ai pas peur de faire quelque chose seule, surtout depuis mon pouvoir qui m’aide a anticipé beaucoup de choses. L’homme ne parle pas, c’est comme si il se posait des questions, comme si il réfléchissait. Je ne suis peut-être pas crédible, mon histoire ne tient peut-être pas la route. Après tout, il est vrai que si un inconnu vient me voir en disant ça, je trouverai ça louche. Je ne voudrais même pas l’aider ou l’accompagner. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris de lui dire ça, la peur qu’il m’échappe, la peur qu’il part.
- C’est la femme qui a reçu un attouchement sexuel.

Surprise, j’essaie de ne rien laisser paraître face à ses pensées. Comment peut-il être au courant de mon agression ? C’est insensé, il ne devrait pas savoir ce qu’il m’est arrivé. Il devrait ignorer ce passage de ma vie, comme tout le monde. Je n’en ai parlé à personne, hormis Justin et je suis sûre qu’il ne connaissait pas cet homme. Je suis dans l’incompréhension total.
- Très bien, je vais vous accompagner, finit-il par me dire.

Sa voix me fait sortir de mes pensées. Je lui souris simplement et nous marchons tranquillement l’un à côté de l’autre. Cette situation est particulière. Je me sens mal à l’aise mais fais au mieux pour ne pas qu’il se questionne sur mon sujet. J’essaie d’être la plus normale possible.
- Vous n’avez pas l’air d’être très à l’aise, me dit-il.
- J’ai toujours peur dans la rue.
- Votre agression.
- C’est ça. C’est assez récent alors je panique à chaque bruit, à chaque pas que je fais.
- Ça vous arrive souvent de demander aux inconnus de vous accompagner ?
- Pas du tout, mais j’ai eu envie cette fois-ci de me sentir en sécurité. Ce monde est rempli d’injustice, de méchanceté. J’aimerais pouvoir me promener sans craindre qu’une personne me plaque contre un mur, qu’un homme me frappe ou qu’une femme m’insulte. J’ai envie de vivre dans un monde où la peur ne fait plus partie de mon vocabulaire.
- Je vous comprends. Je suis comme vous. L’injustice, la méchanceté, toutes ses choses sont cruelles. Toutes ses choses ne devraient pas exister. J’attends un matin où je me réveillerai et qu’à la télévision, j’entendrais enfin que les criminels soient tous arrêtés, qu’il n’y ait plus aucun violeurs, aucune peur dans les yeux des citoyens. J’attends ce monde avec impatience.

Son discours me touche parce que c’est réellement ce que je pense. Je voudrais un monde sans cruauté, sans violence. Un monde où la joie et la paix seront enfin présentes. Mais ses paroles sonnent tellement faux de la part d’un criminel qui tue de sang froid des innocents. Je suis dégoûtée devant tant d’hypocrisie mais je dois passer au dessus de ça, lui faisant croire de n’être au courant de rien. Ce n’est pas une tâche facile, j’essaie de jouer un double rôle du mieux que je le peux.
- C’est exactement ça, répondis-je sans trop perdre de temps.
- Je m’appelle Thomas et vous ?

Je le regarde. Il n’a pas l’air de mentir. Il ne pense pas à ça. Il pense à rien en particulier mais j’imagine qu’il m’a dit la vérité.
- Séréna, souris-je timidement. On peut peut-être se tutoyer, nous avons pratiquement le même âge.
- C’est vrai. Alors tu as emménagé dans ce quartier depuis peu.
- Oui. Enfin, je n’habite pas dans ce quartier, j’habite un peu plus loin dans un immeuble. Je me suis juste perdue.

Je ne voulais pas lui dévoiler où je vis actuellement et je ne pouvais pas lui dire que la maison se trouve dans sa rue n’est pas la mienne. Si il me raccompagne, je ne pourrais pas lui mentir indéfiniment. Il faut être le plus proche de la réalité si je ne veux pas être trahi.
- Pourquoi me parle-t-elle ? Pense Thomas. Elle est spéciale. Elle ne doit pas se douter de qui je suis. Je ne peux pas rester avec elle. C’est trop dangereux mais d’un autre côté, je ne dois pas être isolé si je ne veux pas attirer l’attention sur moi. Personne a l’air de savoir qu’elle a été agressé et personne ne sait ce que j’ai fait. Il n’y a aucune raison pour que je sois soupçonnée. Je dois malgré tout me méfier, même si avoir un petit peu de vie sociale n’est pas de refus.

Les pensées de Thomas me font cogiter. Il doute de moi et il a raison. D’autant plus qu’il est au courant de l’agression dont j’ai été victime. Il doit se poser des questions sur mon sujet. Pourtant, il dit qu’il a besoin d’avoir une vie sociale pour ne pas être seul. Il s’imagine sûrement qu’en étant seul, les gens le remarqueront plus facilement qu’en étant accompagné. Bien que je ne cautionne pas ses actes, cela ne doit pas être facile d’être coincé entre une vie sociale qu’il doit confectionner tranquillement sans pour autant être l’homme populaire que chaque personne veut dans sa vie et entre les personnes qui lui parlent. Il doit sans cesse douter, faire semblant. Je me demande comment il fait pour avoir autant de personnalité en lui. Sans cesse à devoir jongler entre sa véritable personne et entre toutes ses personnes qu’il invente. C’est écœurant de se comporter ainsi. Ses soi-disant amis doivent l’apprécier, doivent aimer passer du temps avec lui alors qu’il joue simplement un rôle. Un rôle pour être un homme comme les autres. Un rôle pour tuer sans soupçon. Un rôle pour être un meurtrier caché. Il essaie du mieux qu’il peut d’avoir une vie normale, comme tous les garçons de son âge. Je suis impressionnée par l’intelligence qu’il a. Ça ne m’étonne pas qu’il soit toujours en liberté, il pense à absolument tout. Je suis sûre qu’il est capable de ne pas assassiner quelqu’un pendant plusieurs jours si c’est pour l’innocenté. Il doit tout calculer. Le tueur est un archer, je suis pratiquement sûre qu’il ne s’est pas inscrit dans un club pour éloigner les moindres doutes. Tout comme son arc. Il l’a sûrement fabriqué ou a trouvé une autre solution pour que son nom n’apparaisse sur aucune facture afin qu’aucun policier découvre son stratagème. Je suis persuadée que le téléphone qu’il s’est servi pour harceler Justin ou son frère était un vieux portable, détruit à présent avec une carte mobile prépayée.
- On est arrivé, me dit-il en me sortant de mes pensées.
- Déjà, je n’ai pas vu le temps passé, répondis-je en voyant le magasin. Si tu as des choses à faire, tu peux y aller, je ne voudrais pas te retenir.
- Ça ne me dérange pas, je peux te raccompagner après.

Je souris. Il est vrai que j’aurais préféré qu’il s’en aille. Rester longtemps avec lui, c’est au dessus de mes forces. Je ne sais pas comment il fait pour mentir sans cesse. Ce n’est pas de mon habitude, il doit forcément le ressentir. Nous entrons dans le magasin. Je n’ai aucune course à faire mais prends deux, trois aliments afin de ne pas éveiller en lui quelques craintes. Nous sortons du supermarché assez rapidement. Thomas a décidé de porter mes courses.
- Je peux porter si tu veux, déclaré-je en essayant de prendre le sac.
- Non, sourit-il, ne t’inquiète pas. Ce n’est pas lourd.
- C’est gentil, merci. Sinon, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Tu es encore en études ou tu as un travail ?
- Je teste des jeux vidéos, commence-t-il, dis comme ça, j’ai l’impression que les gens me prennent pour un faignant qui ne fait pas grand-chose de ses journées mais en réalité, c’est plus compliqué que cela peut paraître. Je dois jouer au jeu et donner un avis le plus détaillé possible sur le scénario de l’histoire si il y en a un, sur l’aspect physique, si c’est difficile ou pas assez, sur les détails à modifier.

Thomas n’a pas l’air de mentir. Je ressens en lui presque de la légèreté dans ses paroles. Il a l’air d’apprécier ce qu’il fait. J’ai l’impression qu’il est passionné par son métier. C’est presque incompréhensible. Comment un homme aimant son métier, ayant je suppose une vie tranquille peut être un criminel ?
- Et toi, qu’est-ce que tu fais ? Me demande-t-il à son tour.
- J’ai créé ma boutique en ligne. Je crée des vêtements à quantité plutôt limité afin que mes clients soient uniques. Et c’est passionnant. Imaginer des tenues, les confectionner. Je travaille depuis chez moi et honnêtement, je ne me vois pas faire autre chose.
- C’est génial quand on fait quelque chose de passionnant. On a l’impression de ne jamais travailler.
- C’est exactement ça. Je me réveille le matin sans avoir peur de mal faire mon travail, sans soupirer de croiser des collègues que je n’aime pas. C’est comme si j’étais toujours une adolescente de 14 ans qui crée des vêtements dans sa chambre et qui rêve d’être styliste.
- Tu as l’air d’aimer réellement ce que tu fais, c’est beau à voir. Tu me guides pour la route, je ne sais pas où tu habites.
- Euh, c’est par là, hésité-je en désignant la rue juste en face.

Je lui ai indiqué une route au hasard. Ce n’est absolument pas le chemin de mon immeuble mais je suis obligée de lui mentir. Je n’ai pas envie qu’il sache où j’habite. Il reste un être ignoble, je ne dois prendre aucun risque même si c’est un excellent acteur. Il joue parfaitement la comédie et n’importe qui pourrait le croire. En revanche, il ne pense pas énormément. C’est comme si il en faisait exprès. Je doute qu’il est au courant de mon pouvoir, j’ai plus l’impression qu’il ne pense à rien, hormis notre conversation, pour rester concentrer sur ce qu’il fait mais surtout sur ce qu’il dit. Impossible pour moi de savoir ce qu’il pense de moi, de la situation ou si il doute de quelque chose. J’espère qu’il va me parler du tueur en série, j’aimerais voir sa réaction, son ressenti. Je regarde plusieurs fois derrière moi, aucun passant. Je suis seule avec lui, ce qui ne me rassure pas. J’aurais préféré que cette rue soit bondée.
- Quelque chose ne va pas ? Tu as l’air bizarre, me demande Thomas.
- Hein ? Quoi ? Bégayé-je.
- Tu n’arrêtes pas de te retourner, est-ce que ça va ?
- Il n’y a quelque chose que je ne t’ai pas dit.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- C’est assez délicat, hésité-je.
- Je t’écoute, me dit-il d’un air rassurant.
- Depuis quelques jours, pratiquement deux semaines, je me sens observée.
- Observer ? Répète le jeune homme.
- Oui. J’ai l’impression d’être suivi. La nuit dernière, je marchais tranquillement. Je rentrais de la poste et en me retournant, j’ai vu une silhouette derrière moi. Depuis mon agression, je suis assez parano alors j’ai décidé de faire un grand détour pour voir si cette personne me suivait ou si ce n’était que le fruit de mon imagination. Et après plusieurs minutes, j’ai compris que j’étais suivie.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ? Tu ne t’es pas fait à  nouveau agresser ? Me questionne-t-il légèrement inquiet.
- Non, heureusement que non. J’ai simplement couru le plus vite possible pour rentrer chez moi. J’avais tellement peur. C’est à cause de ce genre de mésaventures que je ne cesse d’avoir peur. Même pour aller faire de simples choses, je n’ose plus sortir.
- Je comprends ta peur, m’avoue-t-il. Personne ne devrait ressentir de telles frayeurs. Je ne comprends pas pourquoi il existe des personnes comme ça. Nous devrions tous vivre dans un monde sans peur. Tu as pu voir à quoi il ressemblait, tu as porté plainte ?
- Non. Je ne peux même pas te dire si c’est un homme ou une femme. Je pense que les policiers ont autre chose à faire que de s’occuper d’une personne qui m’a suivi, surtout qu’elle ne m’a rien fait.

