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20h10

Je suis à l'angle de sa rue. Je ne peux plus avancer, mes jambes ne me portent plus. Je m'appuie contre le muret, je ferme les yeux et tente de me ressaisir. En vain....Je m'allume une cigarette dans l'espoir de m'apaiser un peu mais...mauvaise idée, très mauvaise idée. A la première taffe, un vertige vient me faucher. Sans avoir eu le temps de comprendre, je me retrouve par terre.  Le stress et mon estomac complètement vide depuis des heures n'ont pas supportés cette bouffée de nicotine.

Je reste tranquille quelques minutes et je me relève tant bien que mal.
Malgré mes jambes flageolantes, j'arrive devant chez elle. J’hésite, mais je finis par ouvrir son portail. Sa chienne vient m'accueillir. Je longe la maison, prends une grande inspiration et frappe à la porte de derrière.
Elle ouvre, son casque de musique autour du cou.
Je la détaille point par point. Ses yeux, son sourire, son corps si longiligne.....  Je la trouve tellement belle.
Mes yeux s'arrêtent sur son poignet.  Le symbole de l'infini et deux petits oiseaux, sont dessinés à l'encre noire. Je ne suis pas spécialement fan des tatouages mais sur elle, c'est .... ravissant.
Je la vois se rapprocher mais avant qu'elle ne fasse quoi que ce soit, je plante un baiser sur sa joue puis j'entre dans la maison.
Je me sens idiote de réagir ainsi, seulement je veux être en possession de tous mes moyens pour mener à bien la discussion qui se profile.

Dans le salon, la lumière est douce. Une bougie est allumée sur le manteau de la cheminée et sur la table basse, elle a préparé une bouteille de vin avec deux verres et un joint nous attend dans le cendrier. J'enlève ma veste, mon écharpe, puis je m'assois sur le canapé. Avant de s'installer en face de moi, elle prend soin de me déposer son chat, sur les jambes en ajoutant.

- Elle t'aidera à garder ton calme.

Avec un sourire gêné je la remercie.

- Avant de parler sérieusement, je te sers un peu de vin ?
- Oui, je veux bien...merci

Elle verse le liquide liquoreux et me tend le verre.
Je sens mes joues s'enflammer lorsqu'elle trinque en me regardant droit dans les yeux puis elle prend la parole.

- Bon, j'ai lu ta lettre..
- Ah ! Et ?!?
- Je crois que tout ce que tu as écrit, je le savais sans vraiment le savoir. Hormis ton enfance, tu m'avais déjà confié beaucoup de choses sur ta vie. Et comme tu peux le constater je suis encore là.
- Mais .....
- Attends je n'ai pas fini. J'entends et je comprends que tu aies peur que ton passé m'effraie. Mais, ce n'est pas le cas et je te l'ai déjà prouvé une fois. Je t'ai vue sans aucune étincelle de vie dans les yeux. Je t'ai vue être sous l'emprise de cette putain d'anorexie. Est-ce que je suis partie ? Est-ce que j'ai fui ? Non je suis restée et j'ai fait de mon mieux pour t'aider.

Elle reprend une gorgée de vin.

- Mais...
- Laisse moi terminer ! S'il te plaît ! J'ai conscience qu'il y aura des moments compliqués, des moments où tu seras mal, mais je serai là. Je serai là pour t'aider à surpasser tes blessures, tes angoisses. Je serai là pour te permettre d'être enfin heureuse.

Ses mots fendent ma carapace, c'est tellement beau, personne ne m'a jamais parlé comme ça. Des larmes naissent aux coins de mes yeux mais je me mords la lèvre pour ne pas pleurer. Je ne dois pas pleurer.

- Est-ce que je peux parler ?
- Oui je t'en prie

Je baisse la tête, je ne peux pas la regarder. Je sais que ce que je vais dire risque d'être dur à entendre. Je caresse le chat du bout des doigts pour me donner un peu de courage et je me lance.

-  Avant tout souviens-toi, que je t'aime et qu’après tout ce que tu viens de dire, je t'aime encore plus. J'ai été égoïste quand je t'ai déclaré mes sentiments car maintenant, je réalise que je vais trés certainement te détruire.

Je sens mes larmes couler mais je continue.

- Comment tu réagiras quand sous l'effet de tes doigts l'angoisse viendra me dévorer ? Qu'est-ce qui se passera quand je serai incapable de passer aux relations plus intimes ? Comment tu vas pouvoir supporter les mois qui arrivent avec la chimio, les effets secondaires, la prise de poids avec les corticoïdes et l'anorexie qui en découlera ? Et .....qu'est-ce que tu deviendras le jour où je vais mourir ?

Ses bras viennent m'entourer et son étreinte est d'une telle puissance.

- Regarde-moi s'il te plaît...

Je lève les yeux et je vois qu'elle est dans un état pire que le mien.

- La seule chose que je peux de te dire c'est que je t'aime comme tu es, avec toutes tes qualités, mais aussi et surtout avec toutes tes casseroles car ce sont elles qui te rendent si unique. Je suis prête à affronter toutes ces épreuves à tes côtés.

Elle colle son front contre le mien et m'embrasse doucement.

- Non ! Je ne peux pas ! Je suis désolée !

Je la bouscule, je me lève et je récupère mes affaires.

- Je ne peux pas t'infliger tout ça...

Je n'ai pas encore passé la porte, que sa main me rattrape. Je me stoppe net mais ne me retourne pas puis je l'entends  prononcer ces mots empreints d'une profonde tristesse.

- Ne me repousse pas ..... S'il te plaît....

J'aurai Voulu T'aimer Plus LongtempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant