Chapitre 19.

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Deux jours ont passé. Je suis toujours au même endroit, à la même place. Thomas me donne juste à manger, sans me dire un mot. Je me sens faible, impuissante face à lui. Je repense aux évènements passés avec lui avant d’être enfermé ici. Même si j’avais quelques fois peur, nous avons partagé certains moments complices en quelques sortes. Ce sont ces moments qui nous ont permis de nous rapprocher, d’établir un lien entre lui et moi. Ces instants étaient différents. Je le voyais différemment. Je le voyais comme un homme doux, un homme qui aimait la vie, qui me faisait voir la vie autrement. Pendant ces instants, j’étais avec un autre homme. Un homme qui me faisait rêver en quelques sortes. Je n’avais plus peur. Je ne ressentais plus d’inquiétude face à lui. Bien au contraire. C’est une situation délicate. D’un côté, il m’angoisse, me tétanise presque mais d’un autre côté, il me fascine. Non pas pour sa barbarie mais pour la gentillesse qu’il a eu envers moi. Pour toutes ses fois où nous rions, où nous parlons, où nous étions presque comme deux vieux amis.
- Ressaisis-toi Séréna ! M’exclamé-je.

Je suis toujours toute seule dans le noir. Personne ne peut m’entendre mais je me parle à moi-même. J’essaie de me réveiller, de me remettre sur le droit chemin, de me concentrer sur la raison pour laquelle je suis ici.
- Rappelle-toi pourquoi tu es là, me répète-je. Tu es là parce que le plus grand de tous les criminels doit cesser les meurtres qu’il commet. Tu n’es pas là par plaisir. Tu n’es pas là pour tomber amoureuse. Tu es là pour l’arrêter. Pour rétablir la paix dans ce monde avec un pouvoir que tu as dû mal à gérer mais il est là quand même.

J’essaie de me motiver lorsque la porte s’ouvre. Thomas arrive, laissant la porte grande ouverte avec la lumière qui traverse désormais la pièce. Il descend les escaliers et vient me voir. Il a l’air plutôt énervé.
- Est-ce que ça me ressemble ? Demande-t-il paniqué.
- Tu comptes me garder prisonnière jusqu’à quand ?
- Est-ce que ça me ressemble ? Répète-t-il en s’énervant, me donnant une feuille.

Je me redresse, soupire et prends la feuille. Je regarde attentivement et comprends qu’il s’agit d’un portrait robot. Ce n’est pas un portrait réaliste mais je mentirais en lui disant qu’il ne lui ressemble pas. Le signalement le concerne bien. Le cœur battant, je commence à avoir peur pour lui. À me demander ce qu’il va faire maintenant que les policiers ont mis un visage sur cet archer.
- Alors ? Insiste Thomas.
- Oui, ça te ressemble, finis-je par dire.

Thomas se retourne, faisant les 100 pas. Je ressens sa colère, sa panique. D’habitude, il prévoit toujours tout, il est prudent mais cette fois-ci, tout n’a pas fonctionné comme prévu. Maintenant que le portrait robot a été établi, chaque habitant sur cette Terre vont le rechercher. Il va être impossible pour lui de sortir tranquille. Thomas ne vivra plus paisiblement.
- C’est de ta faute tout ça ! S’exclame-t-il en s’arrêtant en face de moi.
- Je t’avais dit d’arrêter.
- Si tu ne m’avais pas retrouvé la dernière fois, jamais il ne m’aurait identifié.
- Ça te permettra d’arrêter comme ça.
- Mais je ne peux pas arrêter ! Tu comprends ça ? Je ne peux pas.
- Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ?
- Je ne peux pas. Je te l’ai dit, les flashs arrivent tout seul. Ils me montrent la ville, l’endroit précis où se situe la personne qui a commis un acte. Les flashs me montrent aussi ce qu’il se passe. Si une personne tue quelqu’un, je le vois. Si une personne viole quelqu’un, je l’aperçois. Si une personne frappe violemment quelqu’un, je le sais. Je ne me vois pas vivre avec les flashs sans rien faire. Je me souviens de tous mes flashs. Il n’y en a pas un dont je n’ai plus le souvenir. Je m’endors en sachant qu’une femme se fait violer, qu’un magasin se fait cambrioler, qu’un homme tue son enfant. Je ne peux pas arrêter. Je vais devenir fou si je laisse tout filer. Je ne peux pas vivre normalement avec ça encrer dans mes pensées. Est-ce que tu comprends ?

Le silence s’installe. J’essaie de me mettre quelques minutes à sa place. Je m’imagine avec ses flashs, avoir ses images dans la tête. Je ne pourrais pas vivre avec ça sans rien pouvoir faire. Je le vivrais mal. Je serais mal pour toutes ses personnes dont il me serait impossible de ne pas aider. Je ne pourrais même pas les dénoncer à la police parce que personne ne me croirait. Je comprends ce qu’il ressent. Lorsque je lis dans les pensées des passants, je ne peux pas rester là sans rien faire. J’étais presque à chaque fois obligé d’aller aider ces personnes dans le besoin. Humainement, il est impossible de vivre normalement, comme si de rien n’était en sachant pertinemment qu’il y a une personne qui souffre.
- Je comprends ton ressenti, finis-je par dire après quelques minutes de silence.
- Est-ce encore un mensonge ?
- Non. Je dis la vérité. Je comprends ce que tu ressens. Quand les pensées des autres me viennent en tête, je ne peux pas rester là sans rien faire. Je me sens obligée de les aider. Je ne peux pas passer à autre chose. Alors je sais ce que tu ressens même si je pense qu’il y a d’autres moyens de les arrêter.
- Je ne vois pas comment. Il me semble d’en avoir déjà parlé, tu sais bien que les policiers ne me croiront jamais.
- Tu n’as jamais voulu devenir policier ?
- J’ai déjà un métier et tu le sais.
- Parce que c’était vrai ce métier ?
- Bah oui. Je ne t’ai pas menti. C’est vraiment le métier que je fais et j’aime mon métier. Je ne veux pas le changer.
- Tu aurais pu les prendre en flagrant délit et envoyer des photos pour les policiers. Ils auraient été obligé de te croire.
- Je l’ai fait une fois.
- Vraiment ?
- Oui, affirme Thomas. C’était avant que je ne commence à être l’archer dont tout le monde redoute. C’était le soir, je marchais dans une rue avec des maisons et des cris avaient retenti. J’ai couru et regardé à travers la fenêtre. Une femme se faisait battre par son mari. J’ai filmé la scène. J’ai sonné à la porte pour arrêter son mari pendant un soir. J’ai envoyé la vidéo à la police anonymement. Je ne sais pas comment ils ont regardé la vidéo mais ils n’ont rien fait. Je suis revenue plusieurs jours après et la femme était toujours avec cet homme. Ils n’ont rien fait.
- Je sais ce que tu ressens. Je serais devenue folle en voyant une femme se faire battre mais il doit forcément avoir une explication à ce sujet.
- Je ne vois pas laquelle.
- Si un policier voit une preuve qu’une femme se fait battre, ils ne peuvent pas rester là sans rien faire. La femme a peut-être menti, ils se sont peut-être séparés pour se remettre ensemble. Beaucoup de femmes battues mentent pour protéger leur mari. Il se fait peut-être soigné. Il a peut-être pas encore eu son jugement.
- Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu’elle devient cette femme là. Elle est peut-être morte.
- Elle est peut-être en vie. Tu l’as dit toi-même : tu ne sais pas ce qu’elle devient.

Thomas ne dit plus rien. Ça fait drôle de se parler calmement. Je le comprends. Je sais pourquoi il est devenu l’archer, même si je ne cautionne toujours pas ce qu’il fait. Je sais qu’il fait ça pour protéger les habitants de cette planète. Il ne fait pas ça pour faire peur aux autres, il ne fait pas ça pour le plaisir de tuer. Il est devenu comme ça pour la paix. Thomas a un bon fond. Il faut simplement qu’il comprenne que même si son intention est bonne, il doit changer de méthode, trouver une autre solution pour venir en aide à ses victimes. Je vais peut-être regretter de changer de camp, de lui trouver une partie touchante à cet homme, de le comprendre mais qui ne rêvera pas d’un pays, d’un peuple tout entier où règne la paix ? Où il n’y a plus aucun danger ? Où la peur de sortir dehors n’existe plus ? Je sais que c’est incompréhensible. Je sais qu’il y a peu de personnes qui peuvent comprendre la raison de son acte mais je ne peux pas le laisser s’enfoncer comme il est en train de le faire. Je ne peux pas le laisser seul. Il va forcément se faire arrêter. Thomas finit par  remonter tranquillement les escaliers, sûrement en train de penser à une idée pour se sortir de cette histoire.
- Attends, dis-je en me levant. Laisse-moi t’aider.

Thomas s’arrête net. Il est dos à moi. Il est probablement surpris de ma proposition. Il se méfie peut-être. Je ne sais pas à quoi il pense. Je n’arrive pas à lire dans ses pensées. Pourquoi avec lui, je n’y arrive pas ? Est-ce encore mon pouvoir qui me protège ?
- Thomas, je tiens à toi, commencé-je. Je ne te comprenais pas avant. Je voyais quelqu’un d’ignoble. Quelqu’un qui tuait pour le plaisir, qui avait des problèmes mentaux mais je me suis trompée parce que je suis stupide. Je n’ai pas essayé de me mettre à ta place. Je sais maintenant pourquoi tu fais ça, pourquoi tu es comme ça. Tu ne supportes pas la violence, l’injustice et tu as trouvé un moment pour que la paix règne dans ce monde mais cette solution n’est pas la bonne. Je sais que tu ne ferais jamais de mal à une personne qui ne fait rien, à une personne qui n’a rien à se reprocher et c’est pour ça que tu ne m’as toujours rien fait. Tu assassines ces personnes en voulant faire le bien mais tu fais peur aux victimes et à ceux qui n’ont rien fait. Il y a d’autres solutions pour venir en aide à toutes ses personnes sans leur faire peur. Tu peux réessayer de prévenir la police. Plusieurs gendarmeries même. Ils ne laisseront jamais quelqu’un se faire battre, violer, agresser. À force de les prévenir, ils vont forcément te croire. Je peux t’aider dans tout ça. Je ne veux pas te laisser. Dans la rue, il y a un portrait de toi qui circule et à l’heure qu’il est, ton portrait doit être dans toutes les villes de pratiquement tous les pays parce que tu es l’homme le plus recherché. Il n’y a pas de solution miracle. Je ne peux pas faire disparaître ce portrait robot. Tu sais qu’en sortant de chez toi, tu vas te faire prendre et tu iras directement en prison. Je ne veux pas. Je ne veux pas te voir derrière les barreaux. Thomas, je t’aime. Je te l’ai déjà dit mais tu ne me crois pas. Je peux comprendre. Je t’ai menti sur mes intentions, sur qui j’étais réellement mais mon amour pour toi est bien là. Il m’est impossible de faire semblant. Il m’est impossible de passer au dessus de mes sentiments. Ils sont bien réels. Et même si ce que tu fais, je ne le cautionne pas, je veux être avec toi. Tout le temps, pour toute la vie. Tu es l’homme qui me sécurise, qui  me protège. Je me vois dans 10 ans et plus avec toi, même si pour ça, je dois me cacher, être en cavale. Je te veux. Toi et pas un autre.

Il ne dit rien. Il reste debout, en haut des marches sans bouger. Il laisse le silence s’installer. Un silence pesant. Je préfère qu’il m’annonce clairement qu’il ne veut pas de moi plutôt qu’il garde le silence.
- Thomas, ajouté-je les larmes aux yeux, je ne sais pas à quoi tu penses. Je n’arrive pas à lire dans tes pensées alors dis-moi quelque chose. Dis-moi que tu ne veux pas de moi, que tu ne m’aimes pas mais ne reste pas dans le silence s’il te plaît.
- Je te l’ai déjà dit, si tu veux lire dans les pensées, fais confiance à ton pouvoir. Si tu forces les choses, rien ne se passera.
- Je m’en fiche de mon pouvoir là… Je viens de t’avouer une seconde fois mes sentiments. Tu pourrais faire en sorte d’avoir écouté ce que je viens de te dire.
- Je t’ai écouté.
- Mais tu ne me réponds pas.
- Est-ce que tu vas t’enfuir à la prochaine occasion ?
- Ça fait plus d’une heure que cette porte est ouverte, je ne suis pas sortie et tu doutes encore de moi ?

Un silence s’installe à nouveau. C’est pesant. Il ne me dit pas ce qu’il ressent et je reste ici sans savoir ce qu’il compte faire, ce qu’il veut. Je me retourne, soupirant, essuyant quelques larmes qui ont fini par couler. Je ne sais pas ce qui me fait plus de peine : est-ce l’amour non réciproque ou est-ce ce silence ?
- Je t’aime.

Je me retourne aussitôt, surprise et regarde Thomas qui est toujours dos à moi. Mon cœur bat rapidement en ayant entendu ses mots.
- Tu as parlé ? Demandé-je.
- Non.

Je souris. Si Thomas n’a pas parlé, c’est qu’il a pensé ses mots. J’ai lu dans ses pensées, sans m’en rendre compte. Il avait raison : en laissant mon pouvoir faire, j’arrive à lire dans ses pensées. C’est pour ça que je n’y arrivais pas : je me forçais et ce n’était pas ce qu’il fallait faire. Thomas ne peut pas me mentir sur ces mots-là. Il peut me mentir sur beaucoup de choses mais pas sur ses sentiments. Ça ne lui ressemble pas mais surtout, ce sont des mots forts, des mots qui ne se disent pas à la légère. Il ne ment pas. Je sais qu’il ne me ment pas. Il se retourne, s’avance vers moi et m’embrasse, sans me demander mon avis. Il se colle à moi, posant ses mains sur mes fesses, descendant petit à petit afin de m’écarter mes cuisses pour me porter. Je recouvre son cou de baisers pendant qu’il m’emmène dans la chambre. Il me pose sur le lit et dépose ses lèvres sur les miennes. Cet échange est si intense, si fort. Nous ne faisons plus qu’un, coupés du monde, du reste. Je lui retire son tee-shirt afin d’admirer son magnifique torse, plaçant mes mains dessus, remontant jusqu’à son cou où mes doigts jouent avec ses cheveux. Il arrache mon tee-shirt de manière sauvage et déboutonne mon pantalon avant d’enlever le sien. Thomas prend ses précautions en mettant un préservatif et finit par me pénétrer après être resté un long moment à m’embrasser. C’est la première fois où nous passons à l’acte et chacun de ses mouvements sont tendres, intenses. Ses vas et viens ne signifient pas un couple en train de faire l’amour, c’est beaucoup plus fort que ça. Cela montre l’amour qu’il se porte, leur attirance qu’il éprouve l’un envers l’autre. Deux corps amoureux collés l’un contre l’autre, se frottant à chaque mouvement sensuel de leur part. Plus les minutes passent et plus les gestes sont rapides et légèrement plus forts. Nos petits cris se mélangent et notre respiration est en parfaite harmonie. Il finit par se détacher de moi, s’allongeant à ma droite. Nous sommes essoufflés après avoir donné toute la force que nous avons. Le silence s’installe et nous fixons tous les deux le plafond. Je prends les devant, ne voulant pas que le calme reste en place trop longtemps et me tourne, posant ma tête et ma main gauche sur son torse, le caressant. Il passe son bras gauche autour de mon dos et sa main droite dorlote ma main gauche.
- C’était bien, souris-je en n’osant pas le regarder.
- C’était très bien même, finit par dire Thomas.

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