Il semble contrarier de la situation.
- Les policiers ne sont jamais là de toute manière, pense Thomas.

Je suis à moitié de son avis. Les policiers sont là pour certaines choses comme des excès de vitesses, arrêter des voleurs mais pour arrêter le plus grand tueur en série, ils ne sont plus là. Comme si ils n’avaient pas l’intelligence qu’il faut pour comprendre cette enquête. Ils sont là une fois sur deux mais je ne peux pas leur en vouloir. Leur métier est dangereux. Ils ont toujours quelque chose à faire, toujours occupé. Ce n’est jamais évident de terminer les recherches qu’ils font, d’arrêter le criminel, de mettre fin à des semaines de travail. Je fais comme si je ne l’avais pas entendu afin qu’il ne remarque rien.
-  C’est peut-être quelqu’un que tu connais, me dit-il.
- Je ne vois pas qui cela peut être. J’ai retourné de toutes les manières possibles, je ne vois pas qui pourrait me suivre.
- Tu es sûre que quelqu’un te suit ? C’était peut-être une coïncidence.
- En rentrant chez moi la nuit dernière, j’y ai pensé. Je croyais que je rêvais mais ça a recommencé ce matin, c’est d’ailleurs pour ça que je me suis perdue.
- Tu viens d’arriver, personne ne te connaît, commence-t-il à douter.

Je sens qu’il ne me croit pas. Je sens que mon mensonge se retourne contre moi. Je dois à tout prix trouver quelque chose. Il ne doit pas se méfier sinon mon plan tombe à l’eau. Essayant de ne pas paniquer, je réfléchis très rapidement à une solution. Le silence ne doit pas s’installer.
- Je ne pense pas que je connais cette personne, commencé-je, puisque je ne connais effectivement personne ici mais je me dis que certaines personnes n’ont pas besoin de connaître quelqu’un pour la suivre. Des milliers de personnes se font agresser sans raison, juste parce que des psychopathes, des malades mentaux se croient tout permis au point d’aller au-delà d’un « non ». C’est triste mais je ne me sens plus en sécurité nul part. J’ai l’impression que dans n’importe quelle ville, il y a un danger. C’est affolant parce qu’un jour, plus personne ne voudra sortir de chez lui. Ou ne plus vouloir sortir seul comme moi actuellement. Il devrait y avoir un site où des personnes se donnent une date et un lieu pour se rassembler et aller à un endroit ensemble pour ne plus être seul.
- C’est une bonne idée.
- Je dis ça comme ça mais savoir que je ne peux plus être dans les rues tranquilles, ça me fait peur.
- Tu n’as pas eu peur pourtant en m’adressant la parole.
- C’est vrai, mais tu n’as pas l’air méchant.
- Je te confirme, je ne suis pas méchant, me sourit Thomas. Ne t’inquiète pas, je suis sûre qu’un jour, la paix régnera.
- Tu crois ça ?
- Oui. Un jour, il y aura justice.
- J’espère que tu as raison.

Nous continuons de marcher. Je ne sais même pas où je vais, je suis probablement perdue mais Thomas n’a pas l’air de remarquer quelque chose. Il ne pense toujours à rien. J’ai réellement l’impression qu’il fait en sorte de se concentrer sur le moment présent. Cette situation me fait peur. Encore plus quand je pense à l’homme en question. Il semble si innocent alors qu’il est coupable. C’est affolant. Il n’a pas évoqué une seule fois le tueur en série. Il n’a pas eu l’air de paniquer, au contraire, il avait l’air de contrôler parfaitement la situation.
Nous arrivons devant un immeuble qui n’est pas le mien. La bâtisse est ancienne, le quartier n’est pas le plus agréable à regarder mais j’imagine qu’il y a pire.
- C’est mon immeuble, lui menti-je.

Thomas regarde attentivement le bâtiment devant lui. Il n’a pas l’air surpris. Il est sans expression à vrai dire, difficile de savoir ce qu’il pense quand il ne dit rien, quand il n’éprouve aucun sentiment.
- Merci pour ton aide, c’était vraiment gentil de ta part, dis-je en prenant mon sac de course.
- Je t’en prie, avec plaisir.

J’avance tout doucement vers la porte. N’ayant aucune clé, je ne peux pas rentrer. Si Thomas ne me voit pas rentrer, il va forcément se douter de quelque chose. Je me retourne discrètement et il me regarde, comme si il voulait être sûr que cet immeuble est bien le mien. Il est maintenant beaucoup trop loin pour que je devine ses moindres pensées. Impossible de savoir quoi que ce soit. Je fais mine de chercher les clés et du coin de l’œil, je remarque qu’il ne bouge toujours pas. J’appelle quelqu’un de l’immeuble, priant pour que cet inconnu m’ouvre la porte afin que le jeune tueur voit que je n’ai pas menti.
- Oui ? Répond une voix féminine derrière l’interrupteur.
- Oui bonjour, c’est la voisine, j’ai oublié mes clés, pouvez-vous m’ouvrir ?

La porte s’ouvre. Je la remercie et entre dans l’immeuble. Je me sens soulagée. Je ne pensais pas qu’une personne pouvait ouvrir à quelqu’un. Personnellement, je refuse d’ouvrir à un inconnu. Une fois, dans mon immeuble, une voisine a gentiment ouvert la porte à un jeune homme. Tout ce qu’il a fait, c’est de dégrader les murs du rez-de-chaussée. Depuis, je ne laisse plus entrer n’importe qui. Toute fois, je me détends en voyant Thomas partir. Il doit sûrement croire que c’est réellement chez moi ici. Je soupire et attends quelques minutes. Je dois faire attention. Il peut être ruser au point de se cacher dans un endroit pour voir si je sors. Personne à l’horizon. Commençant à marcher lentement afin de bien détailler ce qu’il se trouve autour de moi, je finis par accélérer le pas de façon à rentrer chez moi très rapidement.
Installée sur mon canapé, je repense à cette journée. Cet homme est déstabilisant. Il montre qu’il peut être gentil tout en étant méchant. Je ne sais pas comment m’y prendre. Et si, ce n’était pas une bonne idée ? Et si, depuis le début, je m’engage dans quelque chose qui est au dessus de mes moyens ? Ce pouvoir me permet d’aider les autres, de leur redonner du sourire, du bonheur et parfois même de la joie de vivre mais cet assassin est peut-être plus intelligent que moi. Si des professionnels, telle que la police, n’arrivent pas à coincer, ni même à découvrir qui est cet homme, je suis donc dans l’incapacité de résoudre l’enquête moi-même. Je ne sais pas à quoi je pensais. Peut-être que j’imaginais qu’il n’était pas aussi intelligent, qu’il ne pensait pas à tout, qu’il était moins gentil. Je me voyais déjà le rendre à la police avant même de lui avoir parlé. Je l’ai totalement sous-estimé. Il est bien plus fort que je ne le croyais.
- Complètement stupide d’avoir essayé, soupiré-je en allumant l’ordinateur.

J’essaie de m’occuper autrement, de passer à autre chose. Je ne reverrais plus cet homme. J’ai pris un risque énorme en entrant dans sa vie. Maintenant, je dois me faire oublier et éviter de sortir de chez moi. Comme la plupart des personnes vivantes sur Terre, je sais de quoi il est capable et je n’ai vraiment pas envie qu’un étranger me retrouve allongée sur du goudron avec une flèche plantée dans la tête. Je me suis mise en danger toute seule. C’est complètement idiot de ma part. Je n’aurais jamais dû m’improviser détective.
Je réponds tranquillement à mes mails lorsqu’un m’interpelle plus que les autres.

Bonjour,
Je voulais vous remercier pour votre travail. Vos vêtements sont toujours de qualités et uniques. J’avais un rêve. Celui de devenir mannequin. Je me disais qu’avec une garde robe différente, je n’y arriverai jamais parce que c’était peut-être trop originale pour certains mais ça me plaisait, ça me représentait. Je me disais que je ne réussirais jamais à me faire remarquer parce que j’affirmais un style pas comme tout le monde et que jamais personne ne ferait attention à moi. Je ne parle pas de mon physique car chaque personne est dissemblable et que la beauté est subjective. J’ai été à deux castings. Tous les deux ont été un échec. Ils m’ont dit que je me cachais derrière des costumes. Pire que ça, ils m’ont avoué qu’un profil comme le mien ne pouvait pas intéresser quelqu’un parce que j’étais sans personnalité m’ont-ils dit. J’étais très triste, effondrée. Je n’arrivais pas à m’en remettre et un jour, je me suis levée et je me suis admirée devant le miroir. Je me suis regardée et j’ai vu une jeune fille porter des vêtements qu’elle aime. C’est un style différent, qui change et je le sais mais ça me plaît. Je me sens à l’aise dans mes vêtements. Je me sens belle. Je me sens femme et je ne me vois pas mettre autre chose à l’heure qu’il est. Et toutes ses tenues, ce sont les vôtres. Depuis plusieurs années, je m’habille chez vous et je ne me suis jamais aussi sentie bien qu’en ayant vos créations sur moi. Je ne veux pas être comme tout le monde, à suivre aveuglément la mode que chaque personne possède dans son armoire. J’ai mon propre style et je n’en ai pas honte. Ses échecs m’ont rendu plus forte. Ils m’ont fait comprendre que je ne devais pas être quelqu’un que je ne suis pas, que je ne devais pas me cacher derrière un style qui ne me correspond pas. Ses échecs m’ont donné deux fois plus envie de continuer sur ma lancée, de montrer aux autres qu’acheter des vêtements que l’on aime, il n’y a rien de mieux. J’étais déterminée à montrer ce que je valais. Quelques jours plus tard, j’ai réussi à décrocher un autre rendez-vous dans une autre agence. Arrivée au lieu de rendez-vous, la séance photo a commencé et j’ai tout donné. Je voulais me prouver à moi-même mais aussi aux professionnels qui m’entouraient que j’étais capable de faire ce métier, que le mannequinat était fait pour moi. J’ai été prise suite à mon entretien et j’ai maintenant un contrat. Merci. Merci pour ce que vous faites. Vos vêtements sont originaux, chic, ont du style et même si certains restent classiques, ils ont un côté en plus. Ils sont parfaits. Comme quoi, il ne faut jamais abandonner. Jamais renoncer. Même si on ne se sent pas capable de faire les choses, d’atteindre nos objectifs et nos envies, il faut se battre parce que tout effort fini par payer et rien n’est impossible. Merci encore et à bientôt pour une prochaine commande.

Ce message me fait réfléchir. D’abord ravie pour cette personne, je me remets immédiatement en question. Et si je ne devais pas abandonner ? Ce n’est pas facile d’être en compagnie d’un criminel mais j’ai commencé, pourquoi arrêter maintenant ? Il a vu mon visage, je suis forcément en danger, que ce soit en étant loin de lui ou à ses côtés. Je ne peux pas m’empêcher de penser à toutes ses personnes innocentes. À toutes ses flèches et ses meurtres. Je ne peux pas lâcher ce que j’ai commencé. La mission va être difficile. L’enquête risque de prendre du temps. Ma vie en dépend mais je suis incapable de le laisser filer.
- Je dois le revoir, même si la mort se rapproche, dis-je bien décider.

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