Chapitre 10.

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Une semaine est passée. Une semaine mouvementée. J’ai pu aider d’autres personnes qui ne se sentaient pas bien, qui avaient besoin de réconfort, d’avoir une personne à leur écoute, une personne qui trouve les mots qu’il faut pour les aider à aller de l’avant. Je me sens bizarre malgré tout lorsque leur voix résonne dans ma tête. J’ai l’impression de voler leur intimité, de rentrer dans une partie de leur vie dont je ne devrais pas avoir normalement accès mais cette pensée s’envole lorsque je vois leur sourire. C’est un mal pour un bien en quelque sorte.
Comme chaque matin depuis cette découverte, je me promène dans les rues de Chiché afin de venir éventuellement en aide à quelques personnes. Les passants de ce début de journée semblent agacées par le mauvais temps, par la routine mais ne semblent pas être en grande détresse. Il arrive parfois de ne croiser aucune personne dans le besoin. Ce n’est pas plus mal. Cela signifie qu’elles sont heureuses. Marchant depuis quelques longues minutes déjà, je décide de rentrer. Sur la route, je ne peux m’empêcher d’entendre ce que les autres se disent dans leur tête. Je n’en fais pas exprès, les pensées viennent d’eux-même à moi. Je pourrais faire comme si les voix dans ma tête ne résonnaient pas, passer à côté de tout ceci mais je ne peux pas. Il est difficile de laisser le malheur des autres et faire comme si il n’y avait pas de problèmes sachant pertinemment la vérité sur leur état. C’est au dessus de mes forces. Ce pouvoir me faisait peur mais à présent, il est évident qu’il m’a été donné pour une raison particulière, pour ne pas faire la sourde face à la détresse des autres et je n’ai plus aucune frayeur lorsque tous ses bruits se bousculent dans mes esprits.
- Il va mourir.

Je m’arrête brusquement, observant autour de moi en faisant attention à chaque détail, à chaque humain de cet endroit. Cette voix d’homme m’a presque glacé le sang. J’ai ressenti de la haine dans ses paroles, de la méchanceté. Ça me fait mal au cœur de savoir une personne aussi mal pour imaginer la mort de quelqu’un. Je n’arrive pas à savoir qui il est, ni où il se trouve. Peut-être est-il parti trop loin de moi pour que je ne puisse ressentir sa présence. La tête baissée, je continue mon chemin, me disant qu’il finira bien par ré-apparaître.
- Il va comprendre ce que le mot harceler signifie.

Je lève ma tête subitement, inspectant chaque homme sur cette place. Ils ont tous l’air calme, sans signe distinctif qui pourrait m’éclairer. Je ne sais pas quoi faire. Je me sens inutile bien que j’ai la possibilité de venir en aide à quelqu’un et de peut-être sauver la vie d’un humain. Je m’imagine toutes sortes d’histoires sur cet homme blessé. Une victime à cause de ses camarades de classe qui ne cessent de l’humilier. Une ex petite copine ou un ex petit copain qui ne supporte pas la rupture au point de le contacter chaque jour. Un livre qu’il est en train de lire. Beaucoup d’hypothèses mais seul lui à la réponse. Pourtant, cet individu semble bien cacher puisque je ne sais pas qui il est. Je ne ressens pas sa présence, comme si il était caché. Un pas après l’autre, épiant chaque centimètre, je ne veux pas que cet inconnu m’échappe. Une feuille tombe devant moi. La prenant, je me précipite vers le passant qui vient de la faire tomber accidentellement.
- Attendez Monsieur, dis-je en trottinant pour le rattraper. Vous avez fait tombé quelque chose.

L’homme se retourne. Des cheveux bruns coiffés en pagaille, un teint blanc et des yeux bleus. À vue d’œil, il a sûrement la vingtaine. Un beau visage qui peut facilement faire tomber les cœurs de plusieurs jeunes demoiselles de son âge. Il regarde la feuille blanche pliée en deux et la prend. Involontairement, il touche mes doigts avec les siens. Sa peau contre la mienne me fait tout drôle, me mettant presque mal à l’aise. Non pas que c’est intimidant qu’un bel homme m’effleure mais plutôt parce que je ressens beaucoup de négativité en lui. Je ressens tout le mal, toutes ses mauvaises ondes en lui.
- Merci, me dit-il en me regardant.

Je le laisse partir et je reste sans voix, sans bouger. Il a en lui une haine immense. De la méchanceté à en revendre. C’est impressionnant la puissance de ce pouvoir. J’ai pu ressentir toute sa colère, comme si c’était moi qui était dans cet état là. Je le suis de loin. C’est sûrement lui qui pense à se venger, à tuer une personne.
- Une flèche en pleine tête pour te faire disparaître.

