Chapitre 9.

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Le journal à la main, je me dépêche de rentrer à la maison sous la pluie qui ne cesse de tomber depuis quelques heures maintenant. Quelques jours ont passé et mes habitudes ont changé. Plus d’amis. Plus personne à qui se confier mais je me sens mieux. J’ai bloqué le numéro de Justin, ne voulant plus aucune nouvelle de cet homme, voulant passer à autre chose. J’ai pris un nouveau départ, une nouvelle vie.
Je cours et arrive à l’entrée de mon immeuble où je croise la gardienne.
- Bonjour Séréna, me dit-elle en souriant.
- Bonjour, souris-je en enlevant ma capuche.

Je monte les marches une à une et rentre chez moi, me réchauffant. Je m’installe sur ma table de salon, un chocolat chaud à la main en lisant le journal avec l’ordinateur à côté de moi afin de travailler juste après. Une page après une page, je lis simplement les gros titres lorsqu’un article attire immédiatement mon attention.

Le tueur en série a encore frappé.
Dans la nuit du du 10 au 11 janvier, sous les coups de 3h du matin, deux frères jumeaux ont été assassiné dans un parc dans le ville de Chiché.
C’est au beau matin qu’un passant, promenant son chien, découvre le corps des deux hommes. « Comme chaque matin, je promène mon chien dans le parc quand il a senti quelque chose d’inhabituel et c’est à ce moment là que j’ai vu les deux corps. Je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi atroce » déclare le témoin.
Après l’analyse des corps, il s’agirait de deux frères jumeaux nommés Justin et Nicolas âgés de 24 ans.  Ils ont été victime du tueur en série surnommé par les internautes l’archer. En effet, les deux frères ont reçu une flèche en pleine tête. Ils meurent sur le coup. Après avoir fouillé un téléphone, il semblerait que l’un des deux hommes ait été harcelé  pendant quelques jours. Le meurtrier est recherché activement par la police.

Je ne lis pas la suite sous le choc. L’article est accompagné d’une photo des jumeaux. Mon cœur loupe un battement et je reste bloquée, comme paralysée devant le journal. Une larme coule doucement sur ma joue et la tristesse m’envahit. Je repense à Justin, à tous ses messages échangés. C’était un homme qui a beaucoup compté pour moi, qui a su être là lorsque mon moral était au plus bas malgré la tournure que notre amitié a pris. Mourir si jeune, dans ses conditions me brise le cœur. J’aurais aimé le revoir dans quelques années. Peut-être aurait-il été possible de s’expliquer, de voir les choses autrement. Les minutes passent et j’essuie mes pleurs qui ne cessent de tomber. Debout, je marche un peu partout dans le salon, faisant les 100 pas, sentant mes jambes lourdes, me demandant si elles peuvent encore me soulever. Les mains dans les cheveux, tous les souvenirs de lui traverse mes pensées. Sa voix résonne dans ma tête. C’est comme si il était à côté de moi. Comme si il pouvait me dire ce qu’il ressent.

Allongée sur mon lit depuis plus de deux heures, j’attendais un nouveau message de Justin. Je m’inquiétais pour lui. Ces derniers temps, il n’allait pas vraiment bien. Il semblait absent, lassé de tout. j’avais l’impression que quelque chose n’allait pas mais je ne savais pas quoi et il ne me disait rien. Je ne voulais pas qu’il tente quoi que ce soit. J’avais encore besoin de lui.

Justin. Je ne sais pas ce que tu as en ce moment mais sache que je suis là, quoi qu’il puisse se passer dans ta vie. Je suis ton amie et je le resterais. J’ai l’impression que tu ne vas pas bien et je me sens inutile face à ton malheur. Sache que tu es quelqu’un de bien, que je tiens énormément à toi et que je t’aime. Prends soin de toi.

Ce jour là, j’avais eu l’impression de lui avoir sauvé la vie ou de lui avoir remis les idées en place.

Ne t’inquiète pas je vais bien. Je sais que tu es là et je ne pourrais jamais assez te remercier pour ça. Merci pour tout. Je ne te lâcherai pas moi non plus. Je serais près de toi quoi qu’il arrive.

Les larmes coulent encore en repensant à ce moment. Notre relation était très protectrice. Nous voulions toujours protéger l’autre. C’était beau au fond ce que nous vivions. C’était unique. C’était la première fois  que j’avais un ami aussi proche, un ami qui prenait soin de moi tout comme je le faisais. Il me rendait heureuse à cet instant. Le cœur serré, je n’arrive pas à me calmer, à me concentrer, à reprendre le cours de la journée. Justin est dans mon esprit. Je comprends que je n’aurais plus l’occasion de lui parler, d’entendre sa voix ou même de me demander si il va bien. Il ne reviendra pas. Il ne sera plus jamais dans ma vie. Seuls les moments passés avec lui seront là pour me souvenir de cet homme.
Je décide de ne pas répondre aux mails reçus ni de travailler de la journée et sors dehors afin de prendre un grand bol d’air, qui ne peut que me faire du bien. Enfilant mon manteau, j’affronte le froid et marche sans savoir où aller, sans but précis. Parcourir la ville me fait du bien indirectement même si ce meurtre me trotte dans la tête. Je ne comprends pas pourquoi lui. Qu’est-ce que ce tueur cherche-t-il ? J’en ai déjà entendu vaguement parlé de cette personne qui ne cesse de terroriser le monde avec ses meurtres à répétition mais je pensais que les policiers l’avaient arrêté et je n’imaginais pas qu’il allait venir dans une ville aussi perdue. Visiblement, je me suis trompée.
Plongée dans mes pensées, je bouscule une personne âgée portant ses courses avec un panier. La grand-mère me dévisage du regard, comme si je lui avais pris quelque chose qui lui tenait cher ou comme si je l’avais insulté.
- Excusez-moi madame, je suis désolée, dis-je en la touchant le bras comme pour me faire pardonner.

La vieille dame aux cheveux gris et usée par le temps me pousse presque. Je reste sous le choc devant ce peu de violence de la part d’une telle personne. Les personnes âgées sont pour moi très respectables, bourrées de culture, comme des bibliothèques vivantes. Elles ont énormément de vécues et c’est un plaisir d’échanger avec eux mais cette dame semble détestable et impolie.
- Vieille folle, chuchote la vieille mégère.

Je reste sans voix. J’étais persuadée que toutes les personnes âgées savaient se tenir, avaient de l’estime pour les autres mais j’ai eu tort. Cette femme est tout le contraire. Ses lèvres m’ont intrigué. Elles n’ont pas bougé d’un centimètre, pourtant, j’ai bien entendu sa voix. Peut-être ai-je rêvé. Peut-être ai-je pensé que ses lèvres étaient figées alors que ce n’est pas le cas. Une illusion d’optique. Je continue de marcher, les yeux rouges par mes pleurs qui ont finalement cessé de couler. Certains passants me scrutent étrangement, comme si j’étais une criminelle, comme si j’avais fait quelque chose de grave ou que j’étais un extraterrestre. Me détaillant de la tête au pied, je ne remarque rien d’anormal, rien qui justifie tous ses regards.
- Elle a pleuré.

J’ouvre les yeux en grand, regardant cet homme qui venait de parler sans bouger ses lèvres, comme un ventriloque. Il n’y a personne à ses côtés, son téléphone n’est pas à ses oreilles et aucun écouteur aux alentours. Ce jeune trentenaire a bafouillé trois mots mais sa bouche n’a pas remué. Je ressens quelque chose de spécial en moi. Peut-être suis-je en train de perdre la tête à trop être triste, à trop penser. Peut-être suis-je en train d’imaginer certains passages de cette journée de déformer la réalité en fiction. Un enfant marche et s’arrête en face de moi, me regardant avec insistance. Les cheveux blonds, un visage d’ange, ce petit garçon a l’air d’être gentil. Sa mère parle avec une amie à elle, ne s’occupant pas de son fils.
- Pourquoi elle pleure ?

Cette fois-ci, je ne rêve pas. Je n’ai pas imaginé cette scène. Ce petit m’a parlé sans bouger ses lèvres. J’entends encore la voix de ce garçon résonner dans ma tête. Je deviens folle à imaginer des choses qui n’ont pas de sens. Regardant autour de moi au ralenti, j’ai l’impression d’être à côté de la plaque, de perdre pied. La mort de Justin me monte à la tête, plus que je ne le pensais. Je devrais rentrer afin d’être au calme et de remettre mes esprits au clair. Je marche dans les rues et j’entends toutes ses voix dans ma tête de tous les passants que je croise sans qu’ils n’ouvrent la bouche. Paniquée par tous ses sons, mon cœur s’accélère, me sentant faible et perdue, je cours, évitant tous les regards désobligeants. Claquant la porte derrière moi, je me laisse tomber et les larmes coulent pour la énième fois. Sentant d’être incapable de produire quoi que ce soit aujourd’hui, je préfère m’installer dans mon lit, me reposer et reprendre une journée normale demain, avec les idées en place.

Le lendemain, je me réveille en douceur, en prenant mon temps, ne me précipitant pas. Ma boisson chaude à la main, je réponds à mes mails et prépare toutes mes commandes que je n’ai pas pu expédier hier. La disparition de Justin me fait quelque chose, comme un énorme pincement au cœur, comme si j’étais malade mais que je savais que ça allait passer. J’accepte sa disparition. J’accepte qu’il soit parti parce que nous allons tous partir un jour où l’autre, même si c’est trop tôt. Je regrette simplement qu’il soit décédé de cette manière là. Sans pouvoir se dire adieu, sans pouvoir se défendre face à ce tueur en série. Je l’aimais. Je tenais à lui et son manque de présence me fait mal. Je ne lui pardonne pas ce qu’il a osé me faire mais personne mérite de mourir comme ça, si soudainement. Même pas un manipulateur pervers. Je réagis de cette façon parce que Justin était un homme que je connaissais, un homme qui faisait partie de ma vie pendant plusieurs mois. Peut-être aurais-je été marqué différemment si c’était un inconnu.
Le cœur lourd, je prends mes colis afin de les envoyer et sors de chez moi en direction de la poste. Des voix résonnent dans ma tête. Les voix de tous les passants qui marchent à côté de moi mais j’essaie de ne pas m’y attarder, pensant que j’étais encore sonnée de la vieille. Déposant mes colis, je ressors de la poste aussi vite que je suis entrée.
- Elle a une mine affreuse.

