L'arrivée d'une nouvelle nuit sereine nous soulage. Progressivement, la magie lumineuse du théâtre stellaire s'installe sous nos yeux enfantins et nous émerveille. Ce spectacle scintillant, accompagné par la douce symphonie animale, nous fait vivre un sentiment pur de liberté, d'invincibilité.
Les étoiles filantes crépitent, les planètes brillent, les étoiles s'illuminent dans le ciel noirci de l'infini... les supernovas, à l'autre bout de la galaxie, projettent d'une vitesse astronomique leurs terrifiants rayons blancs dans le vide intersidéral depuis des millénaires... les trous noirs se cachent, déforment l'espace-temps et menacent leur voisinage... Les âmes d'Isaac Newton, Albert Einstein et Stephen Hawking ne font plus qu'un avec leur terrain de jeu et nous expliquent les complexités du paysage astral dépourvu du clignotement des avions... Leurs connaissances et leur sagesse nous extraient de notre grain de sable, minuscule petit point égaré devenu fou, composé de nations aveuglées, inconscientes et perdues dans les abîmes de ce que nous pouvons créer de plus atroce.
L'être humain est proche de blesser la Terre. Encore une fois. Elle subit ses douleurs infligées depuis des siècles en silence mais elle reste lucide. Elle sait, dans la mémoire de ses blessures, que ces parasites insignifiants finiront d'ici peu de battre la campagne et qu'ils lui rendront ce qui lui appartient. La tranquillité. La paix. Elle garde ce féroce espoir et laisse passer les tremblements d'une année 2012 incertaine.
Comme nous. Orientés vers la frontière russe, nous admirons la voie lactée qui se dévoile sur un panneau noir universel. La menace est pourtant toute proche, mais nous nous la cachons. Nous étouffons nos humeurs maussades et angoissées par les rires. Nous imaginons tout et son contraire dans l'optimisme. Nous rêvons de notre maison, de notre famille, de nos amis. Nous revivons notre routine effacée et l'embellissons parfois pour nous blesser encore un peu plus lors du retour à la réalité dans ce hameau biélorusse. Mais jamais nous ne lâcherons l'espoir de retourner à notre quotidien et de l'aimer comme jamais nous ne l'avions fait.
Le meilleur chanteur du groupe nous fredonne des airs salaces pour notre plus grand amusement. Je profite de la distraction pour m'éloigner discrètement de la troupe et rentrer me coucher. Sur le chemin, la Lune est brillante d'un intense blanc grisé et reflète le paysage rural puis mon visage dans une petite étendue d'eau. Mes traits apparaissent toujours miséreux et maigres et ils semblent implorer au bon Dieu le retour tant désiré au bercail, dans les bras de mes protecteurs. Je me penche vers ce portrait squelettique pour mieux y voir ses traits creusés et sales. Dans ce face-à-face, ce visage familier relève tout d'un coup ses sourcils et rapproche doucement son air pathétique vers moi. Il s'extrait de l'eau dans le désir de me chuchoter et s'immobilise près de mon oreille : « Tout ce qui ne vient pas à la conscience revient sous forme de destin. » Carl Gustav Jung. J'avais oublié cette phrase. Le destin.
Suis-je ici car c'est mon destin ? Je pourrais le croire car on m'y a emmené de force. Mais suis-je autant malade dans ma tête par la seule force du destin ? Devais-je, à cet instant précis, être déprimé ? Était-ce écrit ?
Non. Tout compte fait, cela n'existe pas, le destin. Ce n'est qu'un concept religieux fait pour rassurer les croyants trop crédules. S'il me prenait l'envie de me trancher les veines dès maintenant et agoniser comme une chèvre mutilée, je subirais ma propre bêtise. Ce n'est pas le destin qui a dirigé le couteau vers mes veines. Il n'a pas appliqué sa force sur ma peau. C'est mon Moi qui l'ai décidé. Et pour autant que je le sache, nous contrôlons notre Moi. Nous sommes maîtres de nos actions. Nous seuls sommes les décideurs. Mais nous ne sommes pas conscients de toutes nos facettes, comme le démontrait Jung.
Toute ma jeune vie, j'étais ce croyant qui se cachait la vérité et qui mettait ses souffrances et son sort sur le dos du destin. « Si je suis malheureux et rejeté, c'est parce que c'est ma destinée. » Mais j'y réfléchis depuis plusieurs jours. Je réalise que je n'étais pas encore assez éveillé pour remarquer que je n'étais que mon propre bourreau, et que j'étais incapable de m'adapter aux situations nouvelles.
Je me sens si éteint et pataud au moment où je me déshabille. Je ne suis plus un enfant. Mon corps me le rappelle. Je dois assumer mes actes. Ne plus les mettre sous le tapis. Ils y seront encore malgré leur disparition de mon champ de vision et je devrais les balayer un jour...
Un jour ou l'autre...
Un jour comme un autre...
Long, ennuyant, qui balaie le charme des nuits paisibles attendues d'une envie impatiente. Tout s'explique. Tout a un sens. Tout est régi par des lois, des successions de faits ou de décisions. Le Soleil vient de se lever. C'est une belle image. Mais il ne sort pas de son lit comme je viens de le faire. A vrai dire, il ne dort jamais. Il est trop occupé à nous maintenir en vie et à nous faire tourner autour de lui, comme on tiendrait au bout d'un fil un ballon entraîné par la force centrifuge de notre rotation.
Cela nous fait tourner la tête. Comme la guerre. Elle non plus, n'est pas une fatalité. Si l'Humanité le voulait vraiment, elle l'aurait évitée et vivrait toujours en paix. Mais cela doit être trop barbant, certainement, de vivre en paix. Il faut de l'action. De quoi s'occuper, de quoi se comparer. Les guerres sont toujours causées par l'égoïsme de quelques puissants et appliquées par l'aveuglement et la soumission des armées haranguées par leurs leaders peu regardant sur la préciosité et la valeur de la vie humaine. Nous nous battons pour des territoires comme des lions et des hyènes se disputent une proie, à l'inverse que nous sommes suffisamment intelligents pour menacer d'extinction notre propre espèce.
Nous concernant, au cœur de notre hameau, nous avons la chance de ne pas encore nous battre et d'avoir fraternisé avec une partie des civils. Cela nous permet de ne pas passer des nuits trop difficiles.
Une vieille écritoire me passionne à chaque réveil chez ce sympathique vieillard devenu hôte. Je profite de la tranquillité du matin pour m'y asseoir. Elle est encore intacte et l'encrier ainsi que la plume sont toujours fonctionnels. Il m'arrive de saisir un papier et de m'essayer à l'écriture comme elle se faisait dans les classes au siècle dernier, pour oublier ces temps terribles, pour m'évader quelques instants du tumulte. Le geste est difficile à comprendre mais les quelques lettres bien écrites sont satisfaisantes, et en courbant la plume se réveille en moi cette mémoire gestuelle d'une nouvelle écrite à l'adolescence.
Elle est restée chez moi, esseulée dans la pénombre de mon petit studio. Elle est un témoignage d'un ancien temps devenu souvenirs mais toujours vivant dans mon cœur. Elle est intimement liée à mes amis d'enfance, à qui je ne peux m'empêcher de repenser.
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La passion des sentiments
Mistério / SuspenseEnvoyé au front, Martin est amaigri, miséreux. Son état physique et mental l'interroge sur sa situation : et s'il était, finalement, le seul responsable de son sort, et que le destin n'avait eu aucun rôle ? Au cours d'une journée, le jeune homme fai...