Cette phrase me fait comme un électrochoc, jusqu’à me glacer le sang, me donnant des frissons de peur. Tuer un homme de cette manière là est ignoble. Tout comme assassiner quelqu’un de n’importe quelle façon que ce soit. Un homme plutôt âgé passe lisant son journal. En gros titre « Le tueur en série a encore frappé : sa cible est Chiché. ». En voyant l’article, je comprends tout de suite. Les idées se mettent en place petit à petit, repensant au paragraphe lu à propos du meurtre de Justin et son frère et je conclus très rapidement qu’il n’y a qu’une personne pour penser comme cet homme : le tueur en série. Paniquant à l’idée de l’avoir vu, de l’avoir touché, je regarde autour de moi, tout en tournant sur moi-même. Mon cœur se serre, ma tête commence à me jouer des tours. Je tremble, ne sachant pas ce que je dois faire, ne sachant pas comment réagir face à cette situation. L’homme qui ne cesse de mettre fin à la vie de ses pauvres victimes est là, dans la même ville que moi, à quelques centaines de mètres de moi désormais. Je pense à tous ses passants innocents, qui marchent tranquillement sans savoir que le tueur en série le plus recherché n’est pas loin d’eux. Ça ne peut qu’être lui. Il n’y a que ce fou qui est capable d’assassiner quelqu’un avec une flèche, tel un archer. Je me suis légèrement renseignée sur ce tueur lorsque j’ai pris connaissance de la mort de Justin. J’ai voulu en savoir plus que ce que je savais, comprendre qui est cet humain. Il a assassiné des centaines de personnes dans le monde entier, sans jamais être attrapé. Il utilise toujours son arc et agit à n’importe quel moment de la journée mais principalement la nuit. Tout ce que nous savons de lui, c’est sa discrétion. Il est capable de tirer sur n’importe qui, dans n’importe quelle ville et pays sans jamais être repéré. Ça ne me rassure pas en y repensant. C’est un professionnel, c’est quelqu’un qui réfléchit lorsqu’il fait quelque chose, c’est pour ça qu’il n’a jamais été soupçonné : il est bien trop malin. Sans cogiter pendant longtemps, je continue de le suivre au loin, faisant attention à ne pas être repérer. Il est intelligent, mais en lisant dans ses pensées, je peux facilement le contrer. Sortant mes écouteurs, je fais mine d’écouter de la musique pour me fondre le plus dans la masse. Je ne sais pas à quoi je joue en imitant un détective privé. Je ne sais même pas où vais-je atterrir mais je ne suis pas inquiète pour autant. Il m’est impossible de poursuivre ma journée paisiblement et faire comme si je ne l’avais pas remarqué. Il est dangereux, je ne peux pas le laisser s’enfuir sans rien faire, sans rien tenter. Je me mets peut-être en danger mais qui ne voudrait pas être à ma place ? Qui ne voudrait pas avoir la possibilité de mettre fin à ce tueur qui ne cesse de nous faire peur ? Cela faisait longtemps qu’il n’était pas revenu en France d’après les journalistes et à peine réapparu, les habitants ont dû mal à se sentir à l’aise dans les rues, tremblant de se retrouver avec une flèche dans la tête. D’autres ne se privent pas et vivent normalement, comme si il n’y avait aucun meurtrier dans leur ville. Ils se disent sûrement que nous allons tous mourir un jour, que ce soit d’une flèche ou d’une maladie, et qu’il ne faut pas se priver parce que la vie est trop courte.
- C’est en restant chez soi que notre vie s’arrêtera, pense l’un des passants.

Et cette personne a raison. En restant cloîtrer dans leur domicile, tous ses humains ne vivent plus par peur mais en agissant ainsi, ils oublient l’essentiel. C’est insensé de suivre ce psychopathe, pourtant cela fait déjà une bonne demi heure que je suis derrière lui. Je ne sais pas où il va. Cet homme a l’air d’être quelqu’un de normal, d’avoir une vie plutôt basique. Il n’a pas l’air d’un fou, d’une personne qui a souffert dans sa vie ou d’un humain qui n’a pas toute sa tête. Bien au contraire, il est très sûr de lui.
- Le connard.