Je regarde le vieil homme qui est à côté de moi. Je viens d’entendre sa voix, je ne suis pas folle. Il est le seul à avoir une voix mûre et à être près de moi.
- Vous avez un problème ? Demandé-je en le fixant. Si mon visage ne vous convient pas, rien ne vous oblige de le regarder.

Les yeux grands ouverts, il semble surpris par ma réaction. Il pensait sûrement que je n’allais rien dire, que j’allais me laisser faire mais il se trompe. Il a beau avoir du vécu, ce n’est pas une raison pour dire ce genre de chose. C’est vexant et c’est ainsi que des centaines de personnes perdent toute confiance en soi.
- Pauvre fille.

Encore une fois, ses lèvres n’ont pas bougé mais sa voix a bien retenti. Je reste confuse. Cette situation commence presque à m’inquiéter de mon état. Suis-je en train de perdre la tête ? Je m’installe à un banc et observe chaque personne qui se promène et qui passe devant moi. À chaque passage, j’entends que l’une a perdu ses clés, que cet homme au téléphone a trompé sa femme mais qu’il lui dit l’inverse mais aussi que cet enfant ment à tout le monde en disant que tout va bien alors que tout va mal. Je ne comprends pas ce qu’il se passe mais j’entends les pensées des autres, comme si j’étais dans leur tête. C’est inexplicable. Cela semble impossible, surréaliste mais pourtant, toutes ses voix résonnent parfaitement dans ma tête. Je ne sais pas comment expliquer mais en y réfléchissant, en prenant du recul face à ce changement, je me dis que je peux m’en servir pour aider les autres. Je peux enfin savoir ce que les gens pensent réellement de moi. Le cœur battant, cette situation me fait peur mais c’est à la fois exceptionnel. Qui ne rêverait pas de lire dans les pensées des autres ? De savoir ce qu’ils pensent vraiment ? Chaque personne serait enchantée d’avoir ce don-ci. Certains en profiteront pour comprendre qui sont leurs véritables amis, d’autres feront en sortes de passer du côté des méchants avec ce pouvoir. J’aimerais aider les autres. J’aimerais me servir de ce don pour aider les personnes tristes, les personnes qui sont réellement dans le besoin. Si la vie m’a donné cette exploit, c’est probablement pour une bonne raison.
Une petite fille d’environ 10 ans se promène seule, sans parents, sans amis. Elle semble triste. Les cheveux bruns attachés en deux nattes, un visage pâle mais une belle tête. Je me concentre et l’observe attentivement.
- Personne ne veut jouer avec moi parce que je suis différente.

Elle jette la poupée qu’elle tenait par terre. J’ai un pincement au cœur en voyant cette petite fille ainsi. Elle a l’air d’être vraiment triste de se sentir seule, de n’avoir personne avec qui jouer, d’être incomprise. Je me lève et va la voir en m’agenouillant à son niveau. Sa poupée à la main, je lui rends mais elle ne bouge pas, comme surprise de voir une personne près d’elle, comme intimidée.
- Tu sais, quand j’étais petite, je n’avais aucun ami, lui dis-je en observant sa poupée. Et je n’avais que mes jouets avec moi. J’étais triste parce que je pensais être différente des autres. Je pensais être à part et j’avais l’impression que ce n’était pas bien. J’avais l’impression que ce que je faisais, c’était mal mais quand je jouais avec mes poupées ou mes autres jouets, j’oubliais les autres. J’oubliais le reste. Plus rien ne comptait pour moi parce que je m’amusais, parce que je me sentais vivante et j’avais une impression que mes jouets étaient là pour moi. Être différente ne fait pas de toi quelqu’un de méchante. Tu peux être différente, ça te rendra intéressante. Le temps fera les choses. Tu rencontreras des personnes qui seront aussi différents que toi.

Elle me sourit et reprend sa poupée. Elle m’observe, me fait un câlin comme pour me remercier d’avoir su trouver les mots qu’il fallait pour la réconforter. Elle retourne jouer avec sa poupée, s’imaginant qu’elle parle. Voir son sourire me fait quelque chose. Ça me fait du bien. Elle semble apaisée, elle semble avoir compris qu’elle n’a pas à avoir honte de qui elle est parce que c’est bien d’être différente, d’être soi-même. Satisfaite de cette action, je me relève, appréciant finalement ce don.

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