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas pourquoi il pense ça. Peut-être par rapport à cet individu qu’il veut harceler. Ou il pense à quelqu’un d’autre. Je ne sais pas. J’arrive devant une maison dans un lotissement. Maison simple, qui ressemble à toutes celles autour d’elle. Je fais comme si je rentrais dans une maison voisine où il n’y a aucune voiture. C’est donc ici qu’il habite, dans ce lotissement. C’est dans ce logement qu’il a ses armes, qu’il organise ses meurtres. Je suis cachée derrière un buisson et j’attends, ne sachant pas quoi faire. Il est impossible d’appeler la police. Ils ne me croiront pas lorsque je leur expliquerai la situation. Ils penseront que je suis folle, ne me prenant pas au sérieux. Je décide de rentrer chez moi. Je n’ai pas d’autre choix.
Buvant mon chocolat chaud sur le canapé, je repense à cet homme.
- Qu’est-ce que je peux faire ? Me dis-je.

Personne n’est avec moi. Je suis seule face à ce problème. Il est bien évident que je ne dois pas le laisser filer, que je dois rendre la liberté à toutes ses personnes qui ont peur à chaque pas qu’elles font dans la rue. Mais cet homme est dangereux. Il est capable du pire et je n’ai pas d’arme face à lui. Je peux seulement lire dans ses pensées mais si il ne pense rien, je ne pourrais rien savoir. C’est une situation assez délicate que je ne dois pas prendre à la légère. Si je décide de rentrer dans sa vie pour le dénoncer, il faut savoir que ce ne sera pas une partie de plaisir, ni simple. Je vais devoir jouer un double jeu et ce n’est jamais évident et face à un meurtrier, encore moins. Il doit sentir lorsqu’une personne lui ment, il doit se douter quand quelqu’un veut entrer dans sa vie subitement. Il est intelligent, il va forcément se poser des questions sur mon sujet. Mais si je ne tente rien, il partira et recommencera.
- Dans quelle merde me suis-je foutue, soupiré-je.

Je décide de prendre une douche. L’eau chaude qui coule sur ma peau m’aide à réfléchir, à y voir plus clair. Comme si la chaleur mettait les idées en place. J’aimerais qu’une personne me conseille, qu’elle vienne me donner son avis, m’orienter sur l’un des chemins à prendre mais je n’ai personne à qui parler, personne à qui me confier. Aucun humain ne croirait à mon histoire même si j’expliquerai tout en détail. C’est tellement surhumain ce que je suis capable de faire. Je sors de la douche sans avoir pris une décision et pars directement me coucher après cette journée remplie d’émotion.
Le lendemain, je me réveille tranquillement et expédie chaque commande de ma boutique. Sur le chemin du retour, un tas de questions se bousculent dans ma tête. Qui va le retrouver ? Qui va arrêter tous ses crimes ? Qui va comprendre que c’est cet homme le meurtrier ? Et combien de temps va durer cette enquête sans fin ? Toutes ses interrogations sont sans réponses. L’article sur Justin et son jumeau traverse mes pensées. Je repense à chaque mot que j’ai pu lire, à chaque larme versée, à ce mal-être et à la tristesse qui me submergeait. Et soudainement, je m’intéresse à toutes ses personnes qui ont subitement perdu un de leur proche sauvagement. Ils ont tous dû faire un deuil qui a sûrement pris énormément de temps, accepter qu’un être qui leur était cher a disparu. Je ressens toute la douleur, tout le chagrin que toutes ses personnes ont eu. Le cœur brisé, je me sens déterminée. Je me sens prête à faire l’impossible, à essayer de mettre derrière les barreaux cet assassin. Je marche à une vitesse éclair afin d’arriver le plus vite possible chez lui. Je me battrais pour appliquer la loi, pour la justice de ce monde. Il est hors de question de rester là sans rien faire, sans agir et en laissant cet homme abattre froidement des innocents. Devant la maison, je ne tiens plus en place, ne sachant quoi faire. Il n’est pas dehors. Je ne suis même pas sûre qu’il soit chez lui. Aucun plan. Aucune stratégie. Difficile de frapper chez lui l’air de rien et de discuter. Je fais demi-tour et me retrouve la tête la première sur le torse d’un inconnu. Très légèrement sonnée, je recule d’un pas, m’excuse comme je le pouvais, me sentant gênée de ne pas avoir regardé devant moi.
- Vraiment, je suis navrée, insisté-je.

Je relève ma tête. Des cheveux bruns ébouriffés, des yeux bleus à en tomber par terre. Je le reconnais immédiatement. Lui. Cet homme au visage si doux est le meurtrier. Se tenant devant moi, c’est à ce moment là que tout se joue, que tout commence.

L'archer